Les étranges paradoxes de la cinéphilie sont autant de figures impénétrables, et Valérie au pays des merveilles en est la preuve: quoi de plus original que de vouer un culte à un film qui dénonce le culte? A l'heure de la libération des mœurs, mais aussi et surtout à celle de l'invasion de la Tchécoslovaquie par la Russie, Jaromil Jires entend en effet taper un peu partout comme un bourrin, tout à la fois sur le conformiste et son porte-étendard - la religion -, et ce à grands coups de saphisme et attractions incestueuses. C'est le mythe du vampire qui écope encore une fois du sale boulot symbolique: famille dysfonctionnelle, pères pervers, grand-mères aux dents-longues, en multipliant et dédoublant chaque personnage, brouillant les pistes identitaires, Jaromil Jires rend palpable l'égarement de son héroïne.

Si seulement le pauvre homme s'en était tenu là. Car si Valérie s'égare et nous égare, c'est aussi que le film qu'elle hante est abscons, mais tristement abscons. De ces films dont on voit bien qu'ils essaient de nous dire quelque chose mais qui se ferme tristement à la compréhension par excès de zèle. Le coupable? La mise en scène, effort d’esthète à double tranchant, diamant noir de plongés et contre-plongés parfaitement maîtrisés. Il faudrait être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître l'incroyable élégance formelle du film, l'aura de magie sensuelle que chaque plan parvient instaurer; mais tout semble ployer sous le fantasme d'une époque révolue, au final bien plus vivace que la seule volonté de faire rêver, ou même celle tout autant légitime d'effrayer. Assimilé par une maladresse de traduction au chef d'oeuvre de Lewis Carroll, il est clair que Valérie en a l'ambition, mais pas tant la subtile cruauté - reste un plaisir de cinéphile, le culte d'entre tous, entretenu par le quasi-anonymat dans lequel le film a longtemps été plongé, soudainement exhumé des abysses pour le plaisir des yeux, de la libido et de la culture générale.

Un truc de hipster, quoi.
ClémentRL
6
Écrit par

Créée

le 5 juil. 2013

Critique lue 840 fois

13 j'aime

1 commentaire

Critique lue 840 fois

13
1

D'autres avis sur Valérie au pays des merveilles

Valérie au pays des merveilles
soma
9

Un conte fascinant où émerveillement et cauchemar se mêlent avec tendresse.

Le spectre du désir rôde dans ce monde à la fois merveilleux et inquiétant qu'arpente notre douce héroïne, et il prendra de nombreuses formes. Certains démons la pourchasserons comme ceux de...

Par

le 20 juil. 2011

22 j'aime

2

Valérie au pays des merveilles
Voracinéphile
7

Critique de Valérie au pays des merveilles par Voracinéphile

Ce genre de projet met immédiatement le spectateur en face d’un petit dilemme. Les objets cinéphiles fantasmés possèdent souvent un sous texte sexuel (chez Argento, certaines séquences sont...

le 20 oct. 2013

20 j'aime

7

Du même critique

La La Land
ClémentRL
5

Critique de La La Land par Clément en Marinière

Les détracteurs du genre auront tôt fait d'agglomérer toutes les comédies musicales du septième art, nonobstant leur grande diversité, en un magma indifférenciable de sentimentalisme neuneu et de...

le 30 janv. 2017

107 j'aime

8

Emily in Paris
ClémentRL
2

Critique de Emily in Paris par Clément en Marinière

En 1951, le jeune et fringant peintre Jerry Mulligan débarque à Paris pour y devenir artiste, et sans tout à fait y parvenir, trouve malgré tout l'amour, le véritable amour, celui qui se déclare...

le 10 oct. 2020

104 j'aime

9

Only Lovers Left Alive
ClémentRL
4

What a drag!

Le monde va mal! Et tout en assistant à sa décadence, ses plus illustres ancêtres, Adam et Eve (tout un programme symbolique, j'aime autant vous prévenir) se repaissent de leur chair mutuelle. Voilà...

le 20 févr. 2014

79 j'aime

10