« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un long voyage »… difficile de commencer un poème de façon plus sarcastique. Forcé de participer à une guerre stupide contre Troie qui dura 10 ans, ce dernier, ayant offensé Poséidon, se retrouve condamné à errer en Mer Egée pour une dizaine d’années supplémentaire, passant par de multiples épreuves avant d’enfin retrouver le chemin de son île. Heureux, Ulysse ne l’est qu’après vingt ans de galère totale.


Il faut alors reconnaître qu’Ubisoft n’a pas cherché à tromper sur la marchandise en titrant « Odyssée » le dernier opus d’Assassin’s Creed, encore qu’on aurait aimé que cela soit dit plus explicitement : vous allez lentement mourir d’ennui, condamnés à errer sur une carte gigantesque, et cela sans avoir offensé quelque divinité ou développeur.


Concentration


Ce qui est d’autant plus regrettable que le jeu réalise un certain nombre d’avancées significatives dans le prolongement direct d’Origins, toujours plus loin vers le rpg. La caméra plus reculée offre une visibilité améliorée. Les armures sont enfin assorties avec celles de l’époque ce qui permet de contrôler un personnage ne ressemblant pas à un cosplayer lâché en pleine nature. Les dialogues et les choix nous aident à nous sentir plus impliqués même si ces derniers restent bien timides et limités, à mille lieux de The Witcher ou des meilleures réalisations Bioware. Quant aux romances, on a malheureusement plus affaire à du tinder qu’à quoi que ce soit d’intéressant.


Le jeu commence sur les chapeaux de roue et les 20 premières heures sont une vraie réussite. On y découvre un personnage fort sympathique et un pitch franchement prometteur à base de famille à retrouver et de guerre du Péloponnèse dans laquelle on semble avoir un rôle décisif à jouer. Les premières zones et missions du jeu sont excellentes. On se retrouve en plein milieu d’un champ de bataille, puis dans une vallée automnale bénie par Artémis. L’application dans la composition des décors, du sanctuaire de Delphes à la cité d’Athènes nous transporte dans une somptueuse et vibrante Grèce antique. De ce côté, pari tenu.


Dilution


Odyssey retombe malheureusement vite dans les travers habituels des Assassin’s Creed, à savoir les histoires d’illuminatis chiantes qui viennent ici prendre le devant sur la guerre qui oppose Sparte et Athènes, les personnages sous-développés et la narration catastrophique qui écrase tous les enjeux et désamorce l’importance des choix en rendant leurs conséquences insipides : soit parce qu’ils ne changent pas grand-chose, soit parce que le personnage dont on vient de provoquer la mort (par exemple) n’a pas vraiment de substance hors de sa qualité de npc.


Mais ce qui est le plus dommageable est la grande dilution de la quête principale orchestrée par le jeu. Pour arriver au bout du scénario, il vous faudra en effet 60 heures. Et sur ces 60 heures, une part non négligeable sera consacrée à grinder sévèrement des quêtes secondaires d’une qualité très variable pour compenser la faible vitesse de la montée en niveau. Vous voilà donc dans votre Odyssée, ou votre chemin de croix si vous préférez, à parcourir des environnements dont la qualité s’essouffle au fur et à mesure et qui se ressemblent de plus en plus. Une bonne moitié de la carte est très secondaire. La quête principale ne s’y arrêtant pas, la zone est constituée d’objectifs génériques sans intérêt (quelques camps, une grotte, un fort, deux trois villes…), comme le signe de la lassitude des développeurs forcés de remplir cette map gargantuesque au lieu de concentrer leurs efforts sur quelques excellentes aires de jeu comme The Witcher 3 avait su le faire.


Ainsi l’expédition en terre mythique va de Charybde en Scylla jusqu’à s’achever sur une fin téléphonée et anti climatique. L’influence qu’on aurait pu avoir dans l’issue de la guerre se réduit à feu de paille et est imposée par le scénario. Toutes les aventures qu’on aurait pu vivre avec les personnages secondaires n’ont pas eu lieu. Comme dans Origins, certes, mais en bien pire avec l’association du grinding forcé et du gameplay répétitif qui casse ce sentiment de liberté qu’on devrait éprouver dans un jeu open world.


On sort éreinté d’Odyssey, physiquement et mentalement, tant ce qu’on nous propose de faire semble dénué de sens. J’ai passé les dernières 15 heures du jeu avec des vidéos en arrière-plan pour me distraire un minimum du jeu et pour avoir la sensation de faire quelque chose d’utile.


Mais le meilleur reste à venir. Et si je vous disais que le grind permanent qui ruine le jeu pouvait être contourné ? Et si nous pouvions profiter d'Odyssey sans se sentir emprisonné dans cette interminable cycle de tâches déshumanisantes ? Pour cela rien de plus simple: se rendre dans la boutique du jeu et craquer pour un, deux, trois boosts temporaires d'expérience. L'existence de cette petite merveille nous fait reconsidérer ce grinding horripilant . Il n'est pas un défaut aux yeux d'Ubisoft. Il ne sera pas patché comme un bug ou une erreur mais est bel et bien une caractéristique souhaitée, en pleine connaissance de cause. Voila donc un éditeur qui saborde ses propres jeux pour vous vendre les correctifs essentiels. Un business model tout droit sorti du pire du free to play dans un jeu vendu 60 euros à sa sortie. Encore une belle performance du jeu vidéo actionnarial ! Vomir sur le travail acharné de développeurs passionnés en saccageant le produit final pour satisfaire les exigences de rentabilité ubuesques des actionnaires. Si ça ne mérite pas une note de merde...


Toutes mes condoléances aux développeurs d'Ubisoft qui n'y sont sans doute pas pour grand chose.

HolyDonut
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le 29 oct. 2018

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HolyDonut

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