Celeste
8.2
Celeste

Jeu de Matt Makes Games et Extremely OK Games (2018PC)

« Je ressentais le besoin d’accomplir quelque chose »

Parmi les jeux indépendants ayant connu une très haute reconnaissance critique, le jeu de plates-formes 2D Celeste s’est imposé comme l’un des plus importants de la huitième génération de console. L’œuvre du canadien Maddy Thorson, déjà à l’origine de Towerfall, un autre jeu indépendant populaire de cette même génération, fut salué pour ses qualités ludiques, esthétiques, musicales et même narratives, me promettant donc une expérience de jeu assez extra-ordinaire sur tous les plans. Bien que peu attiré par les visuels qui étaient tombés sous mes yeux, une telle réputation m’a amené à le découvrir et à maintenant vous livrer mon point de vue à son sujet. La critique étant longue, je vous propose l’écoute du captivant thème Reflection pendant cette lecture.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆



Attention je vais démarrer la critique par admettre un point de vue assez radical : je ne suis pas un grand fan du pixel-art de manière générale. Je trouve que c’est assez moche de base et que même si on peut en faire de belles choses, je préfère des styles visuels plus nets, en accord évidement avec ce qu’il est possible de faire dans le contexte de la sortie du titre. Je suis encore moins fan de ce style quand il n’est pas clairement assumé. Ainsi, le contraste entre le style pixelisé global et des éléments d’interface d’une netteté absolue me dérange pas mal.


Je comprends que ça puisse être un très efficace facteur d’économie de moyens tout en étant plein de belles promesses artistiques, mais pourquoi le mêler à des éléments qui eux ont été travaillés de manière à être ultra-nets ? Personnellement, ça me donne le sentiment de voir un jeu qui n’est pas fini, même si je sais très bien que ce n’est pas le cas. En plus, ce style ne garantit même pas ici la lisibilité de l’action car il m’est arrivé plusieurs fois de confondre un élément de décor d’un élément de jeu, un défaut qu’on retrouve plus souvent dans un style visuel plus chargé de détails.


Malgré ce reproche très personnel quant à ce parti pris technique qui a toute la sympathie de bien des joueurs, le jeu a réussi à m’impressionner sur ces décors plus d’une fois grâce à un magnifique choix des couleurs. Ce sont les cieux orangés en fin de chapitre 3 qui auront été les premiers à capter mon attention, et ce ne sont pas les derniers décors à y être parvenu, loin de là. Voir et apprécier ces fulgurances quand on part avec une appréciation au moins mitigée comme ce fut mon cas, c’est pour moi la preuve que la réussite visuelle est incontestable et sans doute qu’avec des sensibilités esthétiques différentes je vous en aurais fait les louanges.


Je relèverai également dans les forces visuelles que la mise en scène peut être assez ingénieuse par moments en venant implanter des situations de jeu inattendues en cours de cinématiques, en jouant avec la police d’écriture des dialogues ou l’animation des portraits des personnages lors de ceux-ci… mais ces petites originalités resteront mineures et assez secondaires. Elles prouvent surtout à mon sens qu’il y a du travail derrière cette modeste réalisation et la volonté de se démarquer visuellement des autres productions du genre, ce qui est tout à fait appréciable.


Mon avis est le même pour les petites animations et effets subtils pour renforcer les feed-back comme le petit son récompensant la salvatrice collecte d’une fraise, le léger tremblement d’écran au déclenchement du dash, les cheveux se dressant et retombant doucement lors des sauts pour la sensation de flottaison dans les airs… La sensation de fluidité qui peut résulter de tout ça quand on enchaîne bien les mouvements est assez agréable. Qui plus est, ces animations et effets peuvent aussi être vus par moments comme des clins d’œil à des classiques du genre, comme l’explosion en orbes autour du personnage à sa mort qui peut faire penser à Mega Man, toujours sympa.


L’OST, composée par Lena Raine dont c’est le premier travail significatif en solo, est très efficace la plupart du temps, à n’en pas douter, mais à ma grande surprise, étant donné la très belle réputation de la composition, seule une piste m’aura réellement transcendé : Confronting Myself, pour laquelle les voix ajoutent l’intensité qui m’aura souvent manqué. Je suis assez surpris de son immense succès, même en dehors de la sphère du jeu vidéo, mais là encore je pense qu’il s’agit de réticences plutôt personnelles. Pour en finir sur le plan sonore, les bruitages qui composent les voix des personnages lors des dialogues ont le mérite de dégager une certaine identité mais c’est tout de même étrange à mes oreilles pour des personnages humains, un petit reproche de plus. Si je trouve donc la réalisation et l’esthétisme satisfaisants mais pas plus en raison de toutes ces petites réticences personnelles, il y a bien des points que je trouve beaucoup plus à mon goût.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★★☆☆



Si la plupart des petits jeux de plates-formes 2D indépendants arborent un gameplay simpliste avec déplacements et sauts, Celeste fait tout d’abord le choix d’y ajouter la commande nécessaire pour s’accrocher à une paroi. Ce simple ajout constitue une prise en main pas si immédiate que ça pour le genre avec la mécanique du grip que l’on peut activer en maintenant ou en appuyant la touche de notre choix. Pas satisfait du tout du mapping de base, celui-ci pouvant être librement choisi par le joueur il m’a fallu quelques dizaines de minutes pour trouver le mien et une bonne heure de jeu pour commencer à avoir bien en main ce maniement. Ce n’est pas nécessairement un défaut, mais ça témoigne d’une chose : Celeste établit rapidement un challenge élevé.


Le level-design a été particulièrement salué par les critiques pour sa redoutable précision exigeant du joueur un bon niveau pour progresser en contrepartie d’une très forte réactivité des contrôles, d’une inertie simple à appréhender, de checkpoints fréquents et de possibilités rapides de nouveaux essais. J’ai personnellement trouvé la gestion de la difficulté parfaite, jamais je ne me suis senti trop à l’aise ou trop en difficulté, et c’est sans doute l’un des points les plus importants de l’expérience de jeu. Seul le mode difficulté difficile, facultatif et à débloquer, relève pour moi d’un niveau de précision exigé trop élevé, ce n’est absolument pas un problème puisqu’il n’est pas nécessaire d’en passer par là au cours du jeu.


On retrouve ce même état d’esprit dans la multitude de défis facultatifs à relever avec notamment toutes ces fraises à collecter qui offrent soit des tableaux supplémentaires dédiés à leur collecte, soit une contrainte supplémentaire dans notre progression principale. C’est une manière simple et efficace de proposer constamment au joueur la possibilité de s’ajouter ou de se soustraire du challenge selon ses envies, sans se forcer à le faire, le jeu ayant l’intelligence de très vite préciser que c’est parfaitement facultatif. J’apprécie beaucoup ce simple mais important parti pris.


Bien que le maniement n’évolue que très peu au fil de la progression, le gameplay s’enrichit d’une mécanique de jeu centrale par niveau et ces mécaniques s’avèrent souvent très intelligentes, mêlant même par moment la plate-forme à la réflexion. La manière dont le level-design va être impacté par nos actions, un dash pouvant notamment entraîner des mouvements de plates-formes sinon immobiles, force le joueur a pensé ses actions à l’avance, quand et comment il va user des capacités qui lui sont alloués, notamment du dash à usage limité dans les airs… et c’est de là que Celeste tire une bonne partie de sa technicité.


Les quelques boss du jeu, ou assimilés, proposeront également de nouvelles situations de jeu originales et intéressantes tout en profitant également de cette maîtrise de la difficulté. Ne m’ayant demandé que 6 petites heures pour faire la trame principale, la générosité du contenu se trouve dans les défis annexes, modes difficiles et mondes cachés, un choix qui me va très bien, ces 6 heures étant très bien rythmées et maîtrisées. Si je suis donc déjà beaucoup plus convaincu par cette partie ludique que je trouve très maîtrisée, voyons si c’est le cas également pour les questions scénaristiques et narratives.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆



Nous contant l’histoire d’une jeune fille se lançant dans l’ascension d’une montagne mystique, l’aventure se révèle très rapidement et explicitement être une métaphore de la dépression et de la lutte pour en sortir, la protagoniste sujette à des crises d’angoisse, n’osant pas toujours dire ce qu’elle a sur le cœur, n’aimant pas une partie d’elle-même… Ce sujet mature et complexe a suscité l’admiration de beaucoup de critiques, personnellement j’ai trouvé ce traitement de la dépression assez simpliste et prévisible, bien qu’efficace. J’ai pourtant été émerveillé lors des premières heures de jeu quand j’ai vu que le scénario jonglait entre passages réels et cauchemars, que le mal-être de la protagoniste semblait se matérialiser en ennemis et obstacles...


Néanmoins, ces concepts ambitieux faisant que l’on doive constamment interpréter si ce que l’on voit relève d’un rêve ou de la réalité, si les niveaux seraient générés par l’imagination du personnage et que l’on devrait faire le lien entre ce que l’on voit et ce que l’on apprend de l’histoire... sont assez peu exploités. Par exemple, beaucoup de choix esthétiques ne semblent pas vraiment découler d’un élément de l’inconscient en particulier, aucune révélation sur le passé du personnage ne surprendra, des personnages et événements sont rajoutés sans lien avec la vie de Madeline pour constituer presque des péripéties intermédiaires…


Nous sommes bien loin des utilisations les plus ambitieuses de ce concept dans l’histoire du jeu vidéo. Nous nous retrouvons plutôt avec simplement des petites concordances entre le scénario et les éléments du gameplay comme par exemple la plume qui apparaît dans l’intrigue comme un moyen de mettre fin à une crise d’angoisse et qui devient un item bénéfique par la suite. C’est une idée subtile et pertinente, le jeu ayant l’intelligence de ne pas souligner ces idées avec lourdeur, mais du coup c’est une idée relativement discrète pour moi.


Ce syndrome de la bonne idée finalement peu exploitée se retrouve un partout dans la narration comme avec l’évolution des capacités du personnage qui va de paire avec un moment du scénario où le personnage se sent plus fort, c’est aussi une excellente idée de narration qui aurait pu être poussée encore plus loin. Le maniement du personnage aurait pu évoluer, ou même pourquoi pas régresser, davantage en fonction de sa force mentale au fil des épreuves rencontrées. Le fil rouge de l’ascension selon le parcours psychologique du personnage aurait été beaucoup plus intense selon moi avec une telle ambition.


La plus grand réussite narrative sera sans doute de faire concorder actions en jeu, sentiments du joueur et développement psychologique du personnage. Ainsi, on fuit manette en main devant un ennemi symbolisant ce à quoi le personnage refuse de se confronter, on se précipite contre ce qu’elle rejette… Dans l’ensemble, ça reste un scénario bien sympathique avec de bonnes idées narratives, ce qui est déjà très bien pour un jeu de ce genre et de cet acabit, raison pour laquelle ma sous-note reste bonne malgré mes reproches qui visent plus à vous faire comprendre pourquoi je ne porte pas une si haute estime que cela non plus au titre, au moins sur ce point mais si c’est assez représentatif de l’ensemble de mon opinion.



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



Celeste est un jeu de plates-formes en 2D aux mécaniques de jeu très bien huilées pour un excellent compromis entre challenge et plaisir de jeu, sa plus grande force à mon sens et si j’émets quelques réticences personnelles à ses réussites esthétiques et narratives, je vois aussi très bien ses qualités très appréciables dans ces domaines. Je n’aurais peut-être pas été tant marqué par cet escalade que d’autres joueurs ayant propulsé le jeu parmi leurs titres les plus favoris de l’année 2018, mais j’en garderai sans nul doute un très bon souvenir.

damon8671
7
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le 8 mai 2021

Critique lue 132 fois

2 j'aime

damon8671

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