Premier mouvement


Les lumières colorées dansent au plafond en douceur et la caméra entame un lent et traînant salto. Voici qui donne le ton feutré et apaisé de la première partie du nouveau film de Bi Gan. De retour à Kaili, Luo Hongwu cherche une femme. Une femme qu'il a aimé et n'a jamais oublié. L'avancée tout en douceur de l'investigation de Luo Hongwu dans cette première moitié est assez déstabilisante car malgré un montage incluant des flashbacks, une certaine léthargie règne sur le scénario. L'élégance de la mise en scène suffit cependant à maintenir une certaine attention. La beauté de la photographie et la délicatesse avec laquelle sont abordés les sentiments amoureux ne sont pas sans rappeler le chic d'In the mood for love. Dans tous les cas, l'engourdissement qui dirige ce segment prendra son sens dans la suite. Car alors que Luo Hongwu est sur le point d'achever son enquête, survient un déclic. Il pénètre dans un cinéma, et d'un seul coup, le film rentre dans une autre dimension.


Second mouvement


C'est la prouesse et la virtuosité, mais pas que. Il en faut du courage pour vouloir filmer cette séquence impliquant enfant, cheval, partie de ping-pong et de billard et des envolées aussi bien au sens propre que figuré. Comme dans Kaili blues, la caméra s'amuse à dresser une topographie, que ça soit en filmant de haut pour nous donner des vues d'ensemble ou de très près en nous faisant comprendre que l'escalier emprunté par deux personnages est le même en filmant leurs pieds de la même façon. La caméra se glisse souplement partout et les déplacements dépassent l'entendement de la technique cinématographique, évoquant le style de cinéastes comme Kalatozov. Spectateur, on s'amuse à essayer de distinguer les ficelles de ce tour de magie filmique, et lorsque celles-ci s'entraperçoivent au détour d'un soubresaut de caméra ou d'un acteur essoufflé, elles n'en rendent le geste que plus sympathique. Mais la performance n'est pas gratuite, loin de là. Le tournant que prend le film dans cette seconde partie font que la forme épouse parfaitement le fond. Le flottement de la caméra, cette volonté de continuité qui se superpose à de brusques virages scénaristiques (des personnages apparaissent et disparaissent dans des identités plus ou moins modifiées, les saynètes s'enchainent avec une certaine étrangeté ou irréalité), les échos à la première partie et les distorsions du temps forment un parfait vecteur de la sensation de songe. Ayant instauré un genre de crescendo en douceur, le paroxysme est évidemment alors atteint dans la scène finale, qui avec son pendant de la première partie forment une des plus belles scènes de baiser de cinéma.

yhi
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le 30 janv. 2019

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yhi

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