Back to Africa. Deux décennies après avoir quitté le continent de sa jeunesse, et en laissant de côté son aparté djiboutien intitulé Beau Travail, Claire Denis revient en Afrique pour y narrer cette fois-ci les séquelles du colonialisme, avec en toile de fond la guerre civile. Présenté en compétition officielle lors de la Mostra vénitienne en 2009, White Material écrit par le duo Claire Denis et Marie N'Diaye, s'éloigne dès lors des souvenirs de jeunesse camerounaise de la réalisatrice (son premier long métrage Chocolat), pour se rapprocher des récents évènements qui ont troublé la Côte d'Ivoire dans les années 2000.

Quelque part en Afrique noire francophone, Maria Vial (Isabelle Huppert) vit avec son ex-mari André (Christophe Lambert), son ex-beau-père Henri (Michel Subor), propriétaire de la plantation de café Vial et son fils Manuel (Nicolas Duvauchelle). Depuis peu, le pays connait de graves troubles, l'armée régulière étant en proie aux attaques de rebelles menés par un des chefs prénommé « le boxeur » (Isaach de Bankolé). Malgré les avertissements de l'armée française, l'informant qu'ils ne pourront plus assurer sa sécurité et celle de sa famille, puis le départ des ouvriers agricoles craignant pour leur vie, Maria est déterminée à rester et à poursuivre la récolte de son café. Décidée coûte que coûte à terminer la dite récolte, elle part à la recherche d'une nouvelle main d’œuvre, en dépit des menaces et des risques encourus, cette dernière hébergeant chez elle « le boxeur » grièvement blessé. Or André a déjà négocié avec Chérif, le maire de la ville (William Nadylam), leur fuite du pays en contre-partie de la vente de la plantation. Mais n'est-il déjà pas trop tard ?

Comme souvent chez Claire Denis, l'histoire pourra dérouter ceux qui s'attendaient à un récit balisé, riche en explication et vision unilatérale (tel le Blood Diamond d'Edward Zwick par exemple) ; moins elliptique qu'à l'accoutumée, le récit non linéaire aborde une complexité des situations et des personnages déstabilisante. Avec comme figure centrale le personnage d'Isabelle Huppert dans le rôle d'une mère courage aveugle, l'actrice campe sans artifice une femme déconnectée des réalités. On restera par contre plus mesuré quant aux interprétations de Lambert et Duvauchelle, ces derniers apportant peu à des personnages de toute façon trop secondaires ; au contraire d'Isaach de Bankolé qui aurait gagné à avoir un rôle plus étoffé.

Photographié pour la première fois par Yves Cape, le chef opérateur de Bruno Dumont, son travail apparaît au premier abord moins riche que celui d'Agnès Godard, mais un choix qui semble finalement plus approprié pour dépeindre la violence et la crudité de la guerre, à l'image du Flandres de Dumont dont il fut le directeur de la photo. Mis en musique par le chanteur des Tindersticks, Stuart Staples, White Material baigne dans une atmosphère paradoxalement irréelle, vision éthérée et cauchemardesque d'une Afrique en proie à ses démons, où l'image et le devenir des enfants soldats du film marquent longtemps après les esprits.
Claire-Magenta
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le 30 janv. 2013

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Claire Magenta

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