Il y a en réalité deux façons d’appréhender le dernier film de Stéphane Brizé : l’une est disons candide, l’autre c’est en tant que spectateur déjà initié au cinéma proposé par le réalisateur.
Si je me mets dans la peau de celui qui découvre le film par hasard, sans jamais avoir entendu parler de Brizé -ce qui est loin d’être inconcevable, le personnage n’étant pas spécialement médiatique- force est de constater qu’il est très bon. Pas seulement techniquement, mais artistiquement aussi. Brizé a vraiment un style comme l’on dit. Il a aussi un interprète fétiche : Vincent Lindon, plus médiatique que lui certes, mais irréprochable dans le film comme le reste du casting d’ailleurs. Bref, on est sur du cinéma d’auteur haut de gamme, largement supérieur au tout venant.
En revanche quand on connaît les précédents films du réalisateur, l’approche est nécessairement un peu différente. Certains critiques pro ont parlé de trilogie, ça peut paraître facile au premier abord, mais le mot n’est vraiment pas usurpé pour qui a vu En Guerre (2018) et surtout La Loi du Marché (2015).
Car avec ce dernier, hormis le fait que le personnage principal est un cadre supérieur et non un simple employé, les similitudes sont réellement frappantes, sans que l’on sache si la démarche est volontaire ou non. Même structure narrative, mêmes sujets abordés sous le même angle, mêmes choix stylistiques, même interprète principal évidemment, mais aussi, dans une certaine mesure, même casting dans les seconds rôles ! Ces similitudes ont beau être intrigantes, elles donnent néanmoins un côté un peu stagnant, voir redondant au film et plus largement au propos du réalisateur. Un peu comme quelque-chose que l’on ressasse sans arrêt, ou un clou qu'on enfonce en le filmant simplement sous un angle diffèrent (le point de vue du cadre en l’occurrence).
Par ailleurs, tout comme La Loi du Marché, Un Nouveau Monde n’est pas un film ouvertement politique, on n’y entendra pas une seule fois les mots « finance » ou « capitalisme », alors que tout tourne pourtant autour de ça et que l’on devine aisément de quel côté le réalisateur se place. A l’approche militante , Brizé préfère une approche existentielle, qui n'ayons pas peur de le dire, lui réussit plutôt bien.
Et pourtant c’est à ce niveau-là que le film coince un peu. Dans La Loi du Marché le personnage principal était un monsieur tout le monde. On pouvait donc aisément s’identifier à lui, ce qui rendait l’approche existentielle d’autant plus pertinente. Dans Un Nouveau Monde le « héros » est cette fois un cadre dirigeant d’une multinationale et c’est plus compliqué. Le côté petit bonhomme perdu dans un monde qui le dépasse, n’opère plus du coup. Et même si je ne doute pas que les cadres dirigeants puissent aussi traverser des crises existentielles, on a quand même un peu du mal à croire à leur soudaine prise de conscience comme semble l'avoir le personnage dans le film.
En somme on l’impression que Stéphane Brizé a atteint comme une sorte de palier. Mais il est encore jeune, il a le temps de faire évoluer encore son cinéma. Il en a le talent en tout cas, il n'y a plus qu'à espérer qu’il en ait l’envie.
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