Ce film utilise un procédé que j'exècre : il met en scène un personnage d'un certain âge (le vieux Vanderhof) qu'on nous présente comme un homme ayant tout compris à la vie. Il ne doute jamais, il est heureux, n'a aucun problème, aucune faiblesse. C'est un personnage qui inspire la confiance au spectateur, un personnage duquel émane une aura de sagesse. Tout ce qui sort de sa bouche semble donc vrai, fiable. Or, il va tenir des discours loin d'être neutres. 
Le vieux soutient entre autres que les impôts ne servent à rien. Et lorsque son interlocuteur, un huissier fébrile et affolé à peine capable d'aligner trois mots, lui oppose que, sans impôts, personne ne serait là pour faire respecter les lois, pour protéger le citoyen (on passe évidemment sous silence le coût de l'enseignement, le traitement des ordures, l'éclairage, la pollution industrielle, l'entretien des routes, et ainsi de suite), le vieux répond "Mais de qui aurais-je besoin de me protéger ? A quoi me servent vos lois ?". En effet, on comprend rapidement que le principe fondateur de la maison Vanderhof, c'est de n'avoir peur de rien, ni de ses voisins, ni des nations étrangères (à quoi bon avoir une armée, se moque-t-il), ni de la maladie, ni des entreprises je présume (si l'on pousse son raisonnement jusqu'au bout), etc. Alice Sycamore explique très bien les principes de son gourou à Tony lors de leur sortie romantique dans un parc. Aux chiottes le contrat social, donc. C'est d'autant plus absurde que, pour diaboliser le projet industriel de Kirby & Co, le scénariste a eu la bonne idée d'associer le projet en question à une histoire de fabrication d'armes. Comment peut-on espérer que le port d'arme soit un jour interdit sans impôts ... A la limite, s'il tenait un discours libertarien assumant sa sauvagerie, on pourrait y trouver un semblant d'intérêt, mais là c'est juste incohérent.
Passons. Ce film, c'est avant tout une histoire d'amour entre Tony (James Stewart) et Alice (Jean Arthur). J'ai regardé beaucoup de comédies américaines des années 30/40 ces derniers jours, et je dois dire que cette Alice est un des personnages féminins les moins charismatiques du genre. J'ai été d'autant plus déçu que Jean Arthur m'avait conquis dans* Mr Smith au Sénat* ou encore dans *L'Extravagant Mr. Deeds*, un autre film de Capra, et l'un de mes films favoris. Ici, sa conduite n'a aucun sens. Elle décide par exemple soudainement de haïr Tony jusqu'à tout faire pour ne plus jamais le revoir parce que celui-ci a décidé de venir diner chez elle avec ses parents un jour trop tôt. Oui, vous avez bien lu. C'est d'autant plus aberrant que celui-ci est injustement mis en garde-à-vue et forcé à comparaître devant un tribunal à cause d'une perquisition inopinée qui a lieu lors du dîner dans la maison de Vanderhof, et qu'il continue malgré tout à vouloir la soutenir et la défendre devant le tribunal.
Parlons-en, d'ailleurs, de la scène de garde à vue. Le vieux se permet donc de donner des leçons de vie au sale riche qui lui n'a évidemment rien compris, ce banquier mal dans sa peau, personnage bien pratique pour faire rire le spectateur énervé contre les riches, en le représentant par exemple dans diverses situations humiliantes comme celle où un russe grossier le met à terre. Le vieux traite donc le père Kirby de moins-que-rien, et déballe ses discours infantiles contre l'argent. "Tu n'emporteras pas ton argent avec toi quand tu mourras, tu emporteras seulement les souvenirs de tes amis", c'est la phrase à laquelle le titre fait référence : *You can't take it with you*. Ah oui, parce que évidemment,Vanderhof est religieux. "Les sciences occultes, c'est du charlatanisme, tout le monde le sait", mais la religion, ça c'est du vrai, du dur.
Vanderhof décline les offres colossales que lui proposent les Kirby ; aucun dilemme n'a sa place au sein de son idéologie systématique, l'esprit n'a besoin de faire aucun choix, il n'a qu'à se reposer tranquillement sur la doctrine selon laquelle l'argent est le mal absolu. Sans même vouloir faire fructifier le capital qu'on lui propose, n'aurait-il pas simplement pu tout dépenser immédiatement pour faire avancer un projet ou une cause qui lui tient à coeur ?
Le film nous fait aussi l'apologie de l'incompétence et de la médiocrité. Dans la maison Vanderhof, on trouve une mauvaise écrivain, une danseuse qui ne fait aucun progrès, un attardé mental qui construit des petits lapins. Même Tony lui-même finit par être gagné par la fièvre Vanderhof et par abandonner la banque de son père pour se lancer dans des recherches sur la chlorophylle alors qu'il n'a vraisemblablement jamais étudié la biologie. Oui, parce que tout se finit bien sûr par une réconciliation dans la joie, la bonne humeur et la prière, et ce sans trop de raison (on arrête de se bouder du jour au lendemain), ce qui confirme encore une fois la légèreté du scénario.
Chanclissard
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le 26 août 2014

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