À l'heure où plusieurs nations s'ouvrent enfin à la démocratie, il peut être bon de se rappeler que le combat qu'elles viennent de remporter est aussi vieux que le monde. Ainsi le Mexique, en son temps, mena une lutte âpre pour se débarrasser de la tyrannie. Mais ce genre de bataille ne s'arrête pas au moment où l'oppresseur tombe de son trône : à vrai dire, elle commence vraiment à ce moment-là. Ainsi, ce que nous montre surtout Viva Zapata !, une fois passé le grand spectacle pyrotechnique de l'insurrection, c'est la corruption qu'implique le pouvoir, qu'il soit politique ou militaire, et quelle fascination il peut exercer sur ceux qui s'en réclament.


Emiliano Zapata (1879-1919) s'en rendit compte et, d'une manière pas si paradoxale que ça en fait, c'est bien ce qui le perdit. Disons, pour simplifier, que ses convictions personnelles l'empêchaient de devenir le monstre qu'il combattait mais que ceux qui luttaient à ses côtés s'embarrassaient moins de bons sentiments ; en d'autres termes, sa révolution ne pouvait s'encombrer de Robin des Bois. Ce qui, à y regarder d'un peu plus près, est le lot de toutes les révolutions : la machine une fois lancée finit par se retourner contre ceux qui l'ont faite démarrer – inutile de citer des exemples...


À partir de cette réflexion sur le pouvoir au sens large, John Steinbeck (1902-1968), qui signe ici le scénario en se basant sur un livre d'Edgcomb Pinchon, nous rappelle qu'au fond les démocraties ne valent pas mieux que le peuple qu'elles gouvernent. En d'autres termes, il s'agit de souligner que liberté rime bien moins avec « fais ce qu'il te plaît » qu'avec « prends tes responsabilités » : une leçon certes fondamentale mais qui semble hélas assez oubliée de nos jours.


Et pourtant, l'usage du droit de vote reste bien le seul moyen d'empêcher la démocratie de sombrer dans le chaos, une autre chose que l'Emiliano Zapata dépeint par Elia Kazan (1909-2003) avait bien compris, et l'intransigeance qu'il montra devint une des multiples raisons derrière sa chute – c'est une autre caractéristique des révolutions : les plus purs de ses soldats n'y survivent pas, de sorte que seuls les plus vils restent...


Or, la démocratie est un peu une sorte de révolution permanente. La différence principale avec celle dépeinte ici tient dans ce que la démocratie se révolutionne elle-même, et pacifiquement à défaut de facilement : si elle implique des déçus, ceux-là ne peuvent néanmoins que s'incliner devant la décision du plus grand nombre.


Peut-être des déceptions répétitives sont-elles à l'origine de cette désaffection de nombreux peuples pour un tel système qui, pourtant, ne peut exister sans lui – la désaffection, alors, ne participe qu'à accentuer le problème, en un cercle tout ce qu'il y a de plus vicieux...


Ce qui reste de la littérature : si on sait depuis longtemps que nos civilisations sont mortelles, on oublie souvent de préciser que leur agonie peuvent prendre toutes les formes, y compris les plus insidieuses.


Quoi de pire, en effet, qu'un système qui s'effondre par le renoncement de ses citoyens ?


Récompenses :



  • Oscar du meilleur second rôle pour Anthony Quin.

  • Prix d'interprétation masculine pour Marlon Brando au Festival de Cannes.

LeDinoBleu
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Sans titre, la liste détestée...

Créée

le 10 juin 2011

Critique lue 853 fois

11 j'aime

LeDinoBleu

Écrit par

Critique lue 853 fois

11

D'autres avis sur Viva Zapata !

Viva Zapata !
LeDinoBleu
7

Robin des Bois au Mexique

À l'heure où plusieurs nations s'ouvrent enfin à la démocratie, il peut être bon de se rappeler que le combat qu'elles viennent de remporter est aussi vieux que le monde. Ainsi le Mexique, en son...

le 10 juin 2011

11 j'aime

Viva Zapata !
JimAriz
7

Critique de Viva Zapata ! par JimAriz

Elia Kazan fait le portrait intéressant d'un homme, Emiliano Zapata, chef rebelle luttant contre le pouvoir pour le droit des paysans. En effet, Zapata est tellement obnubilé par les droits légitimes...

le 28 avr. 2013

8 j'aime

Viva Zapata !
ChristineDeschamps
5

Critique de Viva Zapata ! par Christine Deschamps

Se plonger dans un classique n'est pas sans risque. On peut découvrir que l'affiche est trompeuse (non, Marlon Brando ne soumet aucune captive réticente en rentrant son ventre comme un plongeur en...

le 14 janv. 2016

3 j'aime

3

Du même critique

Serial Experiments Lain
LeDinoBleu
8

Paranoïa

Lain est une jeune fille renfermée et timide, avec pas mal de difficultés à se faire des amis. Il faut dire que sa famille « inhabituelle » ne lui facilite pas les choses. De plus, Lain ne comprend...

le 5 mars 2011

45 j'aime

L'Histoire sans fin
LeDinoBleu
8

Un Récit éternel

À une époque où le genre de l’heroic fantasy connaît une popularité sans précédent, il ne paraît pas incongru de rappeler qu’il n’entretient avec les légendes traditionnelles qu’un rapport en fin de...

le 17 août 2012

40 j'aime

Capitaine Sky et le Monde de demain
LeDinoBleu
8

Pulp (Science) Fiction

La science-fiction au cinéma obtient rarement l’assentiment des amateurs du genre dans sa forme littéraire, parce que cette dernière privilégie les idées et les émotions au spectaculaire et aux...

le 31 juil. 2011

33 j'aime

8