Avec Une Petite sœur pour l'été, Ôshima Nagisa termine un long cycle, qu'il avait commencé alors qu'il était encore sous le joug de la Shochiku avant de prendre - avec difficulté tant le contexte était difficile - son indépendance. En 1971, le réalisateur signe Gishiki (La Cérémonie), un drame étouffant dans lequel les personnages sont écrasés par le poids de la tradition, représenté par la figure patriarcale implacable du chef de famille. La fin du film voit le suicide de celui qui devrait prendre sa place une fois celui-ci décédé ainsi que la folie s'emparer du personnage principal, qui se remémore un souvenir de son enfance en jouant au baseball avec des souvenirs.

Sombre, pessimiste, le film d'Ôshima Nagisa - un chef d'œuvre du cinéma mondial - était sans espoir quant à l'avenir. Pour contrebalancer cette tendance, Ôshima signe l'année suivante une comédie légère : c'est Une Petite soeur pour l'été.
Filmant toujours son époque sur le vif et volontairement sans recul, Ôshima se sert du cadre de 1972 pour poser l'intrigue de son film : le retour d'Okinawa au Japon, alors sous contrôle américain depuis 1945.

La date de 1972 signe un tournant dans la vie d'Ôshima et de toute sa génération. En effet, le réalisateur s'est toujours inscrit dans les mouvances d'extrême gauche (en prenant un soin particulier à n'adhérer à aucun Parti), et plus particulièrement les luttes étudiantes, celle de 1960 et celle de 1969. Des revendications étudiantes, nous retrouvons à peu près les mêmes que celles des autres luttes qui avaient court dans le monde, notamment en France avec mai 1968. Cependant, une des revendications spécifique des étudiants japonais était le retour d'Okinawa au Japon, une façon de mettre une épine dans le pied du pouvoir, que la jeunesse disait être à la botte de l'empire américain. Sans entrer dans les détails, la lutte étudiante japonaise, d'une très rare violence (on parle de guerre de Tokyo), se solda par l'échec du mouvement réprimé par les forces gouvernementales.

13 ans plus tard, Ôshima sent qu'il appartient à une génération du passé et décide de quitter le monde de la jeunesse (puisqu'il dit que c'est la jeunesse qui l'habite qui lui a donné envie de militer et de réaliser des films). Si la lutte était avant tout une lutte d'idées, Okinawa, un territoire, une île, matérialise et symbolise ce changement d'époque. Sa rétrocession au Japon peut être comprise comme la fin définitive de la lutte étudiante, désormais sans revendications.

Si la majorité des Japonais comme des habitants d'Okinawa étaient favorables à la rétrocession, Ôshima Nagisa, en indépendant, pose la question en filigrane de la légitimité de l'occupation japonaise de l'archipel après le départ des Etats-Unis, eux aussi illégitimes. Mais au lieu de trancher la question et de montrer son opinion, il laisse à un personnage jeune qui effleure à peine la vingtaine d'années tenter de démêler en vain une enquête sur l'identité de son frère perdu à Okinawa dont le jeu de symbole, qu'il faut avouer abscons, reflète l'indécision de la situation identitaire de l'île de l'époque.

Le film, complexe (les rapports familiaux rappellent ceux du film Gishiki, dont on peut voir qu'il est un descendant direct) et sans réponse, a pour but de laisser dans les mains de la jeunesse une réponse qu'elle doit formuler elle-même à l'avenir. Ôshima, se retirant, n'impose pas sa vision et laisse le libre arbitre à l'héroïne.

Film mineur, loin des chef-d'œuvres de ce ce réalisateur, à la tête d'un cinéma pourfendeur, Une Petite soeur pour l'été n'en est pas moins capital car il est comme un sceau qui achève un cycle et lui donne sens rétrospectivement.

Ôshima restera dans une période de silence quatre années durant avant de revenir avec un film radicalement différent, une co-production française qui défraya la chronique : le film pornographique Ai no Corrida (Corrida de l'amour), ou l'Empire des Sens.
numerimaniac
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le 19 déc. 2010

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