Un homme qui, depuis qu'il a conduit un camion, semble être en colère

Un homme en colère signe la quatrième collaboration entre Guy Ritchie et Jason Statham et c'est même à vrai dire, pour ceux qui l'ignoraient, dans deux films de l'ex monsieur Madonna que celui qui deviendra plus tard le roi du cassage de gueules fait résonner pour la première fois son accent british prononcé. Arnaques, crimes et botaniques et Snatch, deux films aujourd'hui devenus cultes dans lesquels l'interventionnisme extrême de l'acteur, à coups d'armes en tous genre ou juste de ces poings, était bien moins présent que ce qu'il est aujourd'hui.
C'en est suivi la carrière que tout le monde cerne à peu près pour le succès que l'on connait, surtout auprès des amateurs de films d'action bourrins. De le voir revenir auprès du réalisateur de ses débuts naissait l'espoir de voir l'acteur enfiler un rôle différent de d'habitude, espoir presque aussitôt annihilé à la lecture du pitch. Néanmoins, il y aurait quelques nuances à apporter par rapport à cela. Le personnage que Statham incarne est effectivement un peu plus contrasté et ambigu que ce qu'on peut avoir l'habitude de le voir jouer, mais je reviendrai sur les raisons qui ont selon moi amené ce choix ensuite.
La mise en scène de Guy Ritchie est, quant à elle, plutôt efficace au départ ; surprenante même avec cette introduction en forme de plan-séquence à l'intérieur d'un fourgon blindé. La caméra est fixe, le cadre est composé à l'extrême, ne nous laissant voir et surtout entendre que l'essentiel. Une scène riche et mystérieuse qui surgira à nouveau au cours du film par deux fois, toujours d'un point de vue différent et enrichie grâce aux éléments appris entretemps. Une narration au départ plutôt bien pensée et qui s'enrichit petit à petit d'éléments qui viennent lever le voile sur le mystère qui entoure le personnage de Statham, quitte à trop en faire du point de vue de l'histoire et à devoir surligner au marqueur rouge à plusieurs reprises certains éléments fondamentaux de l'intrigue ("On a un indic !!!") par peur de perdre les spectateurs.
Le dernier tiers du film en subit notamment les conséquences, perdu dans un imbroglio de points de vue, d'enchaînements d'actions et de déferlement de violence (à peine assumé semble-t-il, aux vues de la rapidité quasi subliminale de certains plans un peu gore). Ce passage se veut dynamique, mais finit surtout par paraître confus, accentué par une musique qui jusque là soutenait le rythme juste comme il fallait, mais devient de plus en plus pompeuse au fur et à mesure que la fin du film se rapproche (par ici les violons). Il se fait également sentir à quelques moments rapides que le réalisateur cherche à mettre en avant le contraste entre l'opulence de Los Angeles, lorsque la caméra s'élève, et la violence qui prend place dans ses rues. Le sentiment d'avoir voulu tenter quelque chose se dégage ici, mais rien qui ne soit très significatif.
Un film riche et dont la bonne volonté se fait ressentir dès le départ, mais qui, paradoxalement, aurait largement gagné à vouloir en faire moins. Et c'est bien dommage !


Je vais maintenant continuer la critique pour faire quelque chose d'un peu plus long que d'habitude. Je conseille néanmoins à celles et ceux qui veulent lire la suite de voir Un Homme en Colère bien entendu, mais aussi et surtout de visionner le film Le Convoyeur de Nicolas Boukhrief, dont s'est inspiré Guy Ritchie.


Impossible de ne pas inclure ici un parallèle entre le film de Guy Ritchie et celui de Nicolas Boukhrief. Le comparatif est d'ailleurs intéressant dans la mesure où il est possible de relativement bien sentir là où les deux films se rapprochent, mais aussi et surtout où ils s'éloignent. Stylistiquement parlant, les deux films n'ont pas grand-chose à voir. Le long-métrage de Boukhrief est froid, se concentre sur les personnages, suscite le mystère, privilégie les sous entendus et enfin retient la violence, à quelques exceptions près, pour tout relâcher dans un déferlement lors de la séquence finale. Le choix d'Albert Dupontel pour jouer le rôle principal détonne également, résonnant surtout comme ce qui est peut-être l'une des meilleures idées du film de Boukhrief. Son personnage est plausible et n'importe qui peut s'y identifier. Tout dans ce film transpire la volonté de faire un polar sec, froid, violent et portant un regard noir sur la société et ses aspects les plus terre à terre.


Guy Ritchie semble au final n'avoir gardé que le squelette de cette idée. De par sa décision de prendre Statham dans le rôle principal, il détonne là aussi, mais à l'inverse du film français, laissant penser qu'on va à nouveau voir la star dans un énième film d'action bourrin et violent (ce qui, pour bien remettre les choses à leurs places, est quand même bien le cas). Un choix qui surprend moins quand on apprend par la suite que le personnage était en réalité un gangster lui-même, chef d'un gang de braqueurs dont le fils a été tué par hasard par des braqueurs concurrents alors que son père était en train de faire un repérage pour un futur méfait. Tout ça pour pouvoir justifier d'un certain passif plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord de la part de ce personnage et donc de sa capacité à utiliser des armes et à se battre. Casse-tête, vous dites ?
Du même coup, aux oubliettes la simplicité efficace du film français : Un père et son fils sont victimes collatérales d'un braquage de fourgon. Le père survit et cherche à se venger. Ce manque de simplicité est aussi accentué dans le surdécoupage de la narration du film puisqu'on distingue ici trois niveaux de découpage différents : celui dont j'ai parlé dans la première partie qui tourne autour de la répétition à trois reprises du braquage initial, enrichi au fur et à mesure de l'avancée du film ; le découpage par le biais de flashbacks et flash forwards qui se succèdent tout au long du film ; enfin un découpage sous forme de cartons titres reprenant des phrases qui seront entendues plus tard dans le film et qui donne l'impression que celui-ci pourrait être découpé en plusieurs chapitres d'une mini-série.
Une majorité des reproches possibles à l'encontre du film américain pourrait donc se situer sur cette absence de simplicité et l'abondance de tant d'éléments pour faire du film un vrai grand ensemble cohérent dans lequel tout est expliqué ; mais il faut croire que les américains n'aiment pas, en tout cas dans ce genre de film, les sous entendus et les non-dits. D'ailleurs, je parle de reproches, mais nombreux sont peut-être ceux qui y verront là au contraire une vertu. Nombreux sont peut-être ceux qui apprécieront de savoir en détail qui sont ces fameux braqueurs (bien que le passif "ancien capitaine de l'armée et son équipe qui se font tellement chier qu'ils décident de braquer des banques" semble sacrément surfait), là où Nicolas Boukhrief nous laisse dans l'inconnu. De même en est-il pour le background du personnage Statham et le fait d'en apprendre sur qui il était avant ces événements et la croisade qu'il a dû mener pour retrouver les meurtriers de son fils. Comble de l'excès enfin : avoir voulu donner une dimension quasi héroïque au personnage en établissant un lien avec un personnage qui n'apparaît pas plus de vingt secondes à l'écran dans tout le film. Il est suggéré que cet inconnu, qui doit faire partie du FBI ou consorts, a passé un marché avec le protagoniste principal afin d'avoir le champ libre pour éliminer les braqueurs. Dimension héroïque encore accentuée par le statut de quasi-légende attribué au personnage au cours du film et du fait qu'il soit le seul survivant à la fin. Vous avez dit gâteau trop gras ? Je plussoie !
Pour résumer le comparatif, le film de Guy Ritchie est non seulement enrichi d'une multitude de surcouches, mais surtout sans aucune zone d'ombre, là où c'est justement l'ombre qui fait la richesse du film de Nicolas Boukhrief.

Créée

le 5 juil. 2021

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