On ne nait pas en étant le meilleur, on le devient au prix d’un travail acharné et d’une abnégation sans faille. Le talent n’est pas inné, il se développe et se cultive par un entraînement rigoureux et une pratique intensive. S’il y a un domaine dans lequel on ne peut pas tricher, c’est bien celui de la musique. Une ouïe attentive saura reconnaître la différence entre un tempo qui presse ou bien qui traîne la cadence imposé par le chef d’orchestre, et pour celui qui ruine la dynamique du morceau, gare à ne pas prendre un coup de cymbale dans la gueule assorti d’un renvoi immédiat. Damien Chazelle a de quoi fanfaronner avec Whiplash, œuvre multi-récompensé à Sundance, et aux Oscars pour son interprétation et sa mise en scène dynamique et intense qui retranscrivent parfaitement cette lubie pour le jazz et la batterie qui lui auront permis de réciter tout son répertoire de gammes et de classiques en martyrisant les mains de son acteur principal (Miles Teller) sur les caisses de résonances durant 70% du temps. De la sueur qui perle, des éclaboussures de sang et des sanglots qui transpercent l'écran. Un souci maladif du détail qui se répercute tel un uppercut asséné du droit dans le résultat final complètement syncopé par une bonne série de claques balancé en rythme par un despotique professeur qui ne ménage pas ses apprentis. Comment atteindre ces étudiants ?


L’histoire c’est celle d’Andrew, un jeune batteur pétrie de talent qui n’a pas son pareil pour battre la mesure frénétiquement sur ses tambours au sein du conservatoire de Manhattan. Mais intégrer le meilleur orchestre du monde relève d’un parcours de combattant surtout sous la supervision du professeur Fletcher, un musicien qui en impose autant par sa présence que par ses excès de zèle visant à provoquer et humilier ses protégés pour les pousser à tout donner par réaction d’orgueil. L’homme n’est pas pour autant dénuée de tout sentiment dans ses rapports même s’il sait systématiquement exploiter les faiblesses des gens pour appuyer là où ça fait le plus mal. Mais ses débordements ne sont rien à côté de ses expressions taiseuses qui en disent beaucoup plus long que les conneries discriminatoires et racistes qu’il peut débiter à la seconde, c’est dans ces rares moments que l’on a envie de se terrer dans un trou de souris et de pleurer comme une petite fille qui se serai faite enguirlander publiquement par ses parents. Dans cette quête du génie créatif, inutile de préciser qu’il n’y a pas de place pour la romance, situation que certains d’entre nous avons déjà vécu. Quand vous venez à briser le cœur d’une innocente qui pourrait nuire à vos ambitions de gloire et de reconnaissance, parce que cela vous demanderai du temps à accorder à cette relation, du temps « gâché » que vous ne pourrez pas récupérer dans la pratique de votre véritable raison d’exister. Un sentiment que l’on a viscéralement dans le sang, que votre famille et vos proches ne pourront jamais comprendre parce que cela n’a rien de consensuelle ni même d’ordinaire.


Whiplash a par ailleurs le mérite de relancer le débat sur le harcèlement, quant la passion vire à l’obsession et pousse un être odieux comme celui qu’incarne J.K Simmons à outrepasser les limites du raisonnable quitte à infliger stress, panique, dépression, burn-out et même trauma à toute une génération d'adolescents qui n’aspirent qu’à ce mode de vie artistique de crève la dalle. A quel moment doit-on dire stop à ce genre de pratique ? La question est posée. Et comme tout milieu ambitieux, celui-ci s’avère aussi carnassier puisque l’unité de groupe n’est qu’une illusion confronté à une réalité plus compétitive et cruelle qui peut pousser une personne sociable à devenir un dangereux sociopathe s’entraînant plus que de raison quitte à mettre des bâtons dans les roues des prétendants en égarant volontairement ou non une partition. Quant au succès, cela monte plus vite à la tête qu’une fièvre hémorragique et peut vous conduire à toute vitesse vers une sortie de route remarquée. Inutile de se donner des excuses après aussi bonne fussent-elles, même si le sort s’acharne et vous handicape outrageusement. Ce qu’il faut c’est savoir se relever après une collision avec un camion, se jeter dans un solo endiablé quitte à éclipser les autres, trahir la composition et même le chef d’orchestration. Il n’y a que le résultat qui compte, la manière importe finalement peu tant qu’elle vous porte aux cimes du firmament semble nous adresser le réalisateur. Une philosophie de vie qui semble animer tous les requins de start-up, les chefs de la restauration, et même les réalisateurs comme Stanley Kubrick qui n’avait pas son pareil pour faire s’effondrer une actrice par épuisement. On a rien sans rien, le résultat ne peut pas être exceptionnelle sans un sacrifice individuel et commun pour atteindre enfin l’extase voulu et absolu.


Cette analyse voudrait que le zeste de génie ne puisse être obtenu qu’avec un grain immodéré de folie et surtout de maîtrise parfaite issue d’un répertoire appris sur le bout des doigts. Si la fin va dans ce sens là, elle n’écarte en rien la zone de guerre dévasté que constitue la vie personnelle du prodige et encore moins l’humanité étiolé sur l’autel d’une scène au diapason. C’est certainement le prix à payer pour devenir un Drum King, mais cela en valait-il vraiment la peine ? C’est une question à laquelle seul celles et ceux y ayant été confrontés pourront vous répondre. Ce n’est pas encore mon cas. Quant à Whiplash, il intègre ardemment les rangs de mon Top 10, le seul endroit où le titulaire peut se faire éjecter sur le banc des remplaçants sans remerciement, tant que le prétendant possède assez de génie, de maîtrise et de cran pour s’y maintenir suffisamment longtemps. Des années que je n’avais pas pris une claque pareil, je m’en devais donc d’en faire une dernière éloge : Whiplash est un orgasme musical et artistique de tous les instants qui a su décrocher la timbale de mon cœur noir et froid de critique cynique, si bien qu’à la fin je me suis senti bouleversé comme Anton Ego dans Ratatouille, la larme au coin de l’œil, assis le cul vrillé à mon canapé, silencieux et bouche bée. Un chef d’œuvre en son genre signé d’un maître étoilé.

Le-Roy-du-Bis
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le 17 juil. 2023

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