Victim
6.8
Victim

Film de Ringo Lam (1999)

Après révision, j'apprécie ce film hybride nettement plus, même si j'en retire plus de respect que de véritable "amour". Car après avoir découvert Full Alert, nul doute que Victim s'inscrit dans sa directe continuité, Lam signant une oeuvre, s'il est possible, encore plus noire et pessimiste, voire nihiliste si un bref rappel à la normalité ne venait pas faire signe au flic qu'il va un peu trop loin (la séquence d'anniversaire, sacrément tendue). Mais le plus surprenant est son mélange des genres, faisant passer son film pour un film de fantômes et de possession pour ensuite virer vers un thriller plus terre à terre avec un twist qui paraît un peu pataud. Et pourtant c'est fou de voir comment ces deux registres se chevauchent (à travers notamment une séquence de miroirs) pour se parasiter mutuellement, et enfin rejaillir ou mettre en lumière la personnalité de ces deux âmes perdues et solitaires que sont ce flic déterminé prêt à tout risquer pour son métier et cette mystérieuse personne qu'il poursuit dont on ne comprendra le rôle et les tenants et aboutissants qu'à la toute fin du métrage.


Et même s'il s'agit d'un premier essai, force de constater que Lam s'en tire admirablement pour créer une véritable aura fantastique autour de cette maison soit-disant hantée, et j'aurais presque préféré qu'il continue entièrement vers cette voie tant il sait mettre en forme ses thématiques du double à travers ce genre éculé. Mais avec Lam aux commandes, on peut être sûr qu'il ne peut rester en place dans un seul genre et va démultiplier son récit de manière quasi schizophrénique, à l'image de ses personnages tiraillés de toutes parts par un milieu oppressant, mieux, emblématique, puisqu'on nous rappelle à plusieurs moments la rétrocession récente et le nouveau millénaire qui s'en vient. Autre intérêt du côté histoire de fantômes, c'est la symbolique du temps qui passe trop vite et démolissant tout sur son passage, rajoutant au sentiment d'urgence déjà bien présent. Bref, on ne peut pas dire que ce chaos programmé des genres et du cheminement des personnages soit anodin.


Malgré tout, même si encore une fois j'insiste sur la cohérence globale du métrage, je trouve que par moments ça fait un peu forcé, comme la paranoïa galopante du flic et de son alter-ego, et tout particulièrement tout ce qui tourne autour de leur relation avec les femmes, qu'ils suspectent de manière totalement folle. Et encore une fois, j'ai un peu de mal avec la transition du mec d'abord renfrogné, voire autiste, puis qui se révèle bien plus calculateur par la suite. Alors du coup j'ai eu l'impression de voir deux films en un (fantastique et thriller/enquête réaliste), et ce malgré une contamination inter-genre sur certains aspects du film (les personnages, les ambiances) qui m'ont passionné d'un bout à l'autre et qui en dit beaucoup sur la manière dont Lam perçoit "son" monde et son avenir, ce que vient appuyer, semble t-il, cette conclusion qui surligne (même si c'est réussi esthétiquement) une tendance plutôt que l'autre alors que j'aurais préféré qu'on nous laisse davantage dans le flou.


Mais bon, malgré mes griefs, Victim est une oeuvre glaçante, hantée, certainement le constat le plus noir et féroce que Lam a pu laissé sur la nature humaine, conduite par une troupe d'acteurs investis. En tête, les deux protagonistes, l'un interprété par Lau Ching-wan, qui après la perle noire Full Alert, semble incarner, avec un certain talent, le personnage torturé aux motifs ambigus qu'il poursuivait dans ce dernier, et l'autre par Tony Leung Ka-fai, qui rayonne encore une fois par son charisme et m'a encore plus épaté que son comparse dans sa capacité à faire plonger son personnage dans une folie latente de plus en plus prégnante au fur et à mesure que son enquête progresse vers un terrain de plus en plus glissant. Le tout est emballé dans un écrin sobre et pourtant parcouru de séquences dantesques, à l'image de cette course-poursuite en pleine nuit dont Lam a le secret et déjà sacrément tendue en slalomant de près les autres véhicules, et surtout cette avant-dernière séquence qui surprend son monde par son côté expéditif et glauque. Il est d'ailleurs symptomatique que Lam ne reviendra plus jamais vers quelque chose d'aussi sombre dans sa carrière (mais encore une fois, ceci est compensé par une petite mais révélatrice touche d'optimisme qui vient se poindre à travers le personnage du flic).

Arnaud_Mercadie
7
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le 15 mai 2017

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2 j'aime

Dun

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