Etant sensible à l'avortement en tant que choix à part entière mais aussi à son droit, à son "inaliénabilité" (cf. la liste http://www.senscritique.com/liste/En_faveur_de_l_avortement/168423),

Ayant aussi été agréablement surpris par le cinéma de Robert Mulligan via Prisonnier de la peur, un film de 1957 (dix ans avant Titicut Follies !) qui traite avec justesse de la bipolarité dans une époque où l'on considérait encore les personnes atteintes comme des fous à incarcérer et à estropier (cf. la critique http://www.senscritique.com/film/Prisonnier_de_la_peur/critique/29710472),

C'est donc avec un double intérêt que j'écris quelques mots à propos d'"Une certaine rencontre".

Je souhaiterais saluer ce film. Le saluer dans la mesure où ce film de 1963 surpasse bon nombre de feintes scénaristiques pour aborder la question de l'avortement... Il surpasse la question économique, les personnages de Natalie Wood et de Steve McQueen arrivant à boucler in extremis le budget de 400 $ pour un avortement clandestin fait par un médecin. Il surpasse la question de la famille, mais surtout du père et des deux frères, clichés ambulants, brutaux et inquiets d'un patriarcat rayonnant dans cette couche de l'immigration italo-américaine. Il surpasse presque la question du mariage, abordant la question de l'amour autrement mais surtout pas sous la contrainte d'un enfant à naître ou pas. A noter aussi que le mariage y est vu comme un suicide et comme une punition. Il surpasse ainsi un certain nombre d'obstacles devant lesquels bien de nos films contemporains trébuchent, de sorte à parler du sujet mais sans y aboutir - c'est là le grand sujet de discorde : faut-il se satisfaire d'en parler ou bien de dénoncer ce qui apparaît comme un vague prétexte dans un monde d'hypocrisie ?

Il surpasse les obstacles, à l'image de ce clin d'oeil, une scène où un gâteau d'anniversaire entre dans la salle à manger, bougies toutes allumées, porté par un homme plutôt peu viril et, au dernier moment, ce dernier enjambe un fil électrique qui lui promettait de se casser la nénette. Non, il n'y a pas de burlesque ou de tour de passe-passe dans ce film : il part assez sincèrement à la conquête de l'amour, malgré que les conditions ne soient pas favorables.

La moindre des choses concernant ce film est de reconnaître que la question de l'avortement est vu comme un choix plein et entier et dont la renonciation de l'acte ne viendra pas tellement de la volonté des protagonistes, mais d'un mélange de conscience, de prostration et de danger sanitaire réel/potentiel.
Le tout est de montrer que la volonté seule des personnages ou des lois sociales en vigueur ne suffirait pas à masquer la nécessité d'aller jusqu'au bout de la démarche.

Par contre, dans un classicisme dramatique, le film arrive à imposer des finalités contre lesquelles les personnages avaient lutté âprement pendant tout le film. Une pirouette qui rend tout à coup l'amour abordable, le patriarcat bienveillant et le mariage possible. En tous cas, l'on est à ce moment déjà plus proche de la naissance d'un amour à vivre ; c'est déjà ça de pris.
Une pirouette ? Là encore, le film s'en sort plutôt habilement par la rencontre d'une philosophe au cours d'un dîner : Elle qui avait jusqu'au trois-quart défendu l'idée que la romance était du pipeau culturel, Angela Rossini (Natalie Wood) se retrouve à défendre l'amour comme un effort et un possible devant une interlocutrice, clairement gauchiste, laquelle atteste que l'amour est un fantasme de la bourgeoisie (mâle ?).
Ainsi traiter cette pirouette comme étant un retournement de veste absolu ne serait pas juste. Le film arrive très bien à jouer sur deux tableaux, tout comme Mulligan jouait déjà sur deux tableaux, entre film classique et oeuvre progressiste, dans Prisonnier de la peur.

Replacé dans son contexte, ce film reste assez puissant dans son discours sur l'avortement, sur la condition féminine (et ce sans grand moment de bravoure !). Même en dehors de son époque, il reste une arme politique lorsqu'on sait qu'aux Etats-Unis, les années 2008-2009 ont été marquées par un retour réactionnaire dans les Etats du Mississippi, du Nebraska et du Missouri, plus 18 autres qui pourraient bannir de nouveau ce droit.
Ce film est, par conséquent, l'une des rares preuves que ce genre de discours était possible avant et qu'aujourd'hui, tout chemin s'en différenciant, n'a rien à voir la culture ou l'époque mais avec les lois morales et économiques qui subordonnent une culture ou une époque.

Pour finir, Robert Mulligan est décidément la conscience et l'hémisphère gauche de la Paramount, studio d'habitude tellement versé dans des productions réactionnaires et impérialistes dès qu'il s'agit de financer des oeuvres à caractère de moeurs sociétales.
Andy-Capet
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le 25 mars 2014

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le 25 mars 2014

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Andy Capet

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