Au moment de me poser face à mon écran afin d’y exprimer ce que j’ai ressenti face de cet Un monde de Laura Wandel, voilà que je sens soudainement sur mon épaule le poids de l’honorable DanielOceanAndCo qui me susurre à l’oreille : « Vas-y mollo. Je sais que ce cinéma t’énerve au plus haut point mais ce n’est pas une raison pour que tu tires à tout va. Ça n’apporte rien à ton propos. Ça te soulage peut-être mais ça fait perdre de la force à ce que tu dis. »
…Et il a raison de dire ça le DanielO.
Oh oui ça c’est sûr qu’il a raison sur ce point.
Alors du coup je vais me détendre un peu et rappeler d’emblée ce qui me semble une évidence : s’il y a des gens qui ont été transportés par ce film, franchement tant mieux pour eux. Moi ça me va très bien. Vraiment : aucun souci…
…Seulement me concernant ce film il m’a exaspéré.
Pire que ça, il me donnerait presque envie de hurler.


J’ai envie de hurler parce que dans ce cinéma là, moi, j’y vois comme une sorte de grosse imposture.
Imposture artistique. Imposture sociale. Imposture qui marche.
Bref, tout ça m’agace.
Qu’est-ce qui m’agace me diriez-vous ?
Ce qui m’agace c’est de constater qu’on nous ressert une fois de plus cette « bonne » vieille recette du cinéma naturaliste ; un cinéma facile à faire et terriblement redondant.
Un monde n’y manque pas. Quasiment que de la longue focale sur l'ensemble du film, plan serré, caméra au poing. Le personnage central est tout. Le reste n’est rien.
Quand il est triste on le voit pleurer. Quand il est pensif on le voit penser. Et quand soudainement il se met à marcher alors on le voit marcher… de dos.
…Et vu que c’est de la longue focale alors du coup on ne voit pas vers où ni vers quoi il marche. (Bah nan, parce que tu comprends : « tout pour le sujet rien que le sujet » hein !)
Tout le reste est foutu en marge. Les copains de classe, les profs, les parents… Soit ils sont hors-champ soit ils sont esquintés en bordure de cadre. (Bah oui, parce que c’est comme ça qu’ils z’ont dit qu’on f’sait Jean-Pierre et Luc alors bon…)


Du coup c’est du déjà-vu. Plein de fois. Et comme ça entend laisser de côté de vastes possibilités de mises-en-scène pour ne se restreindre au final qu’à une gamme formelle des plus pauvres, eh bien moi ça me gonfle.
Ça me gonfle parce que la seule possibilité qui est laissée pour le spectateur de se laisser emporter c’est de s’intéresser au sujet.
Seul le sujet peut et doit être source d’intérêt.
Or le problème c’est que – une fois de plus – on se retrouve avec un film qui n’a rien à dire.
Enfin si – bien sûr – excusez-moi – c’est un film qui entend nous sensibiliser à l’horreur du harcèlement scolaire.
Sauf que là encore les Dardenne font des leurs.
Simple exposition. Répétition ad nauseam de la même situation afin qu’on sente le poids qui pèse sur le dos de cette pauvre petite enfant…


« Et alors ? De quoi je me plains ? » me répondraient peut-être certains. « C’est le réel ! Qu’est-ce que t’as contre le réel ? »
Sauf que là encore une fois : non, ce n’est pas le réel.
Le cinéma ce n’est pas le réel.
Le cinéma c’est un artifice qui tend à porter un regard sur le réel.
…Et désolé de le dire ainsi mais non seulement je trouve ce regard pauvre, mais en plus de ça je trouve ce cinéma prétendument naturaliste totalement factice.


Quiconque sait un temps soit peu ce qu’est une école ou une salle de classe qu’il ne peut qu’être atterré par ce monde que nous peint Laura Wandel.
Un monde où on peut creuser des trous dans la cour, foutre des sacs sur la tête d’un gosse ou en enfermer un autre dans une poubelle sans qu’aucun instit ne voie rien.
Un monde où les salles de classe sont des cathédrales au point que certaines profs peuvent se permettre de chuchoter leurs cours.
Un monde où d’ailleurs la plupart des profs ne comprennent pas ce qu’est un gamin et ne savent pas repérer et identifier les comportements inquiétants…
…En même temps quoi de plus normal car les gamins eux-mêmes adoptent dans ce film des comportements régulièrement illogiques et incohérents.
Toutes les deux minutes je voyais des choses qui me rappelaient à quel point ce monde était faux. Dans d’autres films ça ne m’aurait peut-être pas dérangé mais bon, là comme il s’agit du cinéma du réel m’voyez…


De toute façon, je pense au fond de moi que lorsqu'on fait des films comme celui-ci, le réel on s'en moque un peu.
Parce que bon, personnellement je serais quand même trèèèès surpris d’apprendre que Laura Wandel ait pris la peine de se faire une petite séance d’immersion en école afin d’essayer de comprendre ce qu’était véritablement le milieu scolaire.
Non, elle avait son idée préconçue. Celle-ci lui allait très bien. C'était ça qu'elle voulait mettre en image et rien d'autre. De toute façon son usage de dardenneries ne saurait que lui donner raison.
S’y reconnaitra dès lors qui voudra. Mais moi en tout cas je ne mange pas de ce pain-là.
Pire que ça, moi ce pain il me débecte.


Ça me débecte parce qu’en France comme en Belgique, il y en a un petit paquet d’auteurs talentueux qui ne demandent qu’à percer et qui ne percent jamais tandis qu’à côté on voit encore sortir des films comme ce Un monde.
Déjà vu. Déjà fait. A la portée de tous. Mais ce n’est pas grave, le réseau cannois va nous en remettre malgré tout encore une couche parce qu’on a des copains à caser, des ascenseurs à renvoyer, des représentations ou des fantasmes à entretenir…


Au fond toute la démarche artistique de ce film tient en son titre. Oui, au fond je pense que tout se réduit à ça. Ce film est « un monde » à lui tout seul.
Un monde à part.
Un monde socialement marqué.
Un monde dans lequel je ne me reconnais pas et qui n’est pas le mien.
Mon monde à moi est un monde où les regards sont assumés. Mon monde à moi est un monde où l’œil porte loin. C’est un monde où l’on cherche à enrichir et non à appauvrir.
Dans mon monde, la culture se devrait d'avoir un autre sens que « ça »…
Aussi je n’en dirai pas plus. Déjà mon DanielO me retape sur l’épaule.
Alors à chacun son monde. A chacun son cinéma.
…Et jouira qui pourra.

Créée

le 31 janv. 2022

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