« Les peuples heureux n’ont pas d’Histoire », disent les historiens, citant Roger-Gérard Schwartzenberg. Et le bonheur n’est pas romanesque, seuls le sont les drames et les catastrophes, assurent les littéraires… Jiri Menzel prouve ici le contraire.


Né le 23 février 1938, à Prague, où il mourra également le 5 septembre 2020, Jiri Menzel adapte « La Chevelure sacrifiée » (1974), roman de celui qui est devenu un ami et collaborera six fois à ses films, Bohumil Hrabal (28 mars 1914 - 3 février 1997). L’auteur s’inspirait là de ses propres souvenirs d’enfance et du petit village où la brasserie jouait un rôle important, pour imaginer l’avant (presque l’avent !…) de sa naissance et redonner vie aussi bien à la figure de sa mère qu’à celle de son oncle. D’où, sans doute, la tendresse du ton, l’écrivain ayant participé à l’élaboration du scénario. Mais, comme souvent dans les films tchèques, la tendresse ne côtoie aucune mièvrerie, toute mâtinée qu’elle est d’humour et d’espièglerie. Un peu comme si Tati s’était soudainement penché sur la question du bonheur conjugal.


La blonde Maryska (extraordinaire Magda Vásáryova), toute en cascades de cheveux d’une infinie longueur et de rire perlé, attire sur elle tous les regards, aussi bien ceux de son mari (Jiri Schmitzer), adorateurs et toujours prêts à être mangés d’inquiétude, que ceux de tous les autres hommes. Sans exception. Depuis le médecin (Rudolf Hrusínsky), qui s’endort comme un bienheureux sur son sein au moment de l’auscultation, jusqu’aux envoyés gouvernementaux, en passant par tous les employés de la brasserie ou le moindre villageois. Tour d’espièglerie supplémentaire : loin de tout scrupule strictement réaliste, elle est d’ailleurs la seule créature féminine de l’ensemble du film, ce qui achève de lui conférer une essence authentiquement stellaire. Stellaire mais non éthérée, la dame semblant goûter tout autant la charcutaille que les regards masculins qui la dévorent des yeux et n’en finissent pas de faire jaillir son rire cristallin.


Un cristal qui dit aussi l’innocence de ces scènes et de ces jeux. Car ni ces concupiscences, d’autant plus pâmées qu’elles se savent sans espoir aucun, ni la survenue d’un beau-frère fantasque et hurleur, excellemment campé par Jaromír Hanzlík, ne sauront véritablement troubler le bonheur conjugal des futurs parents, ni leurs petits jeux autour de leurs cadeaux mutuels, ni les soins qu’ils prennent l’un de l’autre en toutes circonstances. La première scène, qui ouvrait d’emblée sur l’intimité tendre de la chambre maritale, donnait en cela bien le ton.


Jiri Menzel déclarait joliment : « Je cherche à faire des films qui donnent de la force pour vivre ». Indéniablement, ses films sont traversés de cette force-là, une force fantasque, vociférée, comme par le beau-frère intrus, et ici profondément jubilatoire, pareille à un message de confiance et de grâce printanière.

AnneSchneider
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le 18 févr. 2022

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Anne Schneider

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