Roberto Rossellini est né à Rome le 8 mai 1906 dans une famille bourgeoise aisée, férue d'art et de musique. Renonçant à reprendre les activités de son père, entrepreneur en bâtiment, le jeune Roberto s'oriente vers le cinéma. Il tourne son premier film en tant qu'assistant de Carlo Ludovico Bragaglia "La fossa degli angeli" en 1937, où sont mis en scène des tailleurs de pierre de Carrare. En 1938, avec Goffredo Alessandrini, il réalise "Luciano Serra pilota", un film à la gloire des aviateurs italiens et poursuit un temps ses activités en se consacrant à de longs métrages qui exaltent tous le courage et le désintéressement des hommes de bonne volonté. Mais la guerre survient et les allemands occupent la péninsule. A la fin du conflit, Rosselini va filmer le chaos et la misère dans lesquels se retrouve son pays. Il en fera un chef-d'oeuvre "Rome ville ouverte" en 1945, interprété par Anna Magnani, dont le magnétisme était exceptionnel. L'année suivante, avec "Païsa", il témoigne de la libération de l'Italie à travers l'histoire de gens ordinaires et ce cinéma de l'humanité souffrante lui méritera de nombreux prix internationaux. C'est l'époque où la star américaine, d'origine suédoise, la belle Ingrid Bergman quitte l'Amérique, son époux, sa fille, pour vivre avec lui une passion amoureuse qui leur vaudra d'être pointés du doigt par les ligues bien pensantes, mais sera l'occasion, pour le metteur en scène, d'exalter le talent de sa femme dans plusieurs de ses films dont "Stromboli" et "Voyage en Italie". Par la suite, il tournera une série de documentaires pour la télévision, tant il croyait au rôle pédagogique du petit écran.

Son objectif était de parvenir à une éducation intégrale grâce à la reconstruction du passé de l'humanité, l'histoire étant pour lui une formidable école de vie. Son oeuvre s'achève par un film testament Le Messie en 1975. Il meurt d'un infarctus le 3 juin 1977 dans sa ville natale. L'Italie venait de perdre l'un de ses plus grands metteurs en scène, un homme inclassable d'un immense talent.
Voyage en Italie est le premier film à prendre pour sujet un sentiment et ses variations. D'où la construction musicale de l'oeuvre ordonnée autour des thèmes de la vie et de la mort. C'est le film d'un état d'âme, d'une difficulté d'être et de vivre à deux qui se change, au final, par une dignité d'être simplement et seulement soi-même.

Un couple de grands bourgeois anglais sans enfants Alexander et Katherine Joyce, mariés depuis huit ans, viennent à Naples pour régler une succession et se trouvent pour la première fois seuls l'un en face de l'autre, constatant qu'ils n'ont plus rien à se dire. Tandis que Katherine visite les musées de la ville, son mari recherche d'autres compagnies féminines et se rend à Capri sans son épouse. Plongé dans l'ennui et l'insatisfaction, le couple est au bord de la rupture. Mais après avoir visité Pompéi et assisté à l'exhumation du corps d'un jeune homme retrouvé sur le site archéologique et avoir été témoin d'un miracle lors d'une procession religieuse, ils se réconcilient, offrant une page neuve à l'espérance conjugale.
Accueilli diversement à sa sortie, notamment par la critique italienne qui y vit le reniement des leçons du néoréalisme, Voyage en Italie connut une existence mouvementée. Lors d'une polémique célèbre, André Bazin, père des Cahiers du Cinéma, écrivit ceci, qui est sans doute l'une des analyses les plus fines du cinéma rossellinien:

" L'univers rossellinien est un univers d'actes purs, insignifiants en eux-mêmes, mais préparant comme à l'insu même de Dieu la révélation, soudain éblouissante de leur sens. Ainsi de ce miracle de Voyage en Italie invisible aux deux héros, presque invisible même de la caméra, au demeurant ambigu, mais dont le heurt contre la conscience des personnages provoque inopinément la précipitation de leur amour. Nul, me semble-t-il, plus que l'auteur d' Europe 51 n'est parvenu à mettre en scène les événements d'une structure esthétique plus dure, plus intègre, d'une transparence plus parfaite dans laquelle il soit moins possible de discerner autre chose que l'événement même. Tout comme un corps peut se présenter à l'état amorphe ou cristallisé. L'art de Rossellini, c'est de savoir donner aux faits à la fois leur structure la plus dense et la plus élégante ; non pas la plus gracieuse mais la plus aiguë, la plus directe et la plus tranchante. Avec lui le néoréalisme retrouve naturellement le style et les ressources de l'abstraction. Respecter le réel n'est pas en effet accumuler les apparences, c'est au contraire le dépouiller de tout ce qui n'est pas l'essentiel, c'est parvenir à la totalité dans la simplicité. L'art de Rossellini est comme linéaire et mélodique. Il est vrai que plusieurs de ses films font penser à une esquisse, le trait indique plus qu'il ne peint. Mais faut-il prendre cette sûreté du trait pour de la pauvreté ou de la paresse ? Autant le reprocher à Matisse. Peut-être Rossellini est-il en effet davantage dessinateur que peintre, nouvelliste que romancier, mais la hiérarchie n'est pas dans les genres, elle n'est que dans les artistes."

D'autant plus, lorsque l'artiste a l'audace de montrer la réalité telle qu'elle s'éprouve, se refusant à la couvrir d'un voile, qu'elles qu'en soient les couleurs ; le courage de présenter les faiblesses humaines - communes à tous les hommes - et de les avouer, redonnant curieusement de la force et de l'espoir. Rossellini a pratiqué le cinéma avec la même liberté et légèreté avec lesquelles l'on dessine ou l'on écrit, réalisé ses films en jouissant et en souffrant, jour après jour, sans trop d'angoisse pour le résultat final. Ce metteur en scène vivait l'aventure cinématographique comme quelque chose de merveilleux. Sa façon de se situer naturellement en un point impossible à confondre avec l'indifférence du détachement et la gaucherie de l'adhésion lui permettait de capter, de fixer la réalité dans tous ses espaces, de la regarder simultanément du dedans et du dehors, et de savoir dévoiler ce qu'il y a de plus surprenant, de plus insaisissable, de mystérieux, d'unique dans le déroulement de la vie.

Rossellini avait choisi la voie du témoignage distancié, ne cédant ni à la propagande fasciste, ni à la célébration apologétique de la Résistance, pressentant les désillusions inéluctables qui surviendraient une fois l'Italie libérée. En cela, il est un cinéaste unique qui ouvrit la voie au néoréalisme sans y adhérer totalement, se refusant à créer des personnages stéréotypés qui porteraient le drapeau de la lutte des classes, divisant au lieu de réconcilier, et se prêtant à une didactique politique. Pour conclure cette analyse, lisons ce que ce cinéaste, qui eut le mérite de préserver sa filmographie d'une trop complaisante démagogie, écrivit lui-même à propos de son art : " De fait, pour moi le néoréalisme était vraiment une position morale et l'effort précis d'apprendre : rien d'autre que cela. (... ) C'est-à-dire de se mettre objectivement à regarder les choses et de lier ensemble les éléments qui composent les choses, sans essayer d'apporter aucun jugement. parce que les choses portent en elles leur jugement."
abarguillet
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le 24 mai 2013

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