Ce film a reçu le label de l'office du tourisme australien

Comme chaque cinéphile le sait, il y a des moments plus propices que d’autres pour la redécouverte de certains films. Halloween fait partie de ces fêtes inutiles et mercantiles qui ne servent qu’à une chose pour nous autres, amateurs de pelloches hargneuses, se donner une excuse (dont on a pas franchement besoin par ailleurs) pour se faire une bonne petite soirée avec des valeurs sûres du genre. Le film de Greg McLean, ayant beaucoup fait parler lors de sa sortie, fait partie de ces petites pépites noires devenues à moitié cultes, mais qui gardent malgré tout cette aura sombre et un peu underground dont on aime à penser que l’on fait partie d’une élite lorsqu’on les évoque. Il est évident que la nouvelle génération biberonnée au Conjuringverse et autres fadaises tous publics, n’a sans doute jamais entendu parler du traumatisant faux survival australien ayant fait couler pas mal d’encre noire lors de sa présentation initiale à la prestigieuse Quinzaine des Réalisateurs Cannoise, en 2005 (où il avait semble-t-il provoqué quelques malaises chez de pauvres spectateurs non avertis).

Sorti en France au mois d’août 2006, par le défunt distributeur TFM distribution (avec une belle interdiction aux moins de 16 ans avec avertissement), ayant offert pas mal de films de genre durant ces années-là (dont le premier Halloween de Rob Zombie), il avait débarqué à une époque particulière pour le genre, durant cette période où déferlaient nombre d’œuvres hardcores labellisées « torture porn » suite à un article d’un journaliste américain, qui avait établi un lien un peu factice entre les films de cinéastes divers et variés sortis au même moment, et dont la torture constituait en quelque sorte l’acmé des films en question. Pourtant, le film de Greg McLean (premier long métrage), avait été conçu en 2004, donc avant même la sortie du premier Saw de James Wan, et ne prétendait nullement se rattacher à ce courant putassier du genre, pour la simple et bonne raison que la torture, si elle fait partie du film, n’en constitue pas la finalité ou le prétexte. Il est bon de revoir le film aujourd’hui, d’une part pour confirmer qu’il s’agit bel et bien de l’une des plus grosses claques du genre contemporain, et d’une autre pour le réhabiliter en tant qu’œuvre à part entière et non pas comme un simple défouloir sordide et complaisant.


Se situant en 1999, afin de se rattacher à plusieurs faits divers horribles survenus en Australie durant cette décennie (nous y reviendrons), nous faisons la connaissance de trois jeunes adultes partant ensemble pour un road trip sur les routes australiennes, afin de visiter le lieu titre, énorme cratère causé par une météorite. L’occasion pour les jeunes gens d’établir des relations toutes particulières, s’agissant bien entendu de vacances avec ce que cela peut impliquer en terme d’amourettes. Vivant un moment charnière de leur existence, avant peut-être de se lancer dans la vraie vie, le spectateur est donc invité à partager avec eux ce bout d’existence banale et pourtant riche de moments suspendus. L’une des premières surprises du film lorsqu’il est sorti, sur laquelle les critiques se sont focalisés, tient dans cette introduction anormalement étirée, sur 50 minutes de pelloche. Là où la plupart des films d’horreur des 80’s prenaient tout leur temps en semant malgré tout quelques indices sur les évènements à venir, et surtout en ne prêtant pas de véritable attention aux caractères des personnages, uniquement des prétextes dévitalisés pour se faire éviscérer par la suite, le jeune cinéaste australien va quant à lui réellement s’attacher à décrire avec patience le déroulement de ces vacances à la fois banales et si particulières pour les jeunes qui les vivent. Et nous sommes donc invités, en présences invisibles, à partager ces moments précieux à leurs côtés. Ce qui n’est évidemment par innocent dans la démarche du cinéaste, s’agissant clairement d’un point de vue de metteur en scène, accentué par l’usage d’une caméra DV étonnamment fluide, caméra à l’épaule, selon les préceptes du dogme95, afin de bien appuyer l’aspect documentaire. Point de vue intéressant et ambigu dans le sens où il s’agit tout autant d’un intérêt réel pour ses protagonistes qu’il respecte et à qui il offre un vrai espace pour nous y attacher, mais également d’un prétexte ouvertement manipulateur pour nous faire oublier que nous sommes allés voir un film d’horreur, et nous éprouver davantage lorsque l’intrigue à proprement parler va se mettre en place. Car au terme de cette presque heure où, pour ainsi dire, il ne se passe rien, il ne perdra plus de temps en palabres inutiles et plongera bel et bien dans un voyage au bout de la nuit (et de l’enfer) particulièrement corsé.


Si vous lisez ces lignes, vous avez sans doute déjà vu le film ou savez tout du moins de quoi il s’agit, ce petit groupe va croiser la route d’un bushman, Mick Taylor (tiens, tiens, ça ne vous dit pas quelque chose ?), à priori truculent personnage local se référant clairement à Crocodile Dundee (avec même cette fameuse réplique, « ça c’est un couteau ») mais si ce dernier avait été un psychopathe irrécupérable et non ce sympathique personnage œuvrant pour l’office du tourisme. Lorsque le groupe va se retrouver séparé, la désorientation spatiale du spectateur va épouser celle de ces derniers, en optant pour une multiplicité des point de vue assez rare dans le genre. C’est bien simple, il devient rapidement impossible de s’identifier particulièrement à l’un ou à l’autre en en faisant le potentiel héros final, vu que le cinéaste efface quasi d’emblée tout espoir concernant leur survie. Il ne s’agit plus d’un film de survie, mais d’un film d’extermination comme l’écrivait un journaliste dans le magazine Mad Movies à l’époque, et l’on se retrouve plongé dans une position littéralement intenable à s’accrocher aux pas de celle que l’on prend tout d’abord comme la plus censée du groupe, celle qui sera la plus à même de gérer la situation, et par les yeux de laquelle nous allons découvrir le vrai visage du Mal.


Maîtrisant à merveille le langage cinématographique, McLean sait comment manipuler son spectateur, en bon roublard sadique, sait passer d’un personnage à l’autre en nous perdant, créant un climat de pure terreur avec trois fois rien, et quasiment sans l’usage de véritable violence graphique. Presque, car lorsque le dégénéré se met à torturer à tour de rôle ses pauvres victimes, ça ne rigole pas du tout, et le réalisme avec lequel ces séquences sont captées devient rapidement irrespirable. Mais en bon cinéphile connaissant ses classiques, il a également compris que la suggestion pouvait faire office de réel pouvoir évocateur, bien plus qu’une surenchère de gore, ici absent, de la même manière que le classique de Tobe Hooper qui jouait sur les cadres et l’ambiance délétère pour nous faire croire que l’on voyait ce qui restait en vérité hors champ. La violence gratuite du meurtrier suffit à faire frémir et à réduire nos nerfs à néant, nul besoin d’en rajouter, et à vrai dire, que l’on voit le film pour la première fois ou qu’on le redécouvre, l’effet est le même. Lorsqu’on le découvre, on passe toute la seconde moitié à se ronger les ongles en se demandant jusqu’où tout ça va aller (car l’on sait rapidement que le psychopathe est vraiment psychopathe et n’a littéralement aucune limite), et on se fait cueillir par la sècheresse de certaines scènes, et si on le revoit, on croit être un peu plus tranquille du fait de connaître les évènements mais on vit malgré tout les évènements avec l’angoisse au ventre, en se posant des question sur notre santé mentale à vouloir se replonger dedans.


Sachant exactement ce qu’il fait, le metteur en scène joue un peu avec le feu, mélangeant comme dit plus haut plusieurs faits divers pour les amalgamer en une histoire purement fictionnelle (le tueur fou du film ainsi que les victimes n’ont jamais existé en tant que tels), mais en jouant malgré tout sur leur pseudo véracité à travers des cartons initiaux et de conclusion brouillant un peu plus les frontières entre réel et fiction. Petit malin cynique ou cinéaste intelligent jouant sur ces divers aspects pour en faire un moteur théorique de mise en scène ? Difficile à dire, et à vrai dire, peu importe, tant le film fonctionne de manière purement viscérale, expérience de la terreur avant d’être un exercice intellectuel. Les deux parties sont indissociables, s’éclairant l’une et l’autre et se donnant mutuellement un sens. Inutile de partir dans des analyses pour se donner bonne conscience, le film fonctionne de manière primitive, flattant les bas instincts ou au contraire jouant sur nos peurs les plus primales d’une manière redoutable. Certains argueront que tout cela n’a pas grand intérêt, la réalité étant suffisamment terrible en soi, les autres, les amateurs, rétorqueront que le cinéma n’est pas nécessairement là pour raconter de belles histoires et que ce type d’expérience, aussi intense soit-elle, peut nous nourrir d’une manière particulière, en sachant qu’il s’agit d’une reconstitution de la réalité et donc qu’il ne faut pas la prendre trop à cœur. Une expérience cathartique nous permettant d’affronter nos peurs et démons via une fiction et des personnages auxquels on peut s’identifier immédiatement. Peut-être une manière un peu primaire de voir les choses et de se rassurer, mais cela se vaut et explique pourquoi ce genre de film continue à fonctionner même lorsqu’on croit en connaître les règles par cœur. Surtout lorsque des cinéastes intelligents réussissent à rebondir sur ces règles immuables pour jouer sur la mise en scène comme le fait ici Greg McLean, orchestrant ce jeu de massacre en petit virtuose, nous livrant même une belle poursuite dans le désert ravivant de doux souvenirs cinéphages. Regrettons simplement quelques facilités scénaristiques indignes dans ce contexte, mais reconnaissons surtout la valeur réelle et inhabituelle du film, tenant encore sacrément bien la route 18 ans après sa présentation initiale. Des morceaux comme ça, ce n’est pas tous les jours qu’on s’en prend sur le coin de la tronche.


micktaylor78
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le 1 nov. 2023

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