Il y a quelque chose d'étrange dans ce film de Johnnie To. C'est le 6ème film (si je ne me trompe pas) que je regarde de lui et j'ai senti quelque chose d'étrange avec ce film. Pourtant, ce n'est pas mon préféré, loin de là, ce n'est pas son meilleur non plus, mais j'éprouve une affection particulière à son égard.


«Vengeance» est un film tout ce qu'il y a de plus banal, un scénario très (trop?) classique, parfois bancal, avec quelques facilités scénaristiques et incohérences. Pourtant, je ne peux m'empêcher d'y voir un énorme hommage à l'idole de To (et à de nombreux autres cinéastes HK tels que John Woo), je veux bien évidemment parler de Jean-Pierre Melville. Cet hommage peut se voir à travers un personnage, celui incarné par Johnny Hallyday. Tout d'abord à travers le nom-même du personnage, Costello, qui n'est autre que le même nom du personnage incarné par Alain Delon dans «Le Samouraï», ce dernier devait jouer le rôle-titre dans «Vengeance» mais a dû refusé. Tentative avorté de faire revivre le personnage mythique par To (avant de faire le remake du «Cercle Rouge» du même Melville), il se contentera de Johnny Hallyday se disait-il… erreur.
En effet, To ne s'est pas trompé en appelant Hallyday pour participer au film, dès leur première rencontre, il a su qu'il pouvait tirer quelque chose de lui. «Le regard de Johnny est l'un des plus étranges qu'il m'a été permis de croiser.» dira-t-il. Dès lors, il a su qu'il pouvait créer un personnage, du même genre que celui de Delon. Mais ça, c'était il y a 40 ans. Il y a alors une sorte de coupure dans le film, entre Costello et le monde qui l'entoure, c'est à la fois un étranger pour la population chinoise mais aussi dans le monde lui-même, c'est un vestige, que dis-je, une relique d'un passé déchu et oublié. Vêtu d'un pardessus au col relevé et d'un borsalino, la ressemblance avec Delon n'en est que plus troublante, Johnny ressemble à un fantôme du cinéma policier français des 70's de par ses vêtements, mais aussi par son jeu d'acteur.
S'il y a bien un point où le film s'est fait bâché par les spectateurs (et une petite partie de la presse), c'est bien notre Johnny et son jeu d'acteur. Certes, au premier abord, ça casse pas trois pattes à un canard mais, en y regardant de plus près, son jeu est plus subtil qu'il n'y paraît. Souffrant du fameux syndrome Elvis Presley, notre star est toujours vu comme le rocker et non comme l'acteur. Parce que Johnny rêvait d'être acteur avant même d'être chanteur. Melville le voulait à la place de Gian Maria Volonte pour son «Cercle Rouge» (il ne pardonnera jamais à l'acteur de lui avoir pris sa place) et Johnny s'en est retrouvé marqué, psychologiquement et physiquement, lui qui a failli mourir d'un accident de voiture lors du premier jour de tournage, en rentrant chez lui pour préparer son concert, après son éviction du film. S'en est suivi que des films de bas-étage, n'offrant à aucun moment un espoir pour la carrière cinématographique de Johnny (mis à part «Détective» et «L'Homme du train» selon certaines personnes).
«Johnny Hallyday, le rôle de sa vie» indiquait l'excellent (et passionnant) article paru dans Le Monde(*). Parce que «Vengeance» lui rend hommage… et le venge. Le scénario n'est pas uniquement basé sur la vengeance d'un homme qui a perdu sa fille et ses petits-enfants, il est, en somme, plus subtil que ça. C'est un film sur la vengeance de notre Johnny, sur sa vie et sur sa carrière. Une carrière au cinéma prometteuse avorté par les producteurs italiens, une image d'éternel rocker collé à la peau, le film montre justement l'exact opposé de tout cela. Johnny ne joue pas de personnage, il se contente d'être lui-même, loin des clichés qui lui collent à la peau. La scène la plus frappante et la plus criante de vérité reste celle où il arrive sur une plage et joue avec des enfants, juste après sa parte de mémoire. "Je tenais tellement à me servir de ce que je vis aujourd'hui avec ma famille et l'insérer à l'écran. La solitude me fout la trouille, je ne voulais pas terminer seul, mais entouré de gamins." dira-t-il pour justifier cette scène.
Un visage marqué par la vieillesse, des pertes de mémoire, un regard vide, taciturne, voilà de quoi est composé le personnage de Johnny. On peut tout de même noter l'apparition de la troupe habituelle de To (Anthony Wong, Simon Yam, Suet Lam) qui s'en tire aussi avec les honneurs. Les scènes de violence m'ont tout de même paru un tantinet plus violentes, le sang giclant plus qu'à l’accoutume. Ces scènes-là sont toujours aussi stylisées esthétiquement parlant, avec des ralentis à faire pâlir le maître John Woo qui rendent les scènes encore plus belles (façon de parler). La mise en scène (hors scènes de violence) me parait moins percutante par rapport aux autres films de To mais cela n’empêche pas le film d'être excellent visuellement. Certains plans sont vraiment à tomber à la renverse (notamment un dans la fusillade dans le forêt qui m'a marqué) et certaines séquences valent vraiment le coup d’œil (le passage où il perd la mémoire, d'une beauté inouïe).
«Vengeance» est donc, pour moi, un bon film et une véritable découverte concernant notre Johnny. Je vais continuer mon excursion dans l'univers de Johnnie To, n'ayant fait, pour l'instant, aucun faux pas pour moi.
(*) : http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2009/05/08/johnny-hallyday-le-role-de-sa-vie_1190708_766360.html
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le 4 sept. 2014

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