Qu'il est bon de voir un film qui ne cherche pas à construire un propos fini, qui laisse les choses arriver, qui prend le temps de la contemplation !


Voyage au début du monde raconte l'histoire d'un réalisateur vieillissant (très clairement Manoel de Oliveira) qui revient sur les lieux de son enfance, et d'un acteur français, fils d'immigré portugais, qui part à la recherche de sa tante qu'il n'a jamais connue. S'il faut le faire rentrer dans des cases, c'est donc un road-movie nostalgique. Mais cette étiquette est très réductrice au vu du ton singulier du film.


Commençons par dire tout de suite que ce n'est pas un film d'action. La caméra fait de nombreux travellings latéraux ou arrière depuis la voiture (métaphore d'un regard tourné vers le passé), avec des sons ambiants ou quelques accords de piano. Les personnages échangent des impressions, passées ou présentes, se livrent à des réflexions sur la saudade, le temps, l'Histoire. On s'écoute, ce n'est pas polémique. C'est très reposant. Le rythme, contemplatif, introspectif et dialogué, fait penser à celui d'un Bergman. Au fonds, c'est l'histoire - fort improbable - d'un vieillard qui réussirait à entrainer des gens pour l'accompagner dans la quête de son passé, en leur racontant des anecdotes sans les lasser. Avec un léger changement de ton final (fort bienvenu), lorsqu'on s'attache au personnage d'Alphonse.


Les paysages sont baignés d'une lumière dorée superbe, qui en fait ressortir les couleurs (bleus, vert). Impressions de vent dans les vignes, de brise maritime, plans sur des avironistes, sur un troupeau traversant les rues tortueuses d'un village, etc...


Le groupe d'acteurs, avec ses costumes un peu surannés (costume de marin pour l'actrice, panama blanc, etc...) rappelle quelque chose de bandes dessinées belges (Tintin, Blake et Mortimer). Les acteurs s'en sortent à peu près bien, même si c'est assez statique en termes de performance. Mention spéciale, bien entendu, à Mastroianni, qui capture magnifiquement les mimiques de Oliveira (le petit sourire nostalgique en coin, le regard pénétrant et un peu désabusé, etc...). Tel Hitchcock, De Oliveira apparaît à plusieurs reprises, de manière fugace mais au fonds très présente. De manière surnaturelle aussi, il semble accompagner notre groupe de pélerins sans jamais être visible d'eux.


La caméra épouse le regard du témoin : elle monte vers les feuilles d'un arbre pour mesurer le temps parcouru, regarde en arrière de la voiture, etc... Derrière ce regard, original mais simple, c'est l'histoire d'un voyage intérieur.


Voyage au début du monde, un peu comme Christophe Colomb, l'énigme, est un film de recherche des traces du passé, de ce qu'il en reste dans notre présent. Mais c'est aussi un film intimiste, détendu, émouvant et nostalgique, sur deux êtres recherchant leur passé.


Synopsis


Dialogue sur l'âge entre un vieux réalisateur, Manoel, et des collaborateurs, dans une petite voiture. Judith, une actrice , un autre acteur, Alphonse et le chauffeur anarchiste. Ils vont à l'embouchure du Minho, voir le lycée catholique où Manuel a été élevé. Ils multiplient les arrêts : pour retrouver une petite statuette en bois qui soutenait une treille. Une paysanne leur apprend que ce personnage est surnommé Pedro Macao, et fait l'objet d'une comptine. Ils vont devant un grand bâtiment désaffecté (un sanatorium, une pension de jeunes filles ?) aujourd'hui envahi par les arbres ("quelle désolation !").
Alphonse parle de son père, Portugais parti en Espagne pendant la guerre civile, qui a vécu dans la misère avant de partir en France. Ils cherchent, dans la campagne, un village perdu, Lugar de Toma, qui est accessible à pied. C'est là que vit la tante d'Alphonse, lequel ne parle pas portugais.


La tante et sa fille sont en deuil. La tante n'est pas causante, et ne livre pas d'informations importantes. Butée, elle ne comprend pas qu'Alphonse ne parle pas portugais. En lu disant que seul le sang compte, par son langage corporel, Alphonse parvient à l'amadouer. Ensemble, ils vont dans la maison natale de Manoel. Une discussion s'amorce, porte sur les conditions de vie dans cette campagne oubliée des dieux, et sur la télévision, invention du diable. Le visage de la vieille s'est éclairé. Ils vont au cimetière. Il promet de revenir. Le voyage prend fin, nos hommes de cinéma reviennent en France. Alphonse se prend pour Pedro Macao, les autres se moquent gentiment de lui.

zardoz6704
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le 26 juin 2019

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