À l’instar de Shinya Tsukamoto, Andrey Iskanov est un touche-à-tout. Malgré des moyens dérisoires, ses productions font illusion grâce à son approche expérimentale du médium et ses propositions jusqu’au-boutistes. Le réalisateur est surtout connu en Occident pour avoir réalisé l’un des films les plus extrêmes de tous les temps (Philosophy of a Knife). Ce shockumentary d’une durée peu conventionnelle de 4h30 retraçait les expérimentations du camp 731 au Japon, étayé par des images d’archives, des témoignages et reconstitutions presque insoutenables pour les âmes les plus sensibles.


Mais avant d’atteindre sa maturité filmique, le jeune auteur s’est essayé à des films plus abstraits et conceptuels, notamment avec Nails, une œuvre psychédélique et extra-sensorielle. L’expérience de visionnage s’apparentait à un énorme bad-trip sous LSD. Un tueur à gages frappé de violentes crises de migraines se soignait en s’enfonçant des clous dans le cerveau, ce qui finissait par altérer sa perception de la réalité. Ce premier essai mitigé, n’était pas dénué d’intérêt mais manquait réellement de moyen pour aller au bout de ses ambitions hallucinatoires. Visions of Suffering s’inscrit dans le même prolongement thématique à un degré de sophistication plus poussé.


Visions of Suffering porte bien son nom puisqu’il alimente l’obsession morbide de son auteur pour la souffrance, les châtiments et sévices corporels. L’intrigue nébuleuse aborde la paranoïa d’un locataire reclus dans son appartement et harcelé par la présence de vampires parasitant sa ligne téléphonique. Dès qu’il se met à pleuvoir, Sasha est en proie à des cauchemars terrifiants. Pour échapper à l’emprise de ces monstres, le personnage entame une grève du sommeil. Mais à mesure de cette plongée dans les méandres d’un esprit tourmenté, un démon (Golgotha) va surgir de l’au-delà, se ronger les sangs, et mutiler des âmes damnées.


L’expérience mûrie par le cinéaste se veut avant tout sensitive. Dès son introduction, Andrey Iskanov n’hésite pas à maltraiter son public à travers un kaléidoscope de scènes érotiques entremêlées à des compositions macabres et vidéos dérangeantes (séance d’exorcisme, torture et dissection de corps humains). Les digressions visuelles et parasitages sonores alimentent un maelstrom fantasmagorique traversé de couleurs, de flashs stroboscopiques, d’ombres, de figures monstrueuses (mutant, harpie, démon, succube, Baba Yaga), et de formes surréalistes. Le montage épileptique finit par annihiler tous les repères spatiaux et plonger le public dans un cauchemar de celluloïds.


Le réalisateur abolit toute notion de rationalité pour épouser pleinement le caractère névrotique de son personnage, accentuant l’effet de claustration et d’enfermement psychologique. En brouillant activement la frontière entre réalité et cauchemar, les deux mondes finissent par entrer en collision et contaminer l’intégralité du photogramme, comme ce plan s’attardant sur une infusion. De l’expressionnisme allemand de Murnau (Nosferatu), aux effets polarisants de Rob Zombie, des déformations organiques Cronenberguienne, jusqu’au masochisme Tetsuesque, Visions of Suffering se gorge de 1001 influences secouées dans un vieux mixeur rouillé, dont la symphonie stridente nous éclate les tympans.


Naturellement, ces nombreuses libertés cinégéniques, filtres, glitchs et artifices visuels trahissent les limites artistiques d’une entreprise dont l’essence réside dans cet inconfort de visionnage. Cette version director’s cut, élaguée d’une bonne demi-heure, était normalement censée amener plus de clarté scénaristique. En l’état, le film aurait gagné à cultiver ses parts d’ombres et de mystères, et à évacuer certaines intrigues superflues de son montage (le chamane proposant ses services contre une forte somme d’argent). En outre, ces séquences opèrent une césure étrange avec l’étalonnage appliqué au reste du long-métrage et ne nous éclairent pas davantage quant à l’origine de la menace. L’intérêt sera donc à géométrie variable, puisque l’aspect formel de l’œuvre prend le pas sur ses rares ambitions narratives.


Plus on est de fous, plus on rit. Sur l’Écran Barge, tu trouveras toute une liste de critiques de films complètement DIN-GUES !

Le-Roy-du-Bis
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le 14 oct. 2025

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