Le peu au service du bien. Le sobre au service du juste.

Au fond une scène pourrait résumer à elle seule ce qui me plaît dans ce film. Elle se trouve en son début. C'est ce moment où Bruno, le fils, retrouve René, le père, après six ans d'absence.


Une porte. Bruno y frappe. Celle-ci s'ouvre en laissant apparaître derrière elle le visage de René. On y lit soudainement un mélange d'émotions difficile à décrire. De la colère peut-être. De la surprise, c'est évident. Et puis peut-être aussi une part de joie, mais c'est plus difficile à cerner.
En contrechamp le visage de Bruno est tout aussi complexe. L'homme est démuni comme nous le sommes. Alors il se décide à poser une question, toute simple.
« Je peux ? »
René hésite. Il ne dit pas un mot. Il finit par se décaler pour ouvrir le passage à son fils. Bruno rentre puis s'arrête, ne sachant où aller vraiment ni que faire. Il se retourne vers René qui, pendant ce temps là, referme la porte. Les deux hommes se retrouvent alors face-à-face. Un instant de suspension et puis ils se prennent soudainement dans les bras l'un de l'autre.


Voilà.
Pour moi, toute la justesse d'un « Mauvais fils » se trouve là. Au final seulement deux mots sont prononcés mais tellement de choses sont dites. Car - et c'est trop rare dans le cinéma français pour ne pas être souligné - « Un mauvais fils » est un film qui n'oublie pas que le cinéma est avant tout un art qui parle par l'image ; qui parle par les regards et les silences. Un art où le mot n'a pas besoin de proliférer pour porter.


Aussi dans « Un mauvais fils » on parle peu. Non pas que la parole soit rare, mais on se contente du strict nécessaire. Les phrases sont courtes. Les sous-entendus et les regards disent le reste. Pas besoin de longs discours pour voir le mal-être de Catherine ; pour comprendre les raisons de la sympathie de Dessart ; pour saisir les sentiments exacerbés qu'un père et son fils masquent derrière des épaisseurs de « cornes » pour reprendre les mots d'un des personnages.


Et dans ce jeu très délicat, la réalisation de Claude Sautet saisit par sa sobriété. Pas de tape-a-l'oeil ni de m'as-tu-vu. Juste ce qu'il faut au service du dire er du vu. Ainsi le cadre se mouvoit-il avec la plus grande des discrétions mais toujours à la recherche de ces regards et de ces visages qui parlent tant.
Ici c'est le regard curieux et presque surpris d'un Bruno à l'égard d'un Dussart si sensible à tout : à l'humain, à la vibration, aux moments.
Là c'est une énième retrouvaille entre un père et son fils durant laquelle le fils reste l'essentiel du temps en hors-champ, focalisant l'attention ce père toujours aussi ému mais toujours aussi bourru.


Rien n'est superflu mais rien n'est laissé au hasard non plus. C'est juste une recherche de l'épure qui entend s'appuyer sur l'essentiel. Et ici l'essentiel ce sont les acteurs, remarquables dans leurs non-dits, dans leur sous-entendus ; dans leur capacité à dire autant, si vite et avec si peu.
Forcément le tandem Patrick Dewaere / Yves Robert est celui qui rayonne avec le plus d'évidence, mais que dire de seconds rôles aussi riches que ceux ici offerts par Jacques Dufilho ou bien encore Claire Maurier (Brigitte Fossey m'apparaissant légèrement un ton en-dessous). D'ailleurs Claude Sautet se dispense de musique et autres effets de montage. L'épure jusqu'au bout. L'épure au service des sens. Et quand je parle des sens je parle ici de ceux du spectateur que ce film s'efforce d'exacerber.


Car c'est bien de cela dont il s'agit dans « Un mauvais fils ». Il s'agit de sentir les gênes qui apparaissent sitôt on perçoit un mensonge pudique ou un silence honteux. Il s'agit de sentir les coeurs s'ouvrir et se soulager sitôt un geste doux dissout une tension intérieure. Il s'agit enfin de sentir - toujours - ces mêmes coeurs qui volent soudainement en éclat alors que d'apparence rien n'a l'air de s'être passé.


Er c'est cela, moi, que j'ai particulièrement aimé dans ce « Mauvais fils ».
Ce n'est pas cette histoire au fond banale. Ce n'est pas ce dénouement qui finalement ne dénoue rien. Non, c'est simplement ce geste ; cette justesse à avoir su saisir une délicatesse dans l'humain ; une beauté souvent invisible et pourtant présente presque partout.


Au fond c'est ça la définition même de l'art. Ce talent à transmettre dans l'oeuvre quelque-chose qui dépasse sa simple fonction. Cette lucidité à savoir peindre l'évidence d'un trait là où d'autres ne font que l'esquisser en s'agitant vainement.


Car ce que parvient à nous montrer si habilement ce « Mauvais fils », c'est que le peu est le plus bel ami du bien et que le sobre est le plus sûr chemin vers le juste.

lhomme-grenouille
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le 4 mai 2020

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