“Quelle abomination provocatrice va-t-il encore nous pondre ?”
Voilà une interrogation que tout adepte de Gaspar Noé est en droit de se poser. Quelle abomination est Vortex ?
Justement, il semblerait que Vortex n’en soit pas une. Noé nous livre un œuvre de pure émotion et de sensibilité; un concentré d’interprétations remarquables, un conte urbain sur la vie à l’heure où le glas est déjà en train de retentir.
Bien entendu, Gaspar Noé oblige, Vortex n’est pas un film conventionnel. Du moins en termes de technique : l’intégralité de ces 2h20 est en split screen. L’usage de ce dernier est largement sensé et répond à des intérêts à la fois narratifs et esthétiques. Le split screen est bien mieux utilisé que dans Lux Aeterna où il ne semblait être que le penchant d’un champ-contrechamp.
La double vision qui nous est conférée nous permet d’être constamment aux côtés non pas d’un mais des deux protagonistes du film, couple âgé anonyme et sublimement interprété par Dario Argento et Françoise Lebrun. Si le premier livre une interprétation très convaincante de tendresse refoulée et d’amour aveugle, c’est Françoise Lebrun qui m’a réellement bouleversé dans tous les aspects de sa prestation.
Vortex a indéniablement quelque chose d’Amour, le chef d'œuvre de Haneke. Tout d’abord évidemment, le thème abordé par les deux films est le même : la fin de vie, la vieillesse et la maladie. Un plan dans Vortex vient presque rejouer les deux affiches du film de Haneke, lorsque l’homme vieillissant saisit le corps de sa femme malade avec un regard à la fois transi et deséspéré. Enfin, les deux films se déroulent à Paris, dans des appartements si atypiques qu’ils en deviennent presque des personnages.
En effet, le décor quasi unique du film est un aspect fondamental. Cet appartement labyrinthique réussit, en un coup d'œil, à recréer les 50 ans de vie qu’on imagine s’y être déroulés. Tout s’entasse, s’accumule et donne une âme au décor. Il permet non pas un simple film, mais le déploiement d’un folklore, d’un mode de vie typiquement parisien et qui donne à Vortex son allure de conte contemporain.
Le fait que le film s’attarde sur le quotidien de ce couple, sur leurs actions anodines au sein de l’appartement, est ce qui a déplu à beaucoup de spectateurs. Toutefois, embrasser le rythme de vie des personnages m’a semblé nécessaire pour les comprendre. D’autant plus que le split screen nous donne deux fois plus de matière à regarder et chasse l’ennui qui aurait pu nous saisir.
Il est très clair que la fin de vie est ce qui sera le cœur du film. Mon amie la rose interprété par Françoise Hardy est diffusé en entier au début du film, et la phrase “A tous ceux dont le cerveau se décomposera avant le coeur” ouvre le film et fait presque office d’épitaphe.
Un aspect du film m’a tout de même déçu : il ne se borne pas uniquement à la vie de ce couple. Vortex, vers la moitié du film, s'enfonce peu à peu dans une comparaison entre les médicaments et la drogue, portée par le personnage du fils, Stéphane, incarné par Alex Lutz. En réalité, de cette idée, Gaspar Noé ne fait rien. Le personnage de Stéphane ne semble être qu’un prétexte pour ouvrir le film à un sujet qui tombe comme un cheveu sur la soupe et qui fait verser Vortex dans une espèce de misérabilisme qui semble déplacé vis-à-vis du reste de l'œuvre.
Néanmoins, l’expérience est mémorable. Vortex nous emmène loin, à la fois dans la sénilité de la femme et dans le sénescence l’homme. Le tragique fait monter l’émotion d’un film dont l’issue est jouée d’avance. Le tout est porté par un réalisme cinglant et prenant où les dialogues à moitié improvisés rendent parfaitement compte de la maladresse et du désarroi face à une situation bien réelle.
Memento mori ultime, Vortex nous rappelle que nous sommes bien peu de choses…