UN COUTEAU DANS LE CŒUR (Yann Gonzalez, FRA, 2018, 102min)


Comme après une odyssée, tel Ulysse ayant succombé aux chants des sirènes, mon âme divague peinant à trouver les mots, complètement chavirée par tous les bords grâce à la secousse cinématographique Un couteau dans le cœur, dont les écumes singulières ne manquent pas de sel, ni d'amour...


Révélé au grand jour par le biais d'une séance déjà spéciale pour l'excellent Les rencontres d'après-minuit à la Semaine de la critique au Festival de Cannes 2013, le réalisateur français Yann Gonzalez continue sa traversée bienheureuse jusqu'à Les Îles (court métrage récompensé de la Queer Palm à Cannes en 2017), pour débarquer cette année sur la plage de la croisette en version compétition officielle du dernier Festival de Cannes. Un nouveau projet tranchant qui confirme qu'un vent nouveau déferle sur le cinéma français, grippant les critiques les plus frileux et réchauffant les cinéphiles ouverts à toutes nouvelles sortes de propositions cinématographiques.


Quand l'écran s'allume, je m'adosse confortablement à mon dossier, un bruit sourd et mécanique intervient, précèdent l'image d'un projecteur où une bobine défile, avant d'être stopper par une main délicate aux ongles rouges passions. Avec méticulosité une monteuse découpe soigneusement la pellicule d'un film en 4:3 classé X en 16mm, alors qu'en parallèle après une rencontre d'après minuit sous les néons, au lieu d'assister à une étreinte entre amants, un meurtre à l'aide d'un godemichet affublé d'une lame se produit sous nos yeux. D'entrée de yeux, le ton est donné. Et nous sommes à Paris en 1979. Une femme aux prises avec des angoisses nocturnes retrouvent refuge dans une ancienne cabine téléphonique pour renouer un lien avec son amoureuse Lois, qui a coupé le cordon ayant à présent "le cœur sec pour toi". Deux séquences, deux ambiances qui s'entrechoquent, toutes deux font saigner, le corps et le cœur.


La mise en scène ne va cesser avec flamboyance de mêler ces dynamiques d'attractions des astres, de la lumière des projecteurs des tournages de films pornographiques aux démons de la nuit engendrant la chimère de la vengeance. La caméra enveloppe de façon élégiaque ces histoires de chair et de sang, sous la forme d'un hommage aux giallo, avec une stylisation de l'image et un fétichisme de l'objet du plus bel effet. Un écrin d'image formaliste romanesque vient magnifier une sublime déclaration nostalgique aux productions de genre homosexuels des 70's, un mélange de tous les genres dans un labyrinthe imprévisible, où l'amour perdu tente de retrouver la flamme à l'occasion d'un tournage plus ambitieux où l'assassinat d'anciens acteurs pornos ayant joué dans les productions d'Anne sert d'intrigue au scénario. Le cinéaste s'amuse avec les références convoquant l'atmosphère de Dario Argento, l'influence de Brian de Palma, notamment Phantom of the paradise (1974) ou du cinéma de Georges Franju sans oublier sa patte kitsch particulière qui apporte un décalage humoristique où le rire s'enlace à la mélancolie à travers des répliques s'annonçant déjà cultes.


Le réalisateur nous offre un feu d'artifices formaliste en 35mm, à la composition de cadre maniérée, de split screen ou décadrages où le spectateur en voit des toutes les couleurs et de toutes les humeurs parfois de façon volontairement outrancière ou surannée mais dans un lyrisme sincère visuellement gore ou érotique. Un long métrage de quête et d'enquête plongé dans une romance défunte et un faux polar vengeur, où les plaies ne peuvent se refermer. Un voyage vibrant en chœur où la solidarité des êtres feignent de cacher les solitudes de l'âme, où le meilleur des refuges cathartiques se trouvent au "Far-West" cinéma porno gays où les corps se libèrent, attendent de dégainer sans peur des maux qui coulent dans les veines et où grâce à un film au titre fleuri la révélation voit le jour dans l'obscur. Une mise en abyme du pouvoir révélateur du cinéma qui permet également de trancher le sort des homophobes et de troubler les spectateurs ayant vécus ces rencontres interlopes où le spectacle se trouvait aussi bien dans la salle que sur l'écran. L'arc narratif linéaire brillant suit sans dévoiler tous les masques, le vengeur serial killer masqué d'une blessure à fleur de peau, le mélodrame amoureux à fleur de maux, et les tournages ludiques qui fleurent les bons mots. Yann Gonzalez convoque une galerie de fantômes dans son opéra onirique orchestré par une superbe partition envoûtante de M83 accompagné par des standards touchants de Marie Laforêt J'ai le cœur gros du temps présent, Jeanne Moreau Absences répétées sortant des transistors ou du formidable titre disco Malaguena de Pico à l'utilisation particulièrement pertinente. Une ode baroque qui trouve dans ses acteurs une illustration étincelante, à commencer par la fragilité émouvante de la productrice amoureuse éconduit Vanessa Paradis (l'un des plus beaux rôles de sa carrière) bien accompagnée par l'épatant Nicolas Maury transcendé dans son rôle d'assistant-acteur de films X, la touchante Kate Moran et l'apparition de Bertrand Mandico (frère de cinéma de Yann Gonzalez) ou encore de Romane Bohringer et Jacques Nolot notamment. Une ardente proposition de cinéma vintage à la puissance formelle évocatrice jubilatoire qui respire l'amour du cinéma, des premiers plans jusqu'au sublime générique hédoniste, tel un tableau vivant nommé : Désirs.


Venez-vous perdre au milieu de cette réjouissante série B, plongez l'esprit ouvert dans ce monde interlope qui vous plantera assurément Un couteau dans le cœur. Captivant. Sexuel. Poignant.

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le 27 juin 2018

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