Dans une petite ville perdue d’Islande, un commissaire de police en congé soupçonne un homme du coin d’avoir eu une aventure avec sa femme récemment décédée dans un accident de voiture. Sa recherche de la vérité tourne à l’obsession. Celle-ci s’intensifie et le mène inévitablement à se mettre en danger, lui et ses proches. Une histoire de deuil, de vengeance et d’amour inconditionnel. Et n’oubliez pas que vous allez souffrir avec lui.
Quand un personnage s’exclame, au début du film, «Le temps est bizarre», on a envie de lui répondre: «Sans blague» à la vue des premières images, dépaysantes comme il faut. Sauf que ledit personnage a raison, cette phrase lapidaire ne saurait mieux résumer le climat poisseux-halluciné dans lequel baigne ce Jour si blanc. Il s’agit du second long métrage de Hlynur Palmason, réalisateur plasticien dont nous avions adoré le précédent long, Winter Brothers et qui réussit là encore à échapper à tous nos repères cinématographiquement admis. Une fois encore, son univers ne ressemble à rien de connu même si on arpente en apparence des terres cinéphiliques (re)battues. En d’autres termes, on n’arpente pas le sentier de la franche gaudriole (on n’est pas trop chez Jean-Marie Poiré) et on erre vers les routes mystérieuses, pleines d’énigmes et d’embûches chères à notre très cher David Lynch avec ce leitmotiv: ne passons pas à côté des choses compliquées.
Pas d’épigone, pour autant. Il y a bien un clin d’oeil voyant dans l’incipit de Un jour si blanc qui renvoie à celui de Fargo des Coen bros qui montrait une voiture progressant dans la brume blanche. Mais c’est un simple signe d’appartenance, suggérant que le film va fonctionner selon le même principe de l’avancée à l’aveugle dans un brouillard blanc. Après, ça dérive, démerdez-vous avec ce qui se passe. C’est le chaos. Doux, noir, amer, comme on l’aime. Celui des odyssées pleines de questions, n’apportant aucune réponse, comme le laisse entendre le long silence après la question «C’est quoi une journée parfaite?». Cette enquête policière se mue en une (en)quête existentielle, face au vide, au manque, au trouble, nous menant, avec un protagoniste qui-veut-savoir-ce-qui-s’est-passé vers une révélation aux allures d’impasse. L’impasse, c’est bien beau, mais qu’y apprend-on, au fond? De la métaphysique, pardi. A savoir que nous sommes tous des Sisyphe, prisonniers de nos marottes, voués à les macérer jusqu’au trépas. C’est comme ça, c’est la condition humaine, personne n’y (r)échappe. Le temps y est tyran, on ne va pas contre lui, comme le suggère ce beau plan figurant le passage du temps, capturant plusieurs moments de l’année, laissant alterner les différents degrés de lumière.

Ce qui nous retient aussi dans cette affaire, c’est évidemment la tension viscérale et souterraine de ce qui se joue à l’écran. La délicieuse sensation purement cinématographique d’un mystère instillé par des moyens purement purement cinématographiques – les cadres et la manière dont les personnages bougent à l’intérieur. Entre nous, on appelle ça de la torpeur hallucinée et c’est aussi bon là que dans Winter Brothers. On éprouve vite le sentiment que quelque chose cloche dans ces belles images savamment composées et l’étrangeté qui file les jetons. Et le film d’imperceptiblement nous plonger dans un trip psychotique de la plus belle allure, traduisant parfaitement l’enfermement et la folie. Alors, certes, on n’est pas très zen en regardant pareil spectacle de la désolation et du délabrement, oui, d’accord, mais on est quand même très joie de voir un cinéaste travaillant à ce point le temps et l’espace, tel un architecte. Imperturbable, Hlynur Palmason confirme donc après Winter Brothers son sidérant travail plastique. Bien sûr, comme sur le précédent long, ce cinéma-là est si radical, si rentre-dedans, si inconfortable qu’il laissera sur le bas-côté les spectateurs les plus cartésiens. Mais les autres devraient succomber à cette atmosphère, à ces images venues d’ailleurs comme autant de visions surgies d’un monde où grouillent tant de rêves et de cauchemars.

Theomch
8
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le 7 nov. 2021

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