Le vent puissant du destin dans la pampa argentine

Mora (Lara Tortosa, jeune actrice pleine de promesses) est celle qui court. Celle qui court et qui fuit, comme Zahori, la jument blanche, à la fois craintive et rebelle, qui appartient au vieux Mapuche, Nazareno (Santos Curapil), et qui s’enfuit, par une nuit traversée d’un vent qui l’emplit de terreur. Celle qui poursuit, aussi. Les premières images la montrent, traquant infructueusement un tatou parmi les hautes herbes de la pampa argentine, de même qu’elle cherchera, plus tard, à y retrouver son blond petit frère, Himeko (Cirilo Wesley). Mais elle est celle, aussi, qui sait se trouver aux rendez-vous implicites, ceux, magiques, qui sont comme fixés par le destin, pour croiser Zahori dans sa fuite, recevoir les conseils d’une vieille Indienne un peu chamane, ou accompagner au plus près son vieil ami dans la mort. Ces différents aspects d’une personnalité riche, malgré le jeune âge, ne se heurtent pas les uns aux autres, ils glissent et s’enchaînent dans une continuité hypnotique.


Ce glissement hypnotique, avec des pointes d’accélération ou d’intensité, marque d’ailleurs l’intégralité de ce premier long-métrage de la scénariste et réalisatrice originaire de Patagonie, Marí Alessandrini, dont plusieurs courts-métrages et documentaires furent sélectionnés dans des festivals internationaux. Les scènes se succèdent et s’imbriquent en souplesse, comme emportées par le grand vent puissant qui souffle sur cet extrême sud du continent latino-américain : une alerte lancée à la radio avec promesse de récompense, le vol, indésiré et imprévu, mais toutefois prévisible, que cette annonce provoque ; la fuite d’une jument et les différentes quêtes, avec rencontre et croisement, ou non, qui vont se trouver simultanément lancées à travers la pampa. L’écrin de ces amples mouvements est superbe, offert par les vastes paysages à la fois sculptés et rasés par le vent, brûlés par le soleil de la Patagonie, et magnifiquement captés par la photographie de Joakim Chardonnens et Ana Carolina Vergara. La musique, très subtile et discrète, de Fabían Cardozo, tantôt essentiellement rythmique, tantôt, lorsqu’elle se fait intradiégétique, reprenant des airs italiens liés au pays d’où viennent les parents rigoristes de Mora, accompagne avec beaucoup d’à-propos et de sensibilité, parfois en accord, parfois en contrepoint, les états d’âme de celle que l’on suit le plus, la pré-adolescente Mora.


Selon le mode de progression du film, on passe sans heurt d’un contexte essentiellement réaliste à quelques très brèves incursions du côté d’un irréel qui pourrait relever du réalisme magique si cher à l’Amérique Latine. Au bout de ce parcours, qui aura vu - de révolte en tentative de fuite, parfois en fuite effective, soit spatiale, soit mentale dans la musique, de dérobade en hyper et adéquate présence - une adolescente au bord de la rupture se construire finalement, on mesurera toutes les belles promesses contenues dans le consentement d’une jument qui, de rétive et fuyante, se fait infiniment patiente et se laisse enfin approcher, ou dans une porte, dont l’on a su très tôt qu’elle « serait toujours ouverte » pour accueillir l’adolescente éprise de liberté…

AnneSchneider
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le 28 avr. 2022

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Anne Schneider

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