Bien joué M. Peele !
Us est un jeu de masques savamment échafaudé dont le final réussit à faire voler en éclats les certitudes d'un spectateur qui, chose rare, ne se plaindra pas d'avoir été trompé sur la marchandise.
Les deux premières séquences sont audacieuses, percutantes, intrigantes, dignes de l'auteur d'un Get Out toujours très côté dans les souvenirs cinématographiques récents. Qu'il s'agisse du mystérieux zoom sur Hands Across America ou du fameux drame à la fête foraine, il flotte comme un délicieux parfum de malaise. Un enchainement presque génial tant il interroge sur la nature de l'intrigue qui se met en place et rend difficile la prise de repères tangibles. Le réel semble le disputer au surnaturel (le palais des glaces sur la plage, quasi à l'abri des regards, l'illuminé au carton 11:11...), un constat qu'on a tôt fait d'oublier lorsque le scénario s'emballe davantage.
Et c'est là que je m'en veux. Comment ai-je pu penser ne serait-ce qu'une seconde (en réalité, ladite seconde a duré plus d'une heure trente) que Peele était du genre à tout envoyer balader au profit d'un spectacle décérébré, premier degré et sacrifiant le fond pour la forme ? A partir du moment où les Wilson rencontrent leur double et que la vie de la famille est franchement menacée, je me suis dit qu'on n'aurait pas mieux qu'un bon vieux slasher passablement réjouissant mais dont le niveau de créativité s'élèverait à peine au-dessus du niveau zéro. Le déchainement de violence gratuite qui s'ensuit ne me donne pas tort (à ce stade, le film montre plus qu'il ne suggère et les effets visuels ne donnent pas vraiment dans la subtilité, en témoigne le massacre du couple d'amis et de leurs enfants) et il faut attendre le dernier acte pour que l'oeuvre prenne enfin une vraie dimension.
Au terme d'un face à face mouvementé entre Adelaide et son döppelganger, tout s'éclaire. Même on peut lui reprocher d'être un brin trop démonstratif, Peele fournit toutes les clés de compréhension nécessaires à une relecture de son histoire, sorte de cauchemar prophétique d'une Amérique condamnée à payer tôt ou tard ses manques à l'égard des minorités (cf. la victoire manifeste des clones sur le dernier plan, de toute beauté). En fait, ce film est là pour rappeler qu'il existe une société des oubliés malgré les façades derrière lesquelles le pays se cache pour se donner bonne conscience.
Avec Us, Jordan Peele frappe au moins aussi fort qu'avec Get Out. Il prouve définitivement qu'il a des choses à exprimer et qu'il ne manque pas de ressources pour le faire.