Être honoré par le césar du Meilleur Acteur à peine rentré dans le ventre mou de la vingtaine et du quart de siècle, en voilà une consécration qui risque de peser bien lourd dans les choix de carrière de l'excellent Pierre Niney, définitivement attendu au tournant désormais par tous les cinéphiles mais également tout un septième art français qui voit en lui l'avenir de son cinéma. Premier film post-césar pour l'acteur et premier défi de taille, Un Homme Idéal signé Yann Gozlan (l'excellent Captifs) ou la promesse d'un thriller psychologique à l'ambiance tendu et stylisée comme on les aime, genre tellement maltraité dans nos contrées qu'on en vient décemment plus à célébrer la concurrence extérieur (Boyle avec son récent et immense Trance pour ne citer que). Porté par Niney et la sublime Ana Girardot, le film rappelle très fortement le Fenêtre sur Cour de David Koepp mais également le Match Point de tonton Allen et le désespérément inédit dans nos salles The Words de Brian Klugman et Lee Sternthal, dont la trame central suit également l'usurpation, l'imposture et le vol de manuscrit. Assez cocasse comme anecdote pour le coup, même si les attentions de Gozlan vont bien plus loin que le simple copie-calque d'oeuvre déjà couchée sur pellicule.

Dans Un Homme Idéal, on y suit Mathieu, jeune homme de 25 ans qui aspire depuis toujours à devenir un auteur reconnu. Un rêve qui lui semble pourtant inaccessible car malgré tous ses efforts, il n’a jamais réussi à être édité.
En attendant, il gagne sa vie en travaillant chez son oncle qui dirige une société de déménagement…
Son destin bascule le jour où il tombe par hasard sur le manuscrit d’un vieil homme solitaire qui vient de décéder. Mathieu hésite avant finalement de s’en emparer, et de signer le texte de son nom.
Devenu le nouvel espoir le plus en vue de la littérature française, et alors que l’attente autour de son second roman devient chaque jour plus pressante, Mathieu va plonger dans une spirale mensongère et criminelle pour préserver à tout prix son secret…

En s'intéressant à l'envers du décor du métier d'écrivain - et même de la création tout court -, du syndrome de la page blanche à la volonté presque viscéral de reconnaissance en passant par la créativité presque maladive pour maintenir un semblant de crédibilité dans l'imposture; Yann Gozlan accouche d'un thriller/huit-clos hautement haletant et fascinant sur le destin monstrueux d'un homme en quête de succès et même d'identité, sombrant peu à peu dans les méandres abyssales du mensonge et du silence. Une descente aux enfers longue et éprouvante pour un anti-héros tourmenté, un arriviste fragile mais attachant, en total perte de repère et qui s'échinera à constamment préserver les apparences pour ne pas perdre tout ce qu'il a honteusement conquis, notamment le cœur de sa bien-aimée dont l'amour s'est construit sur des boniments. Riche et subtil, réflexion intéressante sur l'esprit de création aussi épanouissant que douloureux mais également sur une certaine image de la bourgeoisie et du milieu littéraire, Gozlan brouille constamment les pistes en agrémentant son récit de nombreuses ellipses salvatrices et d'une ambiance proprement angoissante et appliquée.

Maîtrisant à merveille la tension et le suspense entourant son personnage principal, usant avec intelligence de ses références multiples (les cinémas de Chabrol, Allen et Hitchcock mais surtout le chef d'oeuvre Plein Soleil de René Clément en tête), la réussite indéniable du métrage jouit surtout de la performance habité d'un Pierre Niney merveilleusement troublant et inspiré. Tout en intériorité et passant par toutes les émotions dans la peau torturé de Matthieu, dont la lente transformation fascine tout autant qu'elle terrifie le spectateur, il trouve ni plus ni moins que son meilleur rôle et la confirmation qu'il est bel et bien le jeune comédien français le plus excitant à suivre du moment. A ses côtés, la sublime Ana Girardot est convaincante et littéralement à tomber dans la peau du personnage charnière d'Alice, l'objet de tous les désirs de Matthieu.

Joliment mis en scène (la photographie est soignée et le score est anxiogène à souhait), totalement voué à son personnage principal - sans pour le rendre un seul moment volontairement empathique - suffocant, prenant et intelligent, Un Homme Idéal est une excellente surprise, un thriller haletant et efficace comme on n'en voit que trop peu dans le cinéma hexagonal. Bref, une réussite en tout point qui fait du bien au sein d'un mois de mars cinéma à la qualité réellement enthousiasmante.


Jonathan Chevrier
FuckCinephiles
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le 22 mars 2015

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