Pas une critique, juste 5 copié-collé (Le Monde et avoir-alire.com)

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https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/05/06/une-fille-facile-un-conte-cruel-et-brillant-sur-la-lutte-des-classes_6038890_3246.html

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« Une fille facile » : un conte cruel et brillant sur la lutte des classes

Pour son quatrième film, la réalisatrice Rebecca Zlotowski a exploré le pouvoir de séduction qu’exerce la richesse.

Par Mathieu Macheret

Publié le 06 mai 2020 à 19h30 - Mis à jour le 07 mai 2020 à 09h45

Après l’ambitieuse fresque historico-spiritiste de Planetarium (2016), Rebecca Zlotowski, qui trace, depuis Belle Epine (2010), l’un des parcours les plus brillants au sein du jeune cinéma français, revient pour son quatrième long-métrage à une forme plus modeste et plus ramassée. Une fille facile ne diffère pas fondamentalement des précédents films de la réalisatrice, qui examinaient, non sans recul analytique, la montée et l’ivresse du désir physique. Cette matière inflammable est ici réinvestie à la faveur d’un conte cruel de l’adolescence. Sous sa simplicité apparente, le film n’offre rien moins qu’une relecture de la lutte des classes à l’aune du matérialisme le plus avancé.

Lire aussi Article réservé à nos abonnés Festival de Cannes 2019 : Zahia Dehar, pas si facile d’être une fille facile

A Cannes, alors que les cours font place aux vacances d’été, Naïma (Mina Farid), 16 ans, fille d’une femme de ménage, s’apprête à passer une audition avec son meilleur ami Dodo (« Riley » Lakdhar Dridi). C’est alors qu’arrive de Paris sa cousine Sofia (Zahia Dehar), une jeune femme à la sexualité libérée qui n’hésite pas à tirer profit de ses charmes. Inséparables, écumant plages et boîtes de nuit, les deux complices ne tardent pas à faire la rencontre d’Andres (Nuno Lopes) et Philippe (Benoît Magimel), un collectionneur d’art et son entremetteur attitré, deux hommes riches qui les invitent à monter sur leur yacht. Sofia détourne alors l’adolescente de sa réalité quotidienne, pour l’entraîner dans le monde du luxe, de l’opulence, de la haute couture, des grands restaurants, des somptueuses villas méditerranéennes. Ce monde où tout paraît possible, Naïma le découvre ébahie, en même temps que la monnaie d’échange qui le rend accessible aux filles de son milieu : les rapports sexuels qui ont lieu le soir entre Andres et Sofia.

Du conte, le film retient précisément la tournure : une jeune fille s’aventure, non pas dans une forêt sombre, comme le Petit Chaperon rouge, mais dans une dimension irréelle de l’existence, cet univers des riches qui semble ne rencontrer aucune résistance, tout simplement parce qu’il relève de l’illusion.

Ce dont traite le film, ce n’est pas tant de la richesse en elle-même que du pouvoir de séduction qu’elle exerce, tendue comme une vitrine faussement accessible aux yeux des gens ordinaires. Une fille facile brille surtout dans sa façon de montrer que ce monde illusoire repose en profondeur sur d’implacables rapports de classes.

Mathieu Macheret"

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Encore Le Monde https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2019/05/10/un-apero-avec-rebecca-zlotowski-la-perversite-ne-m-interesse-pas-la-seduction-oui_5460568_4497916.html

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Un apéro avec Rebecca Zlotowski : « La perversité ne m’intéresse pas. La séduction, oui »

Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Pour son film « Une fille facile », sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, la cinéaste a choisi Zahia comme premier rôle.

Par Laurent Carpentier

Publié le 10 mai 2019 à 14h30 - Mis à jour le 12 mai 2019

Rebecca Zlotowski a le débit rapide et des mots qui sourient. Son quatrième long-métrage, Une fille facile, a été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes. Et la fille facile, c’est Zahia Dehar, cette ex-call-girl qui défraya la chronique avec Karim Benzema et Franck Ribéry avant de poser en Marianne sur les photos de Pierre et Gilles.

« J’avais le désir de personnages solaires, érotisés, je sortais d’une année assez dure… Zahia attirait ma sympathie : ce corps insensé, son silence, son arabité, cette surféminité, son trajet de transfuge social, raconte la réalisatrice. Or, c’est elle qui a pris contact avec moi. Via Instagram – cela m’a surprise, je ne suis pas si connue. Après, quand je l’ai entendue parler, j’ai pensé à un personnage de Rohmer. C’était La Collectionneuse, avec le vécu d’une Kim Kardashian. »

Normalienne à 19 ans

Yeux noirs, lèvres rouges, pommettes hautes, Rebecca Zlotowski ne se démonte pas. Sa seule peur, là, maintenant, attablée dans un café parisien, est d’être « réduite ». Réduite à quoi ? « A quelque chose que je donnerais de moi qui ne serait pas moi, je ne sais pas, l’exercice du portrait… » Normalienne à 19 ans, agrégée de lettres à 21, son parcours a pourtant été, affirme-t-elle, « un outil d’émancipation ». Pour parler d’amour, elle convoque Barthes à sa table. « Il dit : “Il y a une promesse de souffrance, c’est donc bien un amour.” »

Pour définir l’amitié, elle invite Kant : « Pour lui, l’ami, c’est celui qui veut le bien de l’autre avant le sien. » Pour le cinéma, ce sera Joachim du Bellay : « Lui a écrit “Défense et illustration de la langue française”. Eh bien, pour moi, le cinéma doit être cela : “Défense et illustration de quelque chose”. » Après trois Ricard, ils finissent ainsi par être toute une bande de sacrés lurons à lui taper des clopes à la terrasse du café La Méthode, rue Descartes (forcément). « A cette heure-ci, tous les vices se cumulent », s’amuse celle qui, à 39 ans, se déclare « célibataire sans enfants ».

« Je suis une bonne rieuse, je ne vais jamais voir de psy et j’aime faire du ski. »

Dans Une fille facile, les deux héroïnes se font tatouer un Carpe diem au creux des reins. On lui demande si c’est une philosophie. Elle fait mine de se déshabiller pour montrer son dos, où elle aurait le même. « Mais non, c’est une ­blague. Je n’ai pas de tatouages… Il y a une dizaine d’années, j’étais dans un hammam au Maroc. Arrive une fille ensorcelante. Je la regarde – oui, même si je suis hétéro, il y a un truc homoérotique chez moi. Elle sort 150 crèmes, elle a des seins et un cul refaits, et au creux des reins, ce tatouage… »

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avoir-alire.com

https://www.avoir-alire.com/une-fille-facile-rebecca-zlotowski-critique

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Le 15 mai 2020

Si Rebecca Zlotowski est indéniablement une grande réalisatrice française, elle se perd avec ce portrait de fille facile dans un fatras de vacuité, en réduisant son héroïne principale à une caricature d’un autre temps.

Résumé : Naïma a 16 ans et vit à Cannes. Alors qu’elle se donne l’été pour choisir ce qu’elle veut faire dans la vie, sa cousine Sofia, au mode de vie attirant, vient passer les vacances avec elle. Ensemble, elles vont vivre un été inoubliable.

Critique : C’est un conte d’été. Un peu à la manière des films de la fin des années 80 où les réalisateurs se plaisaient à mettre en scène, sous le soleil estival, des bimbos aussi sensuelles que diaboliques. Bien évidemment, la réalisatrice talentueuse, Rebecca Zlotowski, cherche à faire le buzz. Elle choisit Zahia Dehar pour incarner cette cousine venue de Paris, Sofia, dont l’euphémisme fille facile s’ajuste parfaitement aux rondeurs de son corps qui inondent, voire noient l’histoire. Car hélas, la jeune fille est réduite à un corps. Certes, elle emprunte la même logorrhée verbale que Brigitte Bardot en son temps, certes, elle est puissamment jolie, mais on ne peut pas en 2019 faire insulte à ce point à la féminité. Alors, on nous dira que c’est un film écrit par une femme sur une femme, et que de fait cela nuance le point de vue. Non, ce portrait est violent, tétanisant, et fait ombrage à la comédienne, déjà connue pour les scandales qui ont jonché sa jeune existence.

L’action se situe entre Marseille et Cannes. Elle se situe surtout sur le bord des calanques, sur des yachts resplendissants ou des villas de richissimes hommes et femmes d’affaires. Bref, notre jeune Sofia n’est pas tant attirée par les hommes plus âgés qu’elle, que pour les soins pécuniaires qu’ils peuvent lui prodiguer. La réalisatrice dépeint des personnages fortunés, totalement hors-sol, fréquentant des hôtels luxueux, partageant des repas sur des bateaux sublimes ou dans des demeures dont personne ne peut soupçonner l’existence. En réalité, là où la réalisatrice réduisait son personnage féminin à une caricature de la féminité, elle en fait de même avec ces gens riches campés dans une logique stérile de classe. Ils sont aussi riches qu’ils sont arrogants, présomptueux, et surtout écervelés. Les classes populaires les regardent de loin, mais quelles classes populaires ? Des gens qui habitent des appartements donnant exactement sur la Croisette. On ne peut pas pardonner à Rebecca Zlotovski de telles erreurs d’écriture, d’autant qu’elle écrit souvent ses films avec le non moins talentueux Teddy Lussi-Modeste.

Le grand débat qui traverse les médias est de savoir si Zahia Dehar est la nouvelle Bardot. On en oublie presque du coup le personnage incarné par Benoît Magimel qui grandit en maturité et charisme. Voilà sans doute la raison pour laquelle le film ne cède pas totalement à la désinvolture. Le comédien incarne un entremetteur d’affaires, dont on ne parvient pas à comprendre vraiment le métier. C’est un homme qu’on imagine issu des classes populaires, qui a réussi, et est capable du pire comme du meilleur. Il respecte profondément les jeunes filles qui se présentent à lui, et on pressent dans son regard, enfin un peu de considération pour ces deux pauvres héroïnes rabaissées à leur goût immodéré de l’argent. Mais le portrait n’est pas assez fouillé. La réalisatrice ne parvient pas à se détacher de ses deux comédiennes dont on s’effraye de la brutalité. Finalement, ces deux jeunes filles ne sont-elles pas l’ombre de leur personnage, étant prêtes à tout jouer pour faire la vedette au cinéma ?

Voilà donc un film qu’il faut se presser d’oublier. Si manifestement l’été sera inoubliable pour les deux héroïnes, la pâture sexuelle et matérielle dans laquelle elles se vautrent ne vaut pas le coup de s’y attarder beaucoup.

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Libération

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«Une fille facile», une classe au-dessus

Jalonné de références sixties, de Bardot à Rohmer, le film de Rebecca Zlotowski révèle en Zahia Dehar une actrice ultramoderne et subtile, au service d’une radieuse chronique sociale qui a la douceur d’un conte d’été.

Par Marcos Uzal publié le 27 août 2019

Difficile d'évoquer Une fille facile sans commencer par souligner, car c'est là le cœur du film, le rôle principal qu'y tient Zahia Dehar, autrefois devenue célèbre malgré elle comme la victime d'une bruyante affaire de mœurs sur laquelle le film de Rebecca Zlotowski ne nous incite pas à nous étendre plus. Car ce préambule est là pour préciser aussitôt que ce qui pouvait sembler être un choix douteux s'avère immédiatement un pari très réussi - on y reviendra.

[ A lire aussiL'interview de Rebecca Zlotowski ]

Zahia Dehar incarne Sofia, une jeune Parisienne qui, après la mort de sa mère, débarque à Cannes chez sa cousine Naïma (Mina Farid), 16 ans, en formation dans les cuisines d’un luxueux hôtel de la ville où sa mère est femme de chambre. Un soir, elles montent dans le yacht d’un milliardaire brésilien, Andres (Nuno Lopes), qui a accosté dans le port de la ville. A son bord, Philippe (Benoît Magimel), dont on découvrira que la présence a priori amicale n’est pas épargnée par la domination de classe. Sofia a très vite une liaison avec Andres, attisée notamment par les possibilités matérielles que lui offre cette rencontre. Naïma observe les agissements de sa cousine, partagée entre réticence et admiration.

Réminiscences

Le film est émaillé de nombreuses citations et références cinématographiques, aucunement anecdotiques. Au tout début, par exemple, Sofia-Zahia marche sur une plage tandis que des gros plans détaillent quelques parties de son corps, exactement comme l'ouverture de la Collectionneuse de Rohmer. Andres et Philippe ont quelque chose d'un peu anachronique, comme sortis d'un film des années 60, tels de lointains cousins des nantis oisifs et désabusés que sut si bien dépeindre le scénariste Paul Gégauff dans Plein Soleil de Clément ou les premiers Chabrol (A double tour, les Godelureaux). Ailleurs, un rêve sensuel avec des oursins convoque Dalí et Buñuel. Et puis surtout, il y a la nonchalance et la diction de Zahia Dehar, qui font irrésistiblement penser à Brigitte Bardot, en particulier dans deux films ensoleillés auxquels on songe beaucoup : Et Dieu créa la femme de Vadim et le Mépris de Godard.

Loin d’être de nostalgiques clins d’œil aux cinéphiles, ces réminiscences, qu’il importe peu de reconnaître, permettent de jauger le présent - cinématographique autant que social - à l’aune d’une mythologie que le film ravive avec une grâce étonnante. Et pourquoi ça marche ? Avant tout parce que Zahia Dehar se révèle formidable. Non pas comme une simple imitatrice de Bardot, mais comme une incarnation contemporaine de ce mélange de naturel et de sophistication qui rendit en son temps l’actrice si moderne et déconcertante. Serge Daney écrivait que dans le film de Vadim, Bardot faisait sonner creux tous les hommes. Soixante ans plus tard, dans une autre Côte d’Azur, Zahia Dehar fait à son tour sonner creux une certaine idée de la masculinité : carafes de whisky et gros cigares, fatuité désabusée et luxe décomplexé, cynique domination sous un masque pseudo-libertaire…

Revanche

Parce que le film ne juge jamais son personnage, il fait aussi sonner creux tout le moralisme qu'une figure comme Zahia Dehar peut éveiller en ces temps parfois puritains. Avec panache et détachement, Sofia vit ce que certains assimileraient à de la prostitution comme une forme de souveraineté, presque comme un acte politique : répondre au mépris de classe et à la phallocratie en se servant chez les hommes riches. Sans illusions, elle sacrifie le romanesque sur l'autel de la lutte des classes. Et il faut qu'il se dégage d'elle beaucoup de candeur pour qu'elle ne paraisse pas le moins du monde cynique lorsqu'elle dit : «Pour moi, les sentiments, ça ne compte pas du tout. On doit jamais rien attendre, on doit toujours tout provoquer par nous-mêmes.» Bien sûr, ce qui nous touche ici, c'est aussi ce que Zahia Dehar paraît dire d'elle-même à travers Sofia (même s'il faudrait se garder de les confondre), qui relève d'une autre forme de revanche : celle d'une jeune fille lavée de la boue de la presse people pour révéler au cinéma une certaine grandeur.

Mais le film est aussi très drôle, l’attitude déconcertante de Zahia Dehar n’étant pas dénuée de puissance comique. Et il est constamment doux, malgré la violence sous-jacente. Comme si les voix (basses) des acteurs et les musiques de Caetano Veloso, Debussy ou Chet Baker s’accordaient à ce mélange d’indolence et de mélancolie qui rend cette néoactrice si émouvante.

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Encore Libération https://www.liberation.fr/cinema/2019/08/27/rebecca-zlotowski-il-y-a-une-part-de-transfert-de-libido-dans-le-cinema_1747600/

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Interview

Rebecca Zlotowski : «Il y a une part de transfert de libido dans le cinéma»

La cinéaste relate comment «Une fille facile», son premier film à se confronter au contemporain, s’est aussi inventé au gré de la complicité nouée avec son actrice, Zahia Dehar.

par Julien Gester et Sandra Onana publié le 27 août 2019

Après les circuits motos clandestins, les cintres surchauffés d'une centrale nucléaire, des studios de cinéma cernés par la montée du nazisme et quantité de chambres de femmes entre deux âges, Rebecca Zlotowski (Belle Epine, Grand Central, Planétarium) plante son quatrième long métrage, son plus simple, délié et emballant, sur la Côte d'Azur, entre Cannes et Nice, où deux jeunes femmes (les révélations Mina Farid et Zahia Dehar) vont et viennent entre plages, piaules modestes et yachts de riches fauves : Une fille facile. Entretien dans un jardin parisien.

Pourquoi avoir choisi ce titre, qui a une charge d’opprobre ? Le film et les personnages en sont pourtant quasi exempts, avec une prédominance de points de vue féminins, qui ne sont jamais dans le jugement, jamais réactionnaires, pas même la mère ?

Oui, mais cette charge regarde la personne qui parle, qui pense, en ces termes. Je me suis rendu compte à quel point Sofia [jouée par Zahia Dehar, ndlr] est un personnage spéculaire, au carrefour de plein de questions contemporaines, qui tend un miroir à qui le regarde. Sur la question du «female gaze» [regard féminin], cela m'intéresse de sortir de l'ornière qui voudrait que cela ne vienne que du féminin.

C’est-à-dire ?

L’enjeu, c’est de filmer les corps avec loyauté. Et vous relevez, comme une défense et illustration du personnage, que je les filme du point de vue de la femme, et une femme plutôt bienveillante et dans un lien familial. Mais je procède de la même manière sur le corps des hommes. Et je pense qu’on est arrivé à un moment où la mise en scène peut s’amuser de manière habile en ressaisissant le code du regard masculin : il s’agit de le scanner des pieds au crâne en épousant la courbe de la fille. Sur la mère, c’était très important qu’il y ait une promiscuité sentimentale entre elle et sa fille, et il me semblait que c’était beaucoup plus proche des rapports puissants que j’avais pu observer entre de jeunes mères célibataires et leurs filles, des rapports d’identification, d’attirance par la séduction de leur fille, plutôt que de jugement. C’est sans doute aussi ce qui distingue ce film de la chronique de classe dure, d’un certain cinéma, pour lequel je peux avoir de l’affection, qui est plus univoquement politique, et moins libidinal.

[ A lire aussiLa critique du film «Une fille facile» ]

Vous parlez de «défense et illustration» du personnage. Ce qui se joue dans une scène comme celle chez la grande bourgeoise jouée par Clotilde Courau c’est, peut-être pas une revanche, mais une réparation ?

C'est le bon mot, oui. On voit bien que tout un système de mépris, d'incompréhension, de dégoût et de réaction pourrait se mettre en place autour de la figure de cette jeune femme, et cela en fait, oui, un personnage à défendre. Je crois que, dans le film, on saisit des personnages qui peuvent nous être étrangers, et on va les regarder comme des sœurs ou des frères. Au moment du Festival de Cannes, on m'a rapporté un tweet qui évoquait [les aspects les moins glorieux du] traitement médiatique qu'avait subi Zahia et qui se réjouissait que le cinéma «répare l'époque». Ça me touche, et oui, à ma manière je vois une forme de réparation vis-à-vis d'un stéréotype. J'aime toujours beaucoup travailler sur l'archétype, tout en mettant de côté le cliché. Dans tous mes films, il y a une fille qui peut renvoyer à une idéalisation sexuelle assez patriarcale, mais que j'ai envie de raconter différemment.

L’idée d’un film et d’un monde où des lignes de fracture sociale existent, mais sans conflit, sans clash entre les personnages, sinon le strict minimum dramaturgique, notamment autour de la figure du titre ou de l’arabité des personnages qui apparaît presque anecdotique, tout cela rend le film assez à rebours du contemporain…

C’est vrai, j’aime cette douceur-là. C’est une suavité qui ne masque pas la cruauté des lignes que l’on ne va jamais dépasser. Ces filles appartiennent à une certaine catégorie sociale, les autres aussi, il y a partout dans le film des couples de maîtres et d’esclaves qui se baladent… Tout le monde monnaie quelque chose qu’il possède. C’est déjà assez violent pour que tout ça ne se passe pas sans une certaine douceur. J’ai l’impression que c’est dans la nature de ce sous-genre qui me plaît, le film d’été, d’aller avec cette douceur-là, dont j’avais besoin, dans le tournage, chez les acteurs. Ça me plaît de porter des projets non hystérisés, avec des grilles de lecture sentimentales un peu différentes d’un certain cinéma du clash, de la confrontation, de la dureté, dans lequel je ne me reconnais pas puisque mes émotions ne m’amènent pas sur ce terrain-là. Et pourtant je ressens de la violence, donc elle prend quelle forme ? Par ailleurs, c’est la première fois que je filme des choses comme des téléphones portables, du mobilier urbain, une Twingo, autant d’éléments qui incarnaient à mes yeux une agressivité, une laideur, des codes et des rapports que je mettais à distance dans mes précédents films. Et je me suis dit qu’avec celui-là, j’allais me confronter à l’époque, mais je me rends compte que je l’ai filmée avec un énorme coussin - de poésie j’espère. Qui me permet de raconter les liens sans les travestir, mais en les adoucissant. J’aime les récits optimistes.

A partir de votre rencontre sur Instagram et de vos premiers échanges, qu’est-ce que le film doit à Zahia Dehar ?

Beaucoup. Par le fait qu'elle était là tôt sur le projet, comme Léa Seydoux sur Belle Epine, il y a un échange qui s'est installé, qui a apporté des scènes, des éléments narratifs. Et au-delà de l'apport de la personne au personnage, il y a tout un imaginaire des années 60 qui vient avec elle, et tout ce projet a commencé à prendre du sens dans la relation entre une certaine cinéphilie que j'ai - des films par lesquels ma construction sociale de la féminité est beaucoup passée, étant orpheline de mère - et cette culture qui traversait aussi Zahia Dehar. Et tout ça s'est retrouvé au cœur d'Une fille facile, qui évoque par sa manière de parler quelque chose de légèrement anachronique, et qui me bouleverse parce qu'elle a un corps totalement contemporain. C'est cette complexité, cette surprise-là qu'elle a apportée dans le film.

Qu’entendez-vous par anachronique ?

Il y a une part de mélancolie très puissante chez elle, qui me plaît chez les acteurs. Il y a la même chez Benoît Magimel. J’aime les acteurs dont on sent qu’ils se sont inventé un rapport à leur genre, à leur sexe, d’une manière un peu exagérée. Il a une stature de Sean Penn ou, si on remonte un peu, il y a quelque chose de Cary Grant en lui. On sent qu’il brouille les pistes, il a une espèce de pudeur d’homme féminin qui est un héritage des quarante dernières années. Zahia Dehar est hyper mélancolique, au bord de la dépression parfois, et en cela, est anachronique en tout point. Cela faisait vraiment partie du projet. J’aime souvent faire des films qui se conjuguent à l’imparfait. Comment réussir à filmer du contemporain en le réinventant sans en prendre tous les tics et les travers ? C’est peut-être ça, un projet de pop culture. Et les travers du monde dans lequel on vit, on les connaît : un libéralisme dégoûtant, une hystérisation des rapports, une absence de douceur, un cynisme…

Pensez-vous, alors qu’elle devient tout juste actrice, que Zahia Dehar soit indissociable d’un sujet, qu’elle porterait en elle par son histoire, par son discours féministe très affirmé, ou encore par les goûts qu’elle affiche - pour Cet Obscur Objet du désir de Buñuel par exemple -, qui renvoient souvent à la tension entre désir, liberté et argent ?

Il y a ça, mais aussi les rapports de force. Je ne connais pas toute sa cinéphilie, mais c’est plutôt un usage du cinéma comme excitant, comme zone d’érotisme, qui l’intéresse, et ce n’est pas loin de moi. Moi aussi j’adore ça, et j’ai envie d’aller plus loin là-dedans. Je le vois bien quand la personne à la Cinémathèque à côté de moi regarde un film avec un sac plastique dans la main droite tout en se masturbant de la main gauche : il y a une part masturbatoire, de transfert de libido dans le cinéma. Pour elle comme pour moi, c’est un champ de la représentation qui fabrique de la pensée mais aussi de l’érotisme. Je suis intéressée par l’un et l’autre, mais de plus en plus par la circulation de l’érotisme. Et quand je dis ça, il ne s’agit pas juste de sexualité à l’écran et de nudité. Alors il se peut qu’elle soit assignée à ça, peut-être. Mais c’est une actrice en tout cas qui n’en a pas peur. Et ce qui me passionne, ce n’est pas tant qu’elle soit si à l’aise avec sa nudité, sa sexualité - ça, beaucoup de femmes le sont. Ce qui m’intéresse, c’est qu’elle le revendique. Et c’est là qu’elle est moderne, c’est là qu’elle est courageuse et qu’elle est transgressive. C’est du napalm pour plein de gens, notamment issus de son milieu. Je m’enorgueillis de penser qu’après ce personnage, on ne la regardera pas de la même manière.

Quel genre de carrière lui prédisez-vous ?

Je n’en étais pas sûre avant, mais après l’avoir vue sur le plateau et en promotion pour le film, j’ai la certitude qu’elle va inspirer d’autres metteurs en scène sur un registre comique, plus inattendu. C’est une actrice comique géniale, avec une sorte de fausse candeur, de corset, de surmoi. D’inadéquation entre l’époque et ce qu’elle est, de classe, d’élégance, de fausse bêtise, d’humour, avec une construction un peu campée de son personnage : tout cela en fait une actrice comique puissante.

Vous avez souvent loué qu’elle ne se plaignait jamais de la faim, de la fatigue, n’avait pas de problème de pudeur, etc. Ça interpelle : on peut d’une part se dire que la pudeur n’est pas forcément un caprice, d’autre part se demander à quel point vous avez des messages à faire passer à Léa Seydoux, Natalie Portman…

En l'occurrence j'ai dit la même chose les concernant ! Zahia Dehar s'inscrit dans mon désir pour certaines actrices qui n'ont pas de limites, notamment sur leur nudité, et qui sont généreuses avec. Je n'ai jamais de difficulté avec les acteurs, ou peut-être un peu plus avec les hommes. Est-ce lié au fait que ce soit une femme qui les filme ? Et c'est chiant, pour un metteur en scène qui a mesuré sa demande, de devoir la négocier, la questionner. Parce qu'en vérité, quand on demande une nudité, dont on sait bien que ce n'est pas pareil que des larmes, je peux totalement comprendre et respecter [les réticences], mais malgré tout, c'est une remise en question d'une demande de cinéaste qui fait sens dans le projet du film. Même si on est un petit peu roublard parfois, parce qu'au fond, la libido peut aussi s'exercer entre deux personnes du même sexe, et de temps en temps, mettre les actrices nues procède d'une espèce de fascination de démiurge quand on se dit que l'on peut demander à quelqu'un de se dénuder, et que la personne va le faire. Mais ça fait partie aussi de cette espèce de contrat, consenti, bouleversant qu'il y a entre une metteuse en scène et une actrice ou un acteur. Et qu'on doit revendiquer, qu'on doit prôner. Ça doit continuer à exister, en parfaite intelligence et possession de ses moyens de part et d'autre.

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"ma Non Critique" du30 mai 2022 à 10h

Jean-2022
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le 30 mai 2022

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