En souvenir d’Yvette

"Un été à la Goulette" m’a rappelé mes conversations avec Yvette B. Au début des années cinquante Yvette avait quitté la France pour aller faire l’institutrice en Algérie. Elle y avait rencontré Jean. Ils s'étaient mariés et avaient vécu là-bas peut-être les plus beaux moments de leur jeunesse. Quand elle m’invitait à prendre le thé chez eux, Yvette aimait me raconter ses souvenirs et me parlait souvent de ce temps où juifs, musulmans et catholiques vivaient en harmonie et où chaque jour était un jour de fête.

" Que ce soit Noël, Shabbat, Pâques ou l'Aïd-el-Kébir... tout le monde était de la fête. C’était à chaque fois l’occasion pour partager un repas entre amis, inviter un voisin à sa table, faire de la musique, chanter, danser ", me racontait-elle. " Si on ne se mariait que dans sa communauté, quelles que soient leurs origines, leurs croyances religieuses, les gens ordinaires vivaient ensemble en bonne intelligence et dans le respect des différences des uns et des autres ", ajoutait-t-elle. Et ses yeux se mettaient à briller à la seule évocation de ces moments passés.

L'assiette de loubia qu'on échange avec une assiette de pkaïla, les youyous des mariages qui se mélangent au son des violons ou aux chansons d'Adamo, la joie de vivre et la solidarité, la tolérance et les coups de chaleur qui trouvent leur résolution autour d'une partie de cartes et du verre de l'amitié, les femmes qui sous l'anonymat du niqab vont rejoindre leurs amants... Ce sont les souvenirs d’Yvette qui ont merveilleusement pris corps dans le film de Férid Boughedir. Parce que le soleil et l’eau de la méditerranée sont les mêmes qu’on soit d’ici ou de là-bas.