La loi du plus fort, c’est tuer ou être tué.


Depuis quelques années maintenant, le cinéma indépendant international s’est souvent emparé de sujets brûlant dans l’actualité pour nous proposer des démarches au pire complaisantes, mais rarement très réjouissantes. Et dans des festivals, c’en est un défilé du genre et la dernière sélection de Cannes en est plus ou moins la preuve, comme d’habitude dira-t-on. Malgré tout (toujours comme d’habitude) un film surnage parmi ces derniers. Une sorte de pochette surprise assez réjouissante, d’autant plus qu’elle se trouve non pas dans la sélection officielle mais à un certain regard où l’on assite à la fois à des propositions auteurisantes et jusqu’au boutiste, comme des propositions nouvelles et qui semblent bien éloignés des terrains balisés par la compétition officielle (coucou The Innocents). C’est d’autant plus excitant, qu’il s’agisse à la fois d’un film belge (qui passe définitivement dans mon top 3 des pays aux meilleurs productions derrière les Hispaniques mais devant les Corréens) mais surtout d’un premier film avec comme seule tête d’affiche Karim Leklou, figure montante en France ce qui a tendance à me réjouir après certaines de ces prestations, comme pour le sous-estimé La Troisième Guerre (ou Bac Nord oui oui…). Mais ne nous emballons pas, ce sont les gamins les réelles stars du film et par-dessus tous des inconnus puisque bien que j’aie encore du mal à y croire, Maya Vanderbeque (qui incarne Nora) et Günter Duret (son grand frère, Abel) signent ici leurs premières prestations, et quelles prestations !


En 2021, deux productions françaises m’avaient particulièrement tapé dans l’œil : Serre moi fort et L’Evénement. Ces deux dernières avaient un point commun : être des films d’horreur social, voir, à la longue, des représentants français du elevated horror américain. Prenant comme point de départ des situations déjà vu, avec une mise en scène pour l’un inventive, naturaliste pour l’autre. Mais par le son, le travail du montage et surtout du scénario, ces derniers peuvent facilement se voir affubler de la catégorie « genre » et Un Monde ne déroge pas à la règle. Bien que l’on soit dans un extrême encore plus profond que le film d’Amalric, qui s’apparentais pour moi au I’m thinking to ending things français. Laura Wandel apporte à cette mouvance deux éléments inattendu et effectué avec brio : le hors champ et le flou. Commençons avec ce dernier, se concentrant quasi uniquement sur le personnage de Nora, en cadre portrait, toute personne se rendra habilement compte que ce genre de parti pris inclus du floutage. Au-delà de la simple règle de demander aux adultes du film de se pencher pour atteindre le monde des enfants, ce floutage constant apporte une nouvelle couche, celui de Nora. Pour qu’une personne (enfant comme adulte) puisse interagir avec cette dernière, il faut qu’il y ait un effort de communication entre les 2 personnages mais surtout, un effort d’empathie (comme réussi si souvent à faire la maitresse de Nora, d’une justesse pas possible et d’une candeur à tomber). Mais plus que de s’en tenir là, Laura Wandel transforme l’essais en occupant comme élément central de sa mise en scène ; le hors champ. C’est là qu’on atteint les limites de l’horreur, le fameux « less is better » qui nous faire miroiter sur la situation d’un personnage extérieur avant de le faire disparaitre du champ pendant plusieurs minutes nous laissant dans l’appréhension de ce qu’il pourrait advenir de ce dernier.


Et comme tout film « d’horreur » ce dernier témoigne de notre environnement social actuel et des craintes qui lui sont associés. Rendons à César ce qui est à César, quand Joe Dante réalise le trop sous-estimé Small Soldiers (et bien que le terme horreur est à prendre avec d’immenses pincettes), il démontre à la fois les conséquences de l’anhélation du consumérisme américain (et plus globalement militaire) type « la guerre c’est cool » sur des gosses et des stéréotypes sur les personnes « différentes » qui ne correspondent pas à ce modèle victorieux (ou qui se regarde trop le nombril, à vous de choisir). Ça a été dit et redit, Un Monde est filmé comme pour un film de prison. Tout du moins, ce sont les codes, les clichés qui sont repris avec en première ligne, la fameuse scène où Karim Leklou, tenant les barreaux à 2 mains tente de communiquer de l’extérieur avec Nora. Mais plus que certaines imageries, c’est dans la cohérence du récit que le film devient un réel film carcéral. Jamais, au grand jamais, il ne s’éloignera de l’école et effectuera même dans le montage certaines boucles où l’on voit la classe évoluer pendant un cour de sport, à la cantine, parfois même en classe sans pour autant perdre en cohérence ou en rythme (les 1h12 y sont pour beaucoup) ; le côté anxiogène est donc ne peut plus visible théoriquement. Pourtant, Laura Wandel ne se limite pas à ça, puisque cette boucle permanente, rythmée par des changements plus ou moins apparents, créé un sentiment de renfermement, certes, mais surtout en accointance avec son propos. La violence par la violence, cercle vicieux et semble-t-il perpétuel, cruel chez les adultes, presque inhumain chez les enfants, qui, contrairement à ces derniers parlent et font sans retenue aucune. Ce propos devient non plus nécessaire, mais urgent dès l’instant où l’on comprend que ce manque de retenu est dut en grande partie du fait que les personnages (comme dans un film d’horreur) sont contraints à subir la situation, malgré que tout précepte moral les inciterait à agir, même si ça doit entraîner des répercussions négatives sur la personne


Cela se voit très bien avec la scène de la poubelle, Nora est la seule à savoir que son frère s’y trouve coincé, et à l’instant où elle a possibilité d’aller l’aider, on lui fait signe qu’elle doit retourner en classe. Son comportement semblant même faire mine d’insolence pour l’adulte concernée, ce qui rend la situation d’autant plus tragique.


A la limite, si je devais pointer du doigt un problème, c’est l’esquisse selon moi insuffisante du rôle qu’on les adultes à parfois encourager/laisser de côté les problèmes, ce qui est strictement la même chose, se taire c’est prendre part. Pourtant et bien que cela ne soit pas nécessaire pour autant, pointer du doigt tant de problèmes sans réellement démontrer l’horreur de telles pratiques, c’est dommage


Sans compter que la scène où les harceleurs se font enfin réprimander est beaucoup plus édulcoré à la réalité. Pour parler d’expérience personnelle et pour énormément me pencher sur le sujet, la plupart du temps, c’est très peu profond, on considère qu’une poignée de main est suffisante, et les harceleurs sont relâchés et continuent bien souvent leur tambouille. A moins que les Belges soient vraiment, mais alors VRAIMENT les plus forts, mais j’y crois moyen.


Un monde ce n’est pas que celui des enfants auquel est dédié le film, mais à un monde extérieur, que même des personnages au même niveau que la protagoniste ne capte pas ou ne veulent pas capter. Un monde, c’est avant tout un thriller psychologique, peut être un poil manichéen, mais qui ne va jamais poser du contexte à la violence, que ce soit celles physiques, car elles n’ont aucune raison d’être perpétrées que celle psychique. Commencer le film en gros plan, sur une Nora tremblante de peur devant son père, comme si sa vie entière allait s’effondrer, ce qui fait aussi penser à toutes ces scènes de film carcéral, où la personne, désignée coupable, voit ce nouveau monde comme un traumatisme. Là où ce plan frappe fort, c’est aussi car il convoque la thématique première du film, j’avoue que j’avais de la peine pour elle, car je savais qu’elle allait vivre pire encore, bien que ce premier extrait nous mette bien dans le bain. Pour ne rien ajouter, ce plan renforce d’autant plus le travail d’écriture de Laura Wandel mais surtout de caractérisation. Il lui en faut peu pour caractériser les gosses et adultes qu’elle filme, et dès le début l’on n’est pris d’un réel sentiment d’empathie sans pour autant rajouter du pathos. Une violence, donc, psychologique qui part comme base à celles qui suivront par la suite et qui renforce ce sentiment de renfermement perpétuel. Pour ainsi complimenter une dernière fois ce travail de scénariste, là où Laura Wandel est très forte, c’est qu’elle réussit à capter l’anecdote universelle, ce détail qu’on a tous connu et refoulé au plus profond de notre âme par dépit ou trauma. Ça traverse tout le film et ça montre d’autant plus son génie.
L’on se demande donc facilement quel monde on laisse à ces mioches, encore en plein développement mental, et a qui l’on donne la loi du plus fort comme acquis social. Laura Wandel n’a peut-être pas la réponse, mais elle nous pose la question. Et peut être que de ce visionnage nécessaire, des gens prendront enfin conscience que la violence historique ou récurrente, n’a jamais été au pas du grillage, quelques mètres plus loin. En fait, ce qu’il y a de terrifiant dans Un Monde, c’est qu’on a tous conscience de ce qu’il se passe, mais qu’on a décidé de le nier.

Créée

le 13 juil. 2022

Modifiée

le 7 févr. 2022

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