Aucun film historique ne m'a jamais autant absorbé que celui-là, par son degré de réalisme et ses techniques contemporaines de mise-en-scène. J'ai passé un moment absolument inoubliable, scotché face à ce qui à certains moments m'a paru être à la limite d'un film expérimental maîtrisé de bout en bout. Je ne connaissais pas ce réalisateur, mais il me semble qu'il a fait là un coup de maître.


Il y a deux manières d'analyser un film comme ça : l'angle cinématographique, et l'angle historique. Je ne suis pas historien, alors je vais me contenter de l'analyse cinéma.


TECHNIQUES INNOVANTES


On retrouve ici certaines des techniques récentes apportées par les séries américaines de ces dernières années, loin des clichés vieillots qu'on aurait pu attendre d'un film français essayant obstinément de renouer avec les canons d'antan. Dès le début, le rythme est lent, surnaturel, métaphysique, et la focale de la caméra très immersive : le roi qui lave les pieds des sans-culottes le Jeudi saint, le rapport philosophique et politique des humains avec leur roi qui suinte dans les décors et les mots... Sans culture, impossible de piger les symboles. Mais au delà, il y a une solide utilisation de l'image : la photo est sublime, l'éclairage naturel est transperçant.


Le montage quant à lui est dynamique, haché (trop, selon certains), mais la prise de vue est immersive, et les costumes et décors soignés, s'harmonisent avec la volonté de montrer la révolution française via le point de vue prioritaire des "gens de peu". Que ce soit les scènes dans le quotidien des citoyens, les débats parlementaires, ou la vie du roi, tout est montré avec une certaine économie de moyen (sauf peut-être la scène du "théâtre", gratuite, qui n'est qu'une mise en abîme un peu hors-sujet), et force de symbolique qui, reproche-t-on, écrase le travail historique. Mais pourtant les scènes a priori insignifiantes tissent le fil de ce que nous pourrions considérer comme une tentative de parler du maximum de choses sans redondance. La Bastille, le quartier avoisinant, ses miséreux, ses artisans. Le roi qui s'enferme, le roi qui délire. La perte d'un enfant. Un voleur de poule repenti. L'amour au milieu de l'empressement des tâches quotidiennes. La famille royale qui a fui et qui est ramenée de force, puis subit l'humilité de faire ses besoins devant ses propres sujets. La citoyenne qui accouche, qui se bat. Le bourgeois qui motive les troupes. Les manifestations, les assauts. Les bébés dans les bras, qui se trouvent là, ballottés dans ce qui n'était pas un enfer mais un moment où la pagaille côtoyait l'empathie. Les enfants, hallucinés mais lucides, qui gravent dans leur petit visage fin ce moment historique, et dangereux.
Tout est là. Alors oui, on aurait un film de trois heures, ou une série Netflix en plusieurs saisons, et faire des doublons. Mais tant que le principal est là, pourquoi vouloir plus ?


Par soucis de faire rentrer un maximum de choses en deux heures, l'essentiel est toujours privilégié à la continuité de scènes qui n'ont pas lieu d'être poussées plus loin. Les discours sont coupés à la seconde près, et même le travail du son a été investi d'une inspiration toute providentielle (je parlais d'expérimental) : la scène de la surdité, suite au tir du canon, décuple la violence et la tétanie de l'instant où la baïonnette fraye un chemin dans le droit civique, et où l'existence humaine se crée un droit dans l'Univers et sa loi du plus fort. Plus loin à l'échafaud, la musique émouvante est brutalement coupée, ramenant le spectateur dans le silence morbide de l'instant. Je m'étais toujours dit que les musiques cachaient la réalité, et qu'il aurait été osé de les couper pour montrer au spectateur ce que ressentent réellement les personnages.
Ainsi la simple suppression du son amène une plus-value, sans ajout. C'est ce genre de techniques qui donne l'impression d'un film réalisé avec brio, et utilisant le maximum d'outils à sa disposition pour gagner du temps et respecter son cahier des charges.


POESIE


Les images d'épinal (ex : au début, la scène de la pose à la fenêtre) viennent aérer d'une magie philosophique et symbolique l'ambiance tendue d'une époque. Tout semble comme sorti d'une carte postale ou d'un tableau de maître. Cette symbolique n'est jamais surfaite. Que ce soit le démontage de la tour de la Bastille pour laisser passer le soleil dans une rue ne l'ayant jamais vu, le jeune fougueux qui quitte les champs pour rejoindre la colonne de révolutionnaire puis se fait toucher la tête par le roi capturé après avoir fui, ou l'enfant qui à la fin essuie le sang sur le tambour pour le garder en guise de relique, tout me semble avoir une place et une utilité. Et tout est parfaitement amené, comme dans un conte.


Des scènes poétiques (l'image du soleil prise au télescope spatial, la création d'une sphère parfaite par l'apprenti du souffleur de verre, la surdité, la perte de la vue, la passation, le roi-père-de-tous, l'artisan-père, le cheval dominé, ...) viennent augmenter le propos dans une pause réflective. Certains ont trouvé ça "cul-cul", moi je trouve ça fin. Tout est question d'angle, soit philosophique, soit historique.


L'anecdotique vient aussi renforcer l'essentiel pour ne pas rendre le propos trop vague, comme ces phrases sorties de la bouche de certains et dont on se demande si elles pouvaient venir ainsi d'un simple citoyen ("Je ne veux pas perdre ma vie à la gagner"). Car le rythme imprimé, est celui du rythme circadien, de l'esprit dans son habitus. Que ce soit au lavoir ou dans un festoiement au fond d'une ruelle, la moindre âme abrite la graine de la plus belle pensée.


RAISON


En guise de contrepoids les débats parlementaires apportent, sans jamais s'envoler trop loin, toute la profondeur que nous attendons d'un film sur ce moment où les esprits se sont échauffé à un point inouï pour trouver une solution au dilemme du système politique actuel. C'était l'Univers qu'il fallait remettre en question. Ses lois, sa cruauté, dépasser l'impossible conflit. Ceux-ci se déroulent parfois à la lueur de la bougie, parfois dans la lumière bleue et faible du matin et au son des étourneaux, montrant ainsi qu'ils s'éternisaient et se déroulaient des jours durant, jusqu'à épuisement, mais sans relâche et avec le relais de toutes les âmes pouvant apporter leur soutien. Qu'on aime ou pas le fait que ces débats aient montré davantage le camp des révolutionnaires (enfin, on ne va pas refaire l'histoire !), une grande pluralité de pensées s'enchaînent à la tribune, avec des personnages célèbres, et parfois un peu détestables dans leur tentative de contredire ou équilibrer les pensées qui s'échauffent. Personnellement j'ai trouvé inutile Marat, ce corsaire anarchiste, qui en guise de clou du spectacle rappelle de sa diatribe les paroles des nombreux protagonistes ayant déjà fait part de leurs craintes, souvent contradictoire, du "despotisme des justes". Craintes préfigurant évidemment les dérives de la Terreur. Mais n'est-ce pas Marat lui-même qui, paradoxalement, donne la brillante idée que "pour savoir qui sont les traitres", il faut que les signatures pour l'exécution du roi soient nominales et publiées dans un journal ? Doit-on aimer ou détester ces contradictions, dans un film qui se veut historique ? Bien sûr que non, car son rôle est de montrer quelles étaient les pensées des uns et des autres, et non de prendre parti. On trépignerait presque de voir les erreurs ou inepties de certains, mais on ne peut que constater que l'histoire s'est faite dans ces va-et-vient moraux, et que bien que délivrés du despotisme de la royauté, nous sommes toujours un peu tributaire de l'effet néfaste de la contradiction si chère à la notion de débat démocratique.


L'effervescence de l'esprit est palpable mais surtout écoutable, dans ses discours, ou les réactions éveillées du plus petit individu. Petit individu qui, épaulé par des bourgeois que l'on voit parfois à leurs côté, se tait et écoute attentivement puis, poussé non pas par la fièvre d'être vu mais par la faim d'être compris, lâche une pensée à la frontière de l'abscons, prise en étau dans l'immense difficulté de l'établissement d'une nouvelle philosophie qui ne se résume pas à couper la tête d'un bourreau (même si ce sera la finalité).


Et tout ça dans la chaos des ruelles, les assaults des bâtiments publics, les marches pacifistes, les interrogatoires.


"Alors citoyenne, ne t'as-t-on pas vu défilé sur le Champ de Mars ?"


"Y étais-tu ?"


"Qui d'autre ?".


La scène du champ de Mars est inoubliable. Elle fait écho à une autre scène du début (le nourrisson) qui tiendrait dans une peinture de Delacroix.


CASTING


Certains ont regretté l'usage d'acteurs trop connus. Personnellement je n'y ai pas prêté attention. Le personnage de Basile dépasse finalement le stéréotype du jeune branleur pour devenir l'étalon de la beauté et tragédie humaine insufflée par les Dieux. Lui ne s'en va pas avec la nuit. C'est l'orphelin absolu, l'humain devant le néant et la cruauté de la vie, le fautif mais le repenti. Il aurait pu être enfermé dans le rôle d'un abruti sans coeur, mais il brille par son innocence, sa volonté, sa sincérité. Et il trouve finalement sa place parmi les autres.


L'héroïne principale possède à la fois une force du caractère masculine et une certaine pureté (elle avait d'ailleurs joué un rôle similaire dans "Les combattants"). Parfaite en symbole de Marianne.


CONCLUSION


Que peut-on reprocher à ce film si ce n'est de ne pas avoir le rythme lent et le contenu exhaustif de cours d'histoire qui justement, n'arrivent jamais à résumer l'essentiel de ce qu'ils se perdent à essayer de disséquer par trop d'anecdotes ou de citations ? Personnellement je ne trouve pas ce film "aussi creux qu'un manuel scolaire alternant les stéréotypes", mais plutôt capable, dans sa densité et son survol, de couvrir le principal sans tomber dans l'écueil des dissertations. Non, le point de vue du roi n'est pas donné : il est juste suggéré, et c'est suffisant. Car nous ne sommes pas bête : il est permis à tout un chacun de penser ce qu'un roi peut penser dans ces moments là.


J'ai vécu un super moment. J'ai eu ce sentiment que les réalisateurs ont pris le meilleurs de ce qu'on peut se représenter de cette époque.


Comprendre les objectifs de cette révolution a été vraiment été amené à la porté de tous, et on voit bien que les gens de l'époque, inéduqués mais ayant un esprit, étaient exactement dans la même position que nous le sommes : emportés hors de soi.

Héraès
10
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le 10 oct. 2018

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Héraès

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