Quel étrange titre que ce “Un Silence”. Au singulier, comme s’il était unique et exceptionnel, alors qu’il apparaît au contraire systémique.
À travers le prisme d’un cas de pédophilie incestueuse, Joachim Lafosse voudrait donc expliquer le non-dit d’un scandale oublié, voire le décortiquer. Grande entreprise. Cela devient encore plus évident quand on écoute le soin apporté au travail autour du son. Il y a le bruit de ce qu’il se passe dans le champ et celui qui existe aussi dans le hors-champ : dans la pièce d’à côté, au téléphone, etc. Tous les sons que l’on peut entendre nous permettent de nous représenter tous les éléments qui cohabitent en même temps mais aussi ceux qui ne sont pas présents. L’exemple le plus marquant sont sûrement les scènes dans l'habitacle des voitures où l’on entend tout (ceintures de sécurité, clignotants, moteur, roues qui crissent sur la route) mais les personnages n’y prêtent plus attention, allégoriquement comme un refus général d’écouter ce qu’il y a réellement autour d’eux.
Mais le problème principal de ce film tient justement à cette logique de hors-champ trop excessive. Dans le cadre d’une situation à scandale comme celle-ci, pourquoi avoir fait le choix de filmer celui qui est en tort ? Interrogation légitime quand on se rend compte que la victime en question ne sera jamais montrée dans le métrage. Cet effort d’invisibilisation systémique se révèle même problématique au moment où le film essaie tant bien que mal de nous faire croire qu’il dénoncerait un système de protégés, dans lequel la justice n’est plus impartiale et la parole n’est pas libérée partout. Mais quel système au juste ?
On nous présente une mère aimante et inquiète (Emmanuelle Devos, toujours juste) mais dont on ne comprend ni les motivations passées ni les intentions futures. Son mari et son fils vont alors former avec elle un trio étrange, à la limite du grotesque (ces scènes de rapprochement physiques entre mère et fils dans un film sur l’inceste étaient-elles bien nécessaires ?) qui n’aura cesse de se remettre en question sans en avertir le spectateur. Au demeurant, l’agencement scénaristique du film est bien déroutant : le début en flashforward n’est pas plus utile que toutes les scènes où le film se répète lui-même, comme pour nous faire comprendre la gravité de la situation. Sûrement qu’un spectateur avisé saura déjà soupeser cette affaire avec toute la pondération qui en découle mais faut-il croire que ce “Silence” esseulé n'aura que faire de prendre son public pour un imbécile.
[NB : cette critique ne représente pas mon avis définitif sur le film, que je ne trouve pas si terrible que ça]