Vision
5.4
Vision

Film de Margarethe Von Trotta (2009)

Parfois, on tend la joue pour se prendre une baffe, et ça ne sert à rien. C'est ce qui m'est arrivé avec ce film, ou devrais-je dire plutôt téléfilm, que j'avais décidé de regarder pour m'offrir une petite distraction historique. Non pas que je sentais le chef-d'œuvre derrière l'affiche, mais parce que je pensais vainement que la vision de cet opus aurait pu m'apporter des informations intéressantes sur la vie de la Sainte Hildegarde de Bingen, que je connaissais pour ses partitions de chant et vielle à roue splendides.


Il faut dire que le personnage de cette dame, canonisée en 2012 par Benoît XVI et nommée Docteur de l'Eglise, est assez extraordinaire. Née d'une famille de notables à la fin du XI ème siècle, elle a des visions depuis qu'elle est petite et insiste fortement pour aller recevoir l'enseignement de l'église. Elle entre ainsi au couvent à 8 ans et reçoit le voile à 14 des mains d'un évêque important, elle écrit des ouvrages sur la médecine et des partitions de musique; elle rédigera avec l'aide du moine Volmar et de la moniale Richardis le compendium de ses visions, richement illustré, qui est une sorte de manuel de salut médiéval. Elle a fondé une nouvelle abbaye et s'est même inventé sa propre langue et écriture, dont la plupart des mots sont perdus. Douée en médecine, elle était acclamée par la population pour ses guérisons miraculeuses. Autant dire qu'il s'agit là d'une personnalité extraordinaire, et l'on comprend la volonté de faire un film biographique, tant sa vie est remplie et la période mystérieuse.


Le film s'ouvre sur un paysage lunaire et son sous-titre: Nous sommes à la dernière nuit du premier millénaire. Quand on sait que sainte Hildegarde est née en 1098, ça fait tiquer, mais passons. Le plan glisse et, par une succession d'effets, on voit le dos d'un type qui se flagelle sur fond de bougies et de prières mal accordées. On attend la fin du monde etc... Les plans mettent l'accent sur une petite fille qu'on est forcé d'identifier comme Hildegarde, malgré le problème de dates. Pour un film historique, ça la fout quand même un peu mal. Car, à la différence de nombreux personnages médiévaux, la vie d'Hildegarde est très bien connue et documentée, et ne pose aucun problème de datation. Plus étrange encore, le film se dédit de son introduction en nous plaçant cent ans plus tard, soit aux vraies dates de Hildegarde... Cette ouverture n'était donc là que pour faire bien? Pourquoi mettre l'accent sur la gamine si ce n'est pas le personnage principal? La lourdeur malhabile du procédé me laissait mal augurer de la suite, avec raison.


Globalement, le problème du film repose sur une incompréhension totale de la pensée et des enjeux au Moyen-Âge. Je ne suis pas moi-même une grande spécialiste, mais je me suis suffisamment penchée sur des ouvrages de scolastique et de théologie pour savoir que ce qu'on montre dans ce film, c'est vraiment n'importe quoi. Hildegarde, mystique saisie notoire, est jouée par une dondon allemande froide et un peu salope sur les bords, qui donne des ordres énergiques à tout le monde et qui fait preuve d'une horrible fausse modestie factice (parce qu'il y a plusieurs niveaux de factice dans un film...), à laquelle il n'y a pas moyen de croire une seule seconde tant c'est téléphoné. À cela s'ajoute une espèce de suggestion salace et de conflit homme-femme dont le féminisme est aussi inefficace qu'on refuse à la protagoniste d'être autre chose qu'une femme qui se bat contre les hommes. L'extraordinaire Hildegarde, dont j'admire personnellement la vie, les œuvres et l'imagination dont elle fait preuve, femme de foi et de retenue, est dépeinte ici comme une sorte d'hystérique "avide de savoir" (enfin vite fait), qui reçoit des livres anciens flambants neufs (là aussi je tique, on ne s'est mis à recopier ces ouvrages qu'à la moitié son époque...) comme s'il s'agissait de nouveaux jouets. C'est, naturellement, un homme qui les lui offre, homme avec lequel le film suggère en permanence qu'ils sont amants. Enfin pourquoi pas, remarque, mais la lourdeur du procédé est assez pénible. On lui fait également calculer le "risque" d'envoyer le témoignage de ses visions à Bernard de Clairvaux, comme si la pensée mystique du Moyen-Âge pouvait supporter une pareille bassesse; même s'il est clairement possible que ces gens y aient pensé, c'est en tout cas indicible à l'époque: ce serait calculer pour jouer un tour à Dieu, et chacun en connaît le châtiment...


Détail amusant: de nombreux effets spéciaux sont utilisés pour montrer ses visions (halos de lumière, bleuissement des yeux), ce qui surajoute du kitsch dans ce film qui s'en passerait volontiers. On sent quelque peu le manque d'argent; on revoit les mêmes décors en permanence, les trois mêmes canassons. L'église représentée n'est pas d'époque (OK, c'est difficile à trouver, une abbaye du XII è siècle). La photographie en clair-obscur et les postures des personnages font penser à une série genre Les Experts. La bande-son est vraiment dégueulasse. Quand on connaît la richesse du répertoire, et les belles interprétations de l'ensemble Sequentia, c'est vraiment une honte: il aurait mieux fallu ne pas mettre de musique du tout, ou du moins ne pas essayer d'imiter la musique médiévale en l'ensoupant de thriller d'horreur plein de basses. Le montage est excessivement ennuyeux et prévisible. L'attention portée constamment aux détails folkloriques, comme les silices, les flagellations et ce genre de chose se fait au détriment de l'explication de la pensée théologique. Le recentrage féministe aurait pu être intéressant, s'il n'avait pas été réducteur.


Oserais-je le dire? Vison semble être un film caricaturalement allemand. Comme si la réalisatrice ne pouvait s'empêcher, tel un Haneke de cinquième division, d'en rajouter sur les détails sordides, sur les ambiguïtés sordides des relations, les sous-entendus freudiens sordides, transformant tout ce qu'on aurait pu tirer de positif de cette histoire en un magma sinistre et vaguement dégoûtant, digne des pires clichés sur l'époque médiévale. Pourquoi ne peut-on pas laisser de la place à la pensée lorsqu'elle existe? Parce qu'on est au Moyen-Âge, on doit penser de façon aussi dégoûtante qu'au XIX è siècle? Pourquoi pas, à nouveau, mais cette volonté de plonger en quelque sorte dans la psyché sexuelle torturée stéréotypée est complètement anéantie par les effets spéciaux ringards des visions. On ne sait pas sur quel pied danser, si l'auteur croit que c'est vrai ou non; il semblerait que le film essaye de contenter à la fois les catholiques et les athées, en leur donnant à chacun leurs croquettes spéciales. Ça ne marche pas, et au lieu de satisfaire tout le monde, ça énerve les deux. Mes connaissances en théologie se demandent pourquoi on devrait se rouler dans une pareille fange et mon raisonnement scientifique soupire en voyant les yeux qui bleuissent. En ce qui concerne le mysticisme, la réalisatrice aurait mieux fait de prendre des leçons chez Tarkovski que chez Haneke. Pour ce qui est de la leçon historique, la page Wikipédia de la sainte est plus complète que ce film.


Très décevant. Sera programmé vers 1h du matin sur arte, doublé en plus.

Lassie
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le 13 août 2015

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Lassie

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