Ça par exemple ! Voilà une belle parodie policière !


Quoique poussive dans ses premiers instants, le temps de planter décors et personnages, quel délice cela devient-il lorsque la machine s'emballe dans la drôlerie farcesque et les répliques assassines !
Nulle part ailleurs, vous ne serez à même de voir un aveugle donner des instructions à une sourde, les tableaux tirer la langue ou encore un détective en braquer d'autres pour pouvoir aller aux toilettes sans manquer la suite du film !


Car Muder by death, plus intelligemment rebaptisé Un Cadavre au dessert en version française est une astucieuse parodie des Dix petits nègres d'Agatha Christie, qui remplace les criminels réunis par le Pourvoyeur des potences par des détectives mis en concurrence par leur mystérieux hôte mégalo, digne d'un génie fou vernien.
Chacun des détective renvoie autant à un alter-ego littéraire qu'à un alter-égo cinématographique ou télévisuel, si bien que chaque artiste venu participer à cette joyeuse réunion apporte autant de son univers que d'une composition nouvelle. Ainsi peut-on faire se heurter le flegme et le charme bondien de David Niven avec le vulgaire et le style parvenu d'un Peter Falk entre Columbo et Abe Reles, flingue en pogne, un vrai choc des langages, des pensées et des classes sociales, la vraie pépite de ce métrage. Ces deux prodiges composent d'excellents duos avec la crème de la crème. David Niven se retrouve au bras d'une Maggie Smith jeune - mais déjà très vieille lady anglaise à la McGonagall - qui ajoute encore à son flegme aristocratique pour créer le décalage avec les autres invités, tandis que Peter Falk donne la réplique à Eileen Brennan, star des murder parties en tous genres (Le Privé de ces dames, Cluedo), qui accentue le contraste comique entre aristocratie anglaise et prosaïsme populaire américain. A leurs côtés, Peter Sellers, passé maître en l'art de se rendre méconnaissable, campe la parfaite caricature asiatique que d'aucuns trouveront sans doute "borderline" aujourd'hui, pour sacrifier à l'esprit moderne. Si on l'a connu plus hilarant, il n'en est pas moins d'une cruauté jouissive et s'oppose à un Truman Capote stylisé, qui remplace Orson Wells au pied levé. Il résulte de leur rencontre, hélas fort brève, une confrontation de l'Ouest capitaliste et de l'Est intellectuel qui relève une sauce que Sellers seul peine à faire prendre. Pour compléter ce tableau, composé déjà de James Bond, Fu Manchu, Blofeld et Columbo, James Coco - comique devant l'éternel ! - et Elsa Lanchester - ex-fiancée de Frankenstein des années 30, beauté fanée mais pas en reste pour ce qui est du caractère - figurent l'un l'autre des ersatz comiques des deux plus grands héros d'Agatha Christie, respectivement Hercule Poirot et Miss Marple. James Cromwell jeune, dont c'est le premier rôle à l'écran, ferme la marche comme il le peut.
Et aux commandes de ces joyeux drilles, un Alec Guiness très en forme et très différent du Obi-Wan Kenobi qu'il jouera moins d'un an plus tard.


Une parodie qui tire sa force de n'avoir en commun avec d'autres oeuvres de ce type que le détournement de la scène de révélation, rendue inane par des chutes de masques et des agnitions volontairement répétitives à outrance. Topos de la parodie policière pourtant originale dans son allusion à l'existence et à la réputation purement livresque des personnages d'enquêteurs.
Sa véritable force, Murder by death la tire de sa capacité à s'affranchir des Dix petits nègres parodiés pour mieux établir une histoire tout autre, agrémentée de suspens, de retournements de situation et de coups de théâtre qui ne sont ps essentiellement parodiques. C'est une parodie qui parvient à surprendre, mieux qui invite à comprendre que l'humour n'est jamais aussi bon que lorsqu'il surgit d'un sérieux apparent et se laisse guider par un ascenseur émotionnel. Un exemple pour les minables petits spoof-movies à la française du type Nouvelles aventures d'Aladdin, Alad'2 ou Véritable histoire de Robin des Bois.


Pourtant, la France a eu du talent par le passé, comme le prouve le titre français bien meilleur que l'original. Comme le démontre aussi le casting de doublage, presque aussi impressionnant que le casting original et parfois plus séduisant encore !
La présence de Roger Carel n'y est par pour rien, bien que sa voix ne soit allouée ni à Sellers - qu'il a double dans le Dr Folamour ou dans La Souris qui rugissait - ni au pseudo-Poirot, bien qu'il se soit depuis imposé en doubleur de ce rôle. Il joue les chats du Cheshire en faisant parler le diabolique personnage de Truman Capote, de façon impressionnante.
Peter Sellers retrouve son doubleur classique, Michel Roux, qui adapte sa voix nasillard à l'imitation chinoise de l'interprète britannique, tandis que Poirot est doublé par son doubleur de l'époque. Carel n'avait commencé à le doubler qu'en tant que doubleur de Peter Ustinov qui, lui, prête ses traits au détective belge qu'à partir de 1978. C'est donc tout naturellement Philippe Dumat, plus connu pour Picsou, Satanas ou encore Papa Schultz, qui avait doublé Albert Finney dans Le Crime de l'Orient-Express de Sydney Lumet deux ans plus tôt, qui se fait la voix du double de Poirot.
Et que serait Peter Falk sans la voix de Serge Sauvion - que l'on connaît moins pour ses doublages du Jules César d'Astérix ou du Sergent Kinch de Papa Schultz que pour ses doublages de Falk et Columbo ? C'est sans surprise mais avec un grand plaisir qu'on le voit se joindre à la bande !
Cela sans parler du casting féminin, trop souvent éludé, composé de Paule Emmanuele, la doubleuse de Loïs Maxwell et de Pussy Galore (pour ne citer que des exemples bondiens), qui fait parler l'ersatz de Miss Marple, et de Michèle Montel, dont on ne parle que trop peu, qui est d'ordinaire la voix française sensuelle de plusieurs rôles de Diana Rigg (dont Emma Peel) et qui double ici Maggie Smith, en parfaite Gentlelady.
Un Cadavre au dessert qui vaut donc autant par lui-même que pour sa version française, particulièrement réussie, ravissante et réjouissante. Une symphonie de voix du doublage qui donne envie de parler un français plus recherché, plus raffiné ou de créer le décalage. Un plus comique dont ne dispose pas forcément la version originale.


Hautement supérieur à l'adaptation live de Cluedo, emmené l'agréable musique de Dave Grusin et introduit par un générique du créateur de la Famille Adams, Un Cadavre au dessert est une petite pépite de parodie, qui réconcilie avec le genre burlesque.
Et, pensez donc, m'sieur ! Quand j'vais dire ça à ma femme !

Frenhofer
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le 11 avr. 2019

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Frenhofer

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