Après avoir bouleversé le cinéma d’auteur français à l’aide d’une partouze dans Les Rencontres d’après-minuit, Yann Gonzalez revient sur le devant la scène avec son deuxième essai. Biberonné à des cinéastes tels que Jean Rollin, Andrzej Zulawski ou Mario Bava, le cinéaste français a développé une imagerie fantasmagorique montrant un amour sans fin pour le cinéma bis. Avec Un couteau dans le cœur, Gonzalez plonge la tête la première dans ce pan bien trop méconnu et beaucoup trop critiqué du cinéma. Il décide pour l’occasion de suivre ses compatriotes Hélène Cattet et Bruno Forzani pour offrir une variation autour du giallo. Ce classique du genre italien mettant en scène des tueurs masqués à l’arme blanche dans des polars à forte dimension érotique est un grand terrain de jeu pour l’univers fantasque du cinéaste français. De plus, en inscrivant son histoire dans le milieu du porno gay, il continue à nourrir le côté queer de son cinéma


Le giallo s’exprime dès l’ouverture du film. Dans une scène renvoyant au subversif Cruising de William Friedkin, Gonzalez nous plonge dans une boîte de nuit à l’ambiance enivrante. Les regards désireux s’échangent derrière les masques de cuirs. L’attirance charnelle se fait ressentir avant d’exploser dans une mise à mort graphique à l’aide d’une arme du crime plutôt originale. La victime est un acteur de porno gay travaillant pour Anne Parèze. Campé par Vanessa Paradis, le personnage est inspiré d’une productrice ayant réellement existé. C’est au sein de cette sphère que vont sévir des meurtres de plus en plus atroces, décimant petit à petit les rangs de la production. Les codes du giallo se manifestent à travers le tueur tout de cuir vêtu et d’une fétichisation de l’arme blanche, mais le film renvoie également à l’œuvre d’Argento au travers de son esthétique. Empreint de cette imagerie 70s/80s, Un couteau dans le cœur use des monochromes, donnant une atmosphère oppressante et une utilisation clinquante des néons. Un voyage dans le temps qui se fait également grâce à sa bande-son aux nappes discos transcendant les images hypnotisantes d’une danse lascive dans un club mis en parallèle avec une gâterie fatale.


Simplement réutiliser le giallo de façon basique en donnant naissance à un simple thriller horrifique n’est cependant pas ce qui intéresse Yann Gonzalez. Aux côtés de l’ambiance macabre résultant de cette hécatombe, Un couteau dans le cœur sait cultiver une véritable poésie d’un onirisme éthéré rappelant les plus beaux moments du précédent film de son auteur. Le script de série Z dévoile alors un visage sensible se mettant à nu de façon figurée. C’est lorsque l’on quitte la capitale pour un pique-nique dans l’herbe ou une visite nocturne dans un cimetière que se révèle une dimension romanesque mais dont l’aura mortifère ne semble jamais vraiment éloignée. On pense à cette apparition fantomatique d’une Elina Löwensohn en mère cherchant son fils ou cet échange sous la pluie battante entre Anne et Loïs son amante. Ce qui renvoie à un autre aspect du film, car le couteau du titre est bel et bien enfoncé dans le cœur. Bien plus que des crimes sanglants, c’est une histoire d’amour qui se meurt qui fait battre le cœur du film.


Anne et sa monteuse Loïs vivaient un parfait amour qui est en train de se désagréger, éloignant Loïs de plus en plus d’une Anne complètement effondrée. La première apparition de Vanessa Paradis à l’écran témoigne de la détresse morale dans laquelle se trouve son personnage. Arpentant un Paris nocturne, elle est à la recherche d’une cabine téléphonique pour déballer sous l’influence de l’alcool sa passion à l’intention de son ancienne amante. Jamais Vanessa Paradis n’aura semblé si à fleur de peau, sur la verge d’un effondrement, une scène forte séparée de l’ouverture horrifique uniquement par l’écran titre. Encore une fois les dieux Éros et Thanatos fonctionnent de pair. Ce n’est plus uniquement le sexe qui guide les images, mais un amour d’une force consumante. C’est avec un romantisme certain que Gonzalez contrebalance la tonalité de son film, une déclaration d’amour au cinéma qui s’exprime au travers d’une pluralité des genres, se mariant à merveille avec une entreprise transgenre faisant d’Un couteau dans le cœur un poème aussi voluptueux que meurtrier.


L’amour du cinéma est ce qui anime Gonzalez, de la première à la dernière séquence qui est un générique de fin d’une majestueuse sensualité. Un amour qui se manifeste dans cette forme ultra-référencée convoquant à la fois des auteurs établis comme Brian De Palma et son amour du voyeurisme que des figures plus controversés comme le pape de la série Z Jean Rollin adepte du vampirisme érotique, ainsi que dans le fond du film. Hommage à la richesse de la galaxie queer, le film recrée cette atmosphère de libération sexuelle pas encore totalement inquiétée par le sida et s’amuse avec les productions parfois abracadabrantesques et grandiloquentes du milieu. Reconstitué avec une certaine minutie, le microcosme établi permet de mettre en scène une galerie de personnages joués par des artistes gravitant dans l’univers de Gonzalez. On y retrouve Nicolas Maury dont la délicatesse et le langage cru avait fait fureur dans les Rencontres d’après-minuit, mais également Bertrand Mandico, réalisateur du déviant Les Garçons Sauvages, qui avait déjà chamboulé le cinéma de genre en début d’année, Noé Hernandez qui avait traumatisé les spectateurs de We are the flesh ou Pierre Emö, véritable acteur de porno gay. L’univers fantasmé de Yann Gonzalez se mue avec celui qu’il côtoie et prend vie sur l’écran. La jouissance devient communicative. Cinq ans après son coup d’essai, Gonzalez donne à nouveau lieu à une orgie hédoniste où les références, les genres, les sensibilités se télescopent dans un feu d’artifice baroque. Un cinéma sans barrière. Un cinéma fou et sauvage.

Bondmax
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le 29 juin 2018

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