Women Talking
6.3
Women Talking

Film de Sarah Polley (2022)

Je crois que j'ai beaucoup de mal aujourd'hui avec le didactisme et le pédagogisme dans les films, surtout quand c'est à outrance et qu'il n'y a aucune proposition esthétique derrière, comme si le spectateur était trop stupide pour essayer de comprendre un propos ambigu ou dénonciateur d'un phénomène. Malheureusement, Women Talking a tendance à tomber dans ce piège, au détriment d'un message fort et d'une qualité visuelle intéressante.


Le film est adapté d'un roman lui même inspiré d'une histoire vraie s'étant déroulée en Bolivie, où une colonie de religieuses se faisait régulièrement droguée et violée. Faisant passer ça ces violences pour des présences démoniaques, les hommes finissent pas se faire repérer. Et pendant leurs longues absences hors de la colonie, plusieurs femmes se réunissent pour savoir quoi faire, entre se battre, ou fuir le seul et unique monde qu'elle connaisse. Il y a plein de choses intéressantes sous traitées dans le film : les conditions de ces femmes, illettrées, confinées malgré elles et ayant vécu en communauté pendant toute leur vie. Mais le fait que ça soit filmé de manière très hollywoodienne dénature ce réalisme cruel et prend donc une tournure de l'ordre de la fable (voulue apparemment par la réalisatrice) mais qui peine à transmettre la violence subie par ces femmes. Le fait de ne montrer aucun viol est un parti pris qui est défendable, il n'est pas nécessaire de filmer la violence pour la faire ressentir. Mais comme tout est millimétré dans le jeu, le cadre, les intentions, les dialogues, on a du mal à capter leurs profondes douleurs. La musique parfois un peu trop omniprésente vient plomber certains plans d'une réelle beauté esthétique, et les actrices, plutôt que d'ancrer leur débat dans un réel plus cru, semblent jouer la course aux oscars dans leurs interprétations. Je trouve ça dommage de ne pas avoir été plus subtil pour capter ce réel enfer qu'elles ont vécu. En jouant plus souvent avec des silences, les incompréhensions entre elles, et surtout, la place de la religion dans ces violences subies.


Les quelques disputes qui explosent dans le film sont très souvent liées à ce rapport à la religion et au pardon : doit-on excuser ces hommes qui ont si longtemps abusés de femmes en les droguant ? Une réelle question morale difficile et qui est très intéressante esthétiquement. Mais le film n'en fait finalement pas grand chose, tout se joue sur quelques dialogues beaucoup trop didactiques. Et la haine refoulée est représentée là aussi beaucoup trop en surface, que par le biais de quelques moments explicatifs. Le fait qu'il s'agisse en grande partie d'un huis clos force la réalisatrice à appuyer sur ses dialogues pour faire passer son propos, à savoir que le système engendre les hommes à commettre ces crimes. Pareil, sujet intéressant, qui est abordé de manière assez nuancée dans le film. Mais c'est frustrant de ne jamais saisir le cœur de tout ça au travers de la mise en scène. Women Talking sonne donc presque comme une leçon et devient au fur et à mesure très moralisateur et pédagogue, ce qui fait perdre toute substance à la proposition esthétique de Sarah Polley.


Car oui, il y a des idées de mise en scène, notamment le fait de ne pas dater la période à laquelle le film se déroule (on peut le deviner, mais ça n'est jamais évoqué) par le prisme des décors et costumes qui font très XIXe siècle, mais où les quelques voitures semblent appartenir au XXIe. Mais aussi par ce travail de désaturation de l'image, qui vire à un noir et blanc légèrement coloré, mais qui là aussi est un peu plombé par la lourdeur des séquences de liberté oniriques hautes en couleurs. Cela donne une universalité au film, montrant que peu importe si l'histoire se déroule de nos jours ou il y a 200 ans, le problème reste le même sur cette incompréhension entre hommes et femmes. Pareil pour le personnage de Ben Whishaw, seul homme du film défendant la cause de ces femmes, qui tombe dans un pataud victimaire et presque enfantin à la fin, comme si il n'était là que pour pleurer son impuissance. C'est dommage de ne pas avoir créer le seul personnage masculin plus subtilement pour faire passer le même message : cette incapacité de l'homme à comprendre ce qu'ont pu vivre ces femmes, mais qui restent un soutien inespéré pour se faire entendre.


Women Talking souffre donc de ce didactisme et ne fait pas assez confiance à sa mise en scène audacieuse mais faiblarde. On retient plus du film une leçon d'humanité qu'un réel choc esthétique malgré ces quelques propositions. La faute à une façon de faire très hollywoodienne qui ne profite pas de ce terrible évènement pour évoquer plus subtilement un propos majeur et important. On tombe très vite, dans les 20 dernières minutes, dans le dolorisme larmoyant.

Guimzee
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le 9 mars 2023

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