"Winter brothers" est avant tout un film hautement sensoriel qui fait appel au ressenti autant qu'à notre mémoire. Tout commence dans le noir, d'où se détache un forme claire ressemblant étrangement à une oreille qui se déforme. Et avant même que l'on comprenne que c'est en fait un faisceau de lumière d'une lampe torche, un bruit sourd d'abord qui n'aura de cesse de s'intensifier submerge l'écran. La sensation en est presque désagréable. La suite sera toute aussi instable en perceptions. Mais aussi d'impressions avec le toucher écoeurant d'une pierre calcaire humide, la poussière s'engouffrant par le nez, la gorge, les yeux, l'odeur industrielle si particulière d'émanations de graisses, d'eaux saumâtres, de métal oxydé.


Tout cela participe à la scénographie de ce décor si fantomatique où l'on ne discerne plus la neige de la poussière de calcaire de la mine. Cet enclos de vie aux allures d'enfer surréaliste est le lieu de vie d'Emil, de son frère, d'Anna et des collègues ouvriers. Là-bas, l'avenir est passé et présent. La seule destinée viable étant de travailler à l'usine, avoir une belle femme et des enfants, qui reconduiront eux-aussi ce mode de vie. De cet incroyable microcosme ou tous semblent résignés, Emil ne trouve pas sa place. Il est sauvage, abrupt, sans commisération. Il trafique une mixture alcoolique "fait maison", aime Anna et ne se soucie guère de son travail. Comme une bombe à retardement, on le sent prêt à exploser ce qui ne tardera pas à venir.


L'histoire est volontairement aride, ce qui permet à Hlynur Pálmason d'explorer des pistes nouvelles en matière de sons et d'images. Son expérience d'artiste protéiforme rend le film visuellement intéressant et étonnant dans les perspectives, la géométrie, les contrastes de lumière, les déviations optiques... Sur un même niveau le son s'intègre comme un personnage central, il ordonne le tempo ou se fait annonciateur d'action. La redondance du vécu des protagonistes repose quant à elle sur des plans en balayage ou travellings qui contrastent avec la mobilité des séquences plus franches. Tout ici se rapporte à l'étouffement de l'humain. Ce qui fait d'Emil une espèce de résistant autant que d'intrus.


Elliott Crosset Hove, acteur ayant déjà une belle reconnaissance au Danemark, est Emil, il lui apporte toute la folie fiévreuse des exclus aussi bien dans la gestuelle que dans sa manière d'être. A un point tel que l'on se demande qui de lui ou des autres est le plus rationnel. Cette ambiguïté est totalement assumée par son investissement. C'est un rôle complexe que l'on pourrait rapprocher à celui de Thomas Blanchard dans l'excellent "Préjudice" ou encore à celui de Christian Bale dans "The machinist". Il y excelle !


"Winter Brothers", premier film, se démarque un peu de la production danoise qui nous parvient depuis ces dernières années, le film étant moins "accessible". Mais combien il est rassurant de constater que les jeunes réalisateurs la-bas aussi cherchent à explorer de nouvelles pistes d'expression pour le cinéma et permettent de faire évoluer mentalités et savoir faire.

Fritz_Langueur
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le 6 mars 2018

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