Voici un film que j’attendais autant que je craignais. Que j’attendais parce qu’il promettait un duel plein d’intensité et que je craignais car justement, j’avais peur que ça manque d’intensité et que ça reste gentillet. Mais mes craintes se sont vite dissipées, Whiplash est un film véritablement intense et prenant du début à la fin. Dès le départ j’aimais l’idée du cadre très serré du film où tu saisis les enjeux d’emblée. 2 personnages, un élève ambitieux avec un but, un professeur tyrannique avec un but, une batterie, de la sueur, du sang, des larmes. Il n’en fallait pas plus et je ne peux pas m’empêcher d’ailleurs d’être déçu que les scènes se déroulant hors de ce cadre soient aussi peu inspirées. J’en viens directement au point regrettable de Whiplash : c’est son scénario rempli de facilités. Le fond est assez académique, on a un personnage principal (le jeune batteur) qui se focalise uniquement sur sa technique et qui s’acharne sur son instrument pour parvenir à attraper « le bon tempo ». Et forcément derrière on fait un parallèle sur son éloignement de la cellule familiale et de son incapacité à ressentir de l’amour pour la jolie fille qu’il a pourtant pécho après beaucoup d’attente. La scène du dîner en famille, par exemple, est particulièrement balourde avec une absence totale de subtilité. Développer une intrigue en dehors du cadre musical n’était pas forcément une mauvaise idée même si ça ne m’aurait pas dérangé qu’on ne se cantonne qu’au cadre initial. Mais comme ce n’est pas très bien écrit, je trouve ça assez peu intéressant en fin de compte. A la rigueur si l’élève était plus ambigu et éprouvait plus de dilemmes pour essayer de trouver un équilibre dans sa vie uniquement consacrée à la musique. Mais non, Chazelle se contente de facilités, ce qui est regrettable. Après c’est pas non plus mauvais (sinon je n’aimerais pas ce film) mais c’est académique quoi.

Mais bien que ce défaut sur le scénario soit de taille, il serait en revanche totalement injuste d’éclipser le reste car le film est d’une efficacité remarquable. Et c’est d’ailleurs aussi efficace que simple grâce à une mise en scène très pertinente. Nous sommes sans cesse au contact des personnages, les plans sont serrés et on ressent toute cette tension lors de scènes qui se répètent inlassablement. Ce duel entre un professeur exagérément exigeant et cet élève qui ne recule devant rien est incroyable d’intensité. L’aspect répétitif de ces séquences proches de la torture physique et mentale contribue énormément d’ailleurs à créer cette intensité et cette efficacité. On pourrait se dire que c’est toujours de trop mais je ne trouve pas. Bien au contraire, c’est grâce à cela que l’on voit le personnage se déconnecter de la réalité pour s’acharner à réussir à satisfaire un professeur qui repousse les limites de ses élèves toujours plus loin. Et c’est intéressant d’analyser ces méthodes d’humiliation et de torture pour parvenir à obtenir le meilleur d’un artiste. Est-ce inévitable ? Est-ce que ça doit être nuancé ? Faut-il au contraire encourager ? Je pense qu’il y a une bonne matière au débat, d’autant plus que le film ne nous dit clairement pas si c’est bien ou si c’est mal, ce qui est vraiment une bonne chose. On ne nous tient pas par la main, à nous de juger.

J’ai vraiment adoré le côté impulsif de Whiplash. Aussi impulsif d’ailleurs que le titre éponyme de Metallica (bien que le titre du film ne fasse pas une référence à ce morceau-là). C’est pour ça que je suis aussi paradoxalement assez déçu de l’aspect académique du scénario. Mais au moins ça a le mérite de ne pas trop s’éparpiller quand même. Je trouve ça bien d’ailleurs que nous n’ayons qu’un point de vue sur la façon de « façonner » un artiste. Ça permet de pousser la réflexion, de ressentir les sensations de ces méthodes cruelles sur la durée du long-métrage. C’est jusqu’au-boutiste et ça ne dévie pas de sa trajectoire. Et l’interprétation est à la hauteur avec un Miles Teller possédé et un J.K. Simmons qui a le rôle facile du gueulard mais qui le joue quand même super bien. Plus le film avance et plus leur confrontation devient savoureuse et parfaitement jouissive jusqu’à un final en apothéose. Malgré ses quelques défauts, Whiplash reste un super film qui m’a vraiment pris aux tripes et ça fait plaisir de voir un exercice de style aussi rondement mené au cinéma.
Moorhuhn
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Les meilleurs films des années 2010, Les meilleurs films de 2014 et MMXV

Créée

le 23 févr. 2015

Critique lue 553 fois

6 j'aime

Moorhuhn

Écrit par

Critique lue 553 fois

6

D'autres avis sur Whiplash

Whiplash
Sergent_Pepper
8

Travail, infamie, batterie

Pour se laisser pleinement aller à la jubilation de Whiplash, il faut d’emblée lever une ambiguïté de taille : ce n’est pas un film sur la musique. Le mélomane qui ira chercher une exploration des...

le 31 déc. 2014

234 j'aime

22

Whiplash
Vincent-Ruozzi
10

«Je vous promets du sang, de la sueur et des larmes»

Whiplash est un grand film. Il est, selon moi, le meilleur de l’année 2014. Une excellente histoire alliant le cinéma et la musique. Celle-ci ne se résume pas à une bande son, mais prend ici la place...

le 20 janv. 2015

190 j'aime

11

Whiplash
Je_en_vert
8

Le Bon, La Brute et le Tempo

LE BON. Whiplash c’est l’histoire d’un jeune batteur, interprété par un très bon Miles Teller (The Spectacular Now), qui pratique le jazz dans l’un des meilleurs conservatoires des Etats-Unis. Il...

le 26 déc. 2014

186 j'aime

18

Du même critique

Monuments Men
Moorhuhn
3

George Clooney and Matt Damon are inside !

Ma curiosité naturelle, mêlée à un choix de films restreint sur un créneau horaire pas évident et dans un ciné qui ne propose que 10% de sa programmation en VO m'a poussé à voir ce Monuments Men en...

le 12 mars 2014

60 j'aime

7

Eyjafjallajökull
Moorhuhn
1

Eyenakidevraiharetédefairedéfilmnull

J'imagine la réunion entre les scénaristes du film avant sa réalisation. "Hé Michel t'as vu le volcan qui paralyse l'Europe, il a un nom rigolo hein ouais?", ce à quoi son collègue Jean-Jacques a...

le 23 oct. 2013

59 j'aime

6

Koyaanisqatsi
Moorhuhn
10

La prophétie

Coup d'oeil aujourd'hui sur le film Koyaanisqatsi réalisé en 1982 par Godfrey Reggio. Point de fiction ici, il s'agit d'un film documentaire expérimental sans voix-off ni interventions, bref un film...

le 1 mars 2013

56 j'aime

9