Biographie d'Ida Dalser, maîtresse de Benito Mussolini, Vincere est un baroque et habile montage faits de documents d'archives du Duce autour d'une trame fictionnelle ayant comme arrière-plan l'Italie fasciste.


Le dictateur Italien apparaît d'abord au centre de l'intrigue. Évoluant toujours dans l'obscurité, homme de peu de mots, se démarquant déjà par le caractère radical de ses idées, peu adulé, sans grand charisme malgré la facilité à s'exprimer en public grâce à une grande désinhibition, il se meut encore dans l'anonymat et apparaît matériellement tapi dans l'obscurité, fruit des ténèbres. Son visage est d'ailleurs souvent plongé dans le noir et s'il est parfois éclairé, ce n'est que d'un côté, comme pour souligner la dualité du futur homme d’État qui corrompra ses idéaux d'homme intègre, socialiste et anti-clérical pour atteindre ses fins.


Puis, une fois qu'il accède à la gloire, il disparaît du récit, passant de l'histoire à l'Histoire, au profit de sa maîtresse Ida, la mère de son éponyme enfant adultère, qu'il reniera. Ce refus de reconnaître sa descendance et les liens maritaux forment le nœud de l'intrigue, puisqu'il deviendra l'obsession qui hantera Ida et l'entraînera dans une série de mésaventures la conduisant presque à sa perte.


Mais si cette déchéance et ce passage progressif vers la folie occupent l'essentiel du film, se limiter à la lecture superficielle du fait divers serait une erreur tant il occupe une fonction symbolique le dépassant. En effet, Ida, nous est présentée ici comme une figure allégorique de l'Italie et de ses valeurs - la Liberté (elle qui sera enfermée dans un asile psychiatrique), la Justice (elle qui n'arrivera jamais à faire reconnaître les devoirs du père naturel de son enfant) et la Vérité (elle dont on niera toujours la véracité des faits et des propos) - valeurs que le Duce trahira pour réaliser ses desseins. Celui-ci, en confisquant son enfant à l'autorité maternelle d'Ida, agit en écho avec son rôle politique de dictateur s'accaparant du pouvoir de l'Italie qu'il avait d'abord promis concédé au peuple. Aussi, l'état permanent de révolte dans lequel est plongé Ida et que le Duce et ses collaborateurs tentent de neutraliser personnifie un peuple dont la rage croit dans son sein rebelle mais qui devra se taire pour ne pas périr, ce que confirme le dialogue entre Ida et le psychiatre qui prend alors une dimension absolue: «Aujourd'hui, il faut être bon comédien. Et votre rôle Ida, le personnage que vous devez jouer pour vous en sortir, ce n'est pas celui de la rebelle agitée en permanence. Au contraire, il faut jouer la femme quelconque, obéissante, tacite, taciturne, la femme fasciste, qui sait rester à sa place.» Le va-et-vient entre récit et réalité historique est donc constant, et les nombreuses scènes se déroulant au cinéma deviennent autant de mises en abîme activant ces savants jeux de miroir où la mise en scène de Bellocchio répond à celle de Mussolini.


Outre l'excellent jeu d'acteur de Giovanna Mezzogiorno (Ida), la surprenante calligraphie fasciste utilisée, le grand soin esthétique apporté à presque chaque scène, le montage parfait n'hésitant pas à recourir régulièrement à l'ellipse afin de conserver un équilibre entre l'élan de révolte et la domination autoritaire de celle-ci, le traitement de la dictature présentée comme une séduction physique des masses démontrent l'originalité et la profondeur du travail de Bellocchio qui fait encore preuve de son grand talent de cinéaste avec Vincere, sublime et intemporel manifeste de la révolte.

Marlon_B
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le 28 déc. 2016

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Marlon_B

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