La Lituanie, qui n’est pas forcément la nation à laquelle on pense en premier en matière de cinéma, nous livre, en collaboration avec la France et la Belgique, “Vesper Chronicles”, l'un des films de SF les plus intéressants du moment !
D’un postulat pourtant revisité à outrance depuis quelques décennies déjà - à savoir la fin de la biodiversité amenant à la mort de notre planète - le duo de réalisateurs Kristina Buožytė et Bruno Samper entraîne le spectateur dans un récit aussi audacieux qu'intelligent ! Au travers d’un prologue à la noirceur abyssale, nous découvrons la jeune Vesper (Raffiella Chapman), accompagnée d’un drone rondouillard, au milieu d’un bourbier, ou plutôt d’une rizière de fortune, à la recherche d’une hypothétique nourriture, avec en arrière-plan, d’immenses machines, certainement des moissonneuses en décrépitude.
Cette imagerie futuriste - que n’aurait pas reniée “Dune” de Denis Villeneuve - est là pour conforter le propos d’un monde en putréfaction, en apparence tout du moins, car si on y regarde de plus près, l’infiniment petit est essentiel dans “Vesper Chronicles”. Nous apprenons lors du générique, que depuis l’effondrement, les plus riches vivent en autarcie dans des "citadelles". L’humanité restante survit tant bien que mal en essayant de récolter les semences vendues par les citadelles ! Les graines fournies par les riches producteurs, ont, non seulement un ADN modifié, mais aussi verrouillé. Pour obtenir un déverrouillage, ceux d’en dessous, doivent vendre leur sang pour les laboratoires de génétique des citadelles. En quelques minutes, grâce à la richesse de son scénario et de ses images, le long-métrage pose les jalons d’une fable écologique déconcertante qui ne donne jamais de leçons. C’est dans une vieille maison au fond d’une forêt, que Vesper vit avec Darius, son père (Richard Brake). Vétéran d’une ancienne guerre, celui-ci se trouvant dans un état végétatif, ne communique avec sa fille que par l’intermédiaire d’un drone. Ce drôle de monde qui ressemble - pour le commun des mortels - à un cimetière à ciel ouvert, est en réalité pour la jeune fille, un terrain d’expérimentations infini. L’évolution a transformé la faune et la flore en s’adaptant à la dureté de l’environnement. Biologiste de génie, malgré son jeune âge, Vesper est à l’écoute de ce micro système en pleine mutation. Non loin de là, se trouve la petite communauté de Jonas (Eddie Marsan), le frère de Darius. Une poignée d’enfants (aux difformités apparentes, stigmates des pollutions qu’a subies la Terre Mère), vivent sous la coupe de cet étrange personnage qui vend le sang de ses disciples contre de la nourriture. À la fois paternel et sadique, attentionné et sans pitié, Jonas s’érige en véritable “majesté des mouches”. Un jour, alors que Vesper s’adonne à ses occupations scientifiques, elle est témoin du crash d’un vaisseau, elle sauvera d’une mort certaine Camélia (Rosie McEwen), l’une des passagères de l’aéronef… Entre le conte à la Charles Dickens, le décorum fantastique de "Annihilation" et “Prospect”, ou encore le monde dystopique et inégalitaire de “Elysium”, “Vesper Chronicles” et sa vision cauchemardesque du futur, mais pour autant pas exempt d’espoir (voir le climax), ne s’inscrit à aucun moment en inquisitrice des erreurs du passé, commises par des générations d’inconscients. On peut même lire avant le générique final l'épitaphe suivante : “A nos mères et à nos pères”. Instigatrices d’une mythologie ultra-originale, ces chroniques sont l’exemple parfait qu’il existe encore un 7e Art - fertile, celui-là - au-delà des algorithmes des plateformes de streaming et du formatage des grands studios !