Après plus de 5 ans d’attente suite au cultissime Super Mario 64 et alors qu’aucun épisode inédit original n’a vu le jour sur console portable durant cette période, la franchise principale du plombier revient enfin sur le devant de la scène, cette fois-ci sous les ordres de Kenta Usui et Yoshiaki Koizumi, habitués de la série mais pour la première fois à ce poste sur cette franchise. Sorti presque un an après le lancement de la Gamecube, c’est la première fois qu’un jeu Mario a un peu de retard sur le lancement d’une nouvelle console de salon, d’autant que celle-ci en aurait eu drôlement besoin et que chez la concurrence directe Sly Cooper et Ratchet & Clank font une apparition remarquée cette même année 2002. Et si Nintendo a prévu beaucoup de sorties sur cette année pour lancer pleinement sa machine, Super Mario Sunshine doit clairement en être le fer de lance.
Et Nintendo ne choisit pas la voie de la facilité, Sunshine promettant une aventure assez différente de Super Mario 64 avec un univers inédit, une direction artistique très marquée au centre de la proposition et des toutes nouvelles mécaniques de déplacements et de saut. Si je l’ai longtemps considéré comme un excellent jeu de mes souvenirs de jeunesse, j’ai longtemps attendu avant de m’y replonger avec un regard plus critique, alors voyons s’il a véritablement su se placer à la hauteur de ces très grandes attentes et rester malgré les années l’un de mes jeux préférés ou si je finis par rejoindre les critiques des fans voyant en lui un rendez-vous manqué entre le révolutionnaire 64 et le chef d’œuvre Galaxy.
GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★★☆☆☆
Le maniement de Mario diffère un peu de l’épisode 64, parfois pour le mieux avec la glissade le long de la paroi pour mieux choisir le moment du wall jump, parfois de façon plus controversée avec la disparition du saut long au profit du saut tournoyant plus facile à exécuter, mais surtout avec l'arrivée de J.E.T. qui nous permet de projeter de l’eau vers l’avant pour attaquer, vers le sol pour léviter quelques secondes ou se propulser très haut, ou encore vers l’arrière afin de se propulser vers l’avant. Super Mario Sunshine c'est donc la promesse alléchante d’un gameplay plus accessible, plus riche, plus varié et plus original pour la plate-forme comme pour l'action, reste à savoir si la promesse est réellement tenue.
Le level-design des mondes parcourus est bien entendu pensé en fonction de ces mécaniques se substituant aux costumes, l’aventure présentera en toute logique des situations de jeu spécifiques autour d’elles avec du tir à la troisième personne, du rail-shooter ou de la course, des sections de jeu reviendront aux fondamentaux pour mieux apprécier retrouver ces nouvelles capacités… Et si le tir n’est pas des plus ergonomiques avec une direction verticale inversée assez curieuse et si le fait de n’avoir que 3 combinaisons de 2 modes simultanément limite les possibilités, c’est très satisfaisant dans l’ensemble.
Yoshi fait également son retour dans la franchise comme acolyte, plus de 10 ans après Super Mario World, l’épisode 64 l’ayant relayé au rang de caméo, et s’il aurait pu être encore mieux exploité, il est déjà assez bien utilisé pour aider et apporter des variations de gameplay intéressantes, respectueuses de ses capacités originales et adaptées aux nouvelles de cet opus. Blooper racer s’ajoute également aux montures mais pour une phase de jeu à la fois très spécifique et très proche de l’un des tirs de J.E.T., quasiment anecdotique.
Une fois le très court prologue / tutoriel de base passé, Sunshine reprend très rapidement le concept de Mario 64 avec un grand niveau ouvert pour relier les différents niveaux, également ouverts, tout en rendant leur accès a minima progressif. La différence principale est une linéarité renforcée avec des épisodes suivants un ordre précis à respecter et l’obligation de faire tous les épisodes pour arriver à la fin. Ça a pu en décevoir, je reconnais que ça aurait pu être mieux avec une structure un peu plus souple, mais ça se justifie par le concept des variations importantes entre certains épisodes et leur level-design assez ouvert, ce n’est donc pas là que mes reproches personnels se portent.
Les pièces bleues imposent pas mal d’allers-retours dans et entre les niveaux ainsi que d’expérimentations pas très intuitives, plusieurs séquences de jeu pas très palpitantes comme la course après anti-Mario est répétée encore et encore, les chutes ne sont pas toujours sanctionnées par la mort du personnage mais par la nécessité de reparcourir le trajet jusqu’au point de chute, la caméra est un peu fastidieuse à manipuler par moment et il y a quelques problèmes de perspective, il y a des moments où la gravité semble vraiment bugger quand on est haut dans les airs... rien de très grave mais tous ces petits défauts sont quand même un peu décevants pour un jeu de plates-formes 3D de cette trempe et de cette époque.
Quand on sait que les derniers mois de développement ont été précipités pour respecter le calendrier de sortie ambitieux des productions Nintendo de 2002, on peut comprendre un peu mieux ces défauts, mais tout de même. Super Mario Sunshine se doit d’être la référence de la plate-forme 3D de la génération et malgré ses innovations, bonnes idées et réussites, son gameplay est simplement satisfaisant. C’est bien là le cœur de ce qui lui est reproché en règle générale mais cela peut très bien être compensé par d’autres forces dont je n’ai pas encore parlé alors laissons briller le soleil et voir s’il suffit à réchauffer l’ambiance.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★★☆
La réalisation technique est parfaitement impressionnante avec ces effets d’eau reproduisant des vagues et des reflets absolument magnifiques, ces subtils effets de distorsion pour simuler l’effet tremblant de chaleur, une très bonne distance d'affichage au service des nombreux points d’observation en hauteur sans parler de la verticalité de certaines progressions, une fluidité très satisfaisante avec un 30 FPS très stable... Même si cette réalisation n’est pas non plus parfaite avec une interface qui empiète un peu trop sur l'écran ou encore quelques décors peu travaillés occasionnellement, comme certains fonds marins, c’est incontestablement une force majeure du jeu.
Ce n’est pas la première fois, loin de là, que Mario s’aventure en dehors du Royaume Champignon et c’est une fois encore une très grande réussite pour ma part. L’île paradisiaque en forme de dauphin, sympathique clin d’œil au nom de code de la Gamecube : Dolphin, offre une ambiance de vacances enfantines estivales particulièrement efficace et mémorable avec ses plages de sable fin, ses batailles d’eau, son parc d’attractions, sa gadoue aux allures de chocolat… jusqu’à des petites détails plutôt malins, comme l’insolation de Mario quand il perd sa casquette et est exposé au soleil.
Le paysage naturel et les bâtiments mêlent des inspirations polynésiennes et italiennes pour un rendu aussi original qu’abouti. Et avoir transformé les étoiles de 64 en soleils venant ramener la lumière et la chaleur en ces lieux est une excellente idée artistique, tout comme ces cloches sonnant de plus en plus pour célébrer notre retour sur le hub central au fil de notre progression. Il est juste dommage qu’il n’y ait pas de cycle jour/nuit et que seulement quelques environnements aient eu le droit à des variantes nocturnes ou crépusculaires d’un épisode à un autre, d’autant que ces derniers sont absolument splendides et mémorables.
La cohérence dans l'enchaînement des niveaux se fait également grâce à cette île, apercevoir d'autres niveaux depuis la place Delphino ou depuis un niveau en particulier peut paraître un détail mais pour moi c'est un plus incontestable pour l'immersion et l'île Delphino devient une vrai map avec un sentiment de continuité entre les différentes régions de l'île. Ce n'est pas un monde ouvert non plus bien entendu, et il y a quelques rendez-vous manqués comme la baie Noki moins bien implémentée, mais on a quand même droit à un sentiment de continuité et de cohérence qu'on ne retrouve pas ou moins dans Super Mario 64 avec ses tableaux.
Le chara-design des nouveaux personnages est souvent assez grotesque mais c’est clairement voulu et en cohérence avec le ton burlesque du jeu. De la même manière, le fait qu’ils ne soient pas repris par la suite de la saga en dehors de quelques caméos pour faire référence à Sunshine est également cohérent avec le concept de l’île Delphino qui se veut un monde clairement à part du reste de l’univers Mario. Il n’y a donc pas de goombas, les bloops et les Koopas se présentent sous des déclinaisons uniques… ça permet de changer sans être hors-sujet par rapport aux précédents épisodes de la franchise, pas de soucis avec ça pour ma part. Par contre, s’il est logique que le nouveau fils de Bowser puisse ressembler à la version jeune de Bowser de Yoshi’s Island, c’est tout de même un peu paresseux d’avoir repris autant son chara-design au point d’entretenir la confusion, surtout avec le niveau secret à l’allure curieuse de Yoshi’s Island juste après avoir découvert le personnage, mais je chipote.
L’OST est toujours composée par l’incontournable Koji Kondo mais qui est accompagnée de Shinobu Tanaka qui vient de faire ses début chez Nintendo avec Luigi’s Mansion et sans surprise c’est une nouvelle formidable réussite. Cette bande originale s’illustre aussi bien par des thèmes inédits avec beaucoup d’identité qu’avec une généreuse quantité de reprises aussi originales que réussies, mention spéciale à Secret Course. De plus, chaque environnement profite d’une musique qui lui est propre et elle contribue parfaitement à l’ambiance relaxante ou entraînante recherchée. Ainsi, sur le plan artistique et technique le jeu est une démonstration de son époque, mais il a aussi l’ambition de porter un scénario et là...
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆
Pour une obscure raison, Super Mario Sunshine est encore plus bavard que l’épisode 64 alors qu’il n’a pas grand-chose de plus à raconter et que le doublage est beaucoup plus présent bien que très excentrique et pas toujours bien servi par un mixage sonore parfois approximatif. Le prologue amène à des dialogues peu inspirés pour expliquer avec beaucoup de lourdeur un scénario qui aurait pu être narré de façon beaucoup plus subtil, même sans aucun dialogue. Parmi les dialogues facultatifs à déclencher, on trouvera bien quelques remarques à nos actions en jeu renforçant l’immersion, des blagues prêtant à sourire gentiment, des petites intrigues annexes burlesques d’épisode en épisode, un brin de narration environnementale ici et là… et c’est à peu près tout.
Alors, ça essaie bien quelque-chose au début en entretenant le suspense sur l’identité de l’antagoniste, en faisant de Mario un personnage d’abord perçu par les PNJ comme étant malveillant, en faisant de Peach un personnage plus intelligent qu’un Mario qui ne réfléchit pas beaucoup… mais assez rapidement ça s’arrête. Peach reprend son rôle de princesse en détresse, le twist sur l’identité de l’antagoniste ne mène nul part, il ne se passe véritablement rien d’intéressant… et d’un coup à la fin ça tente une scène dramatique sur J.E.T. alors que le jeu n’a jamais essayé de le rendre attachant en tant que personnage, et du coup ils désamorcent la scène et c’est fini.
Sans aller jusqu’à développer un scénario aussi riche qu’un Paper Mario qui relève d’un genre qui s’y prête beaucoup plus, je pense qu’on pouvait largement faire mieux. Si on reprend l’exemple précédent, le personnage de J.E.T. aurait pu avoir une personnalité amusante et attachante, obtenir des améliorations à des moments importants de l’intrigue pour résoudre une situation critique, se chamailler avec quelques autres personnages alliés… et ça aurait donné un peu plus de sens et d’impact à la tentative dramatique de fin de jeu, il y avait pas besoin de beaucoup plus.
Mais Super Mario Sunshine c’est tout de même l’introduction du personnage de Bowser Junior, bien distinct de bébé Bowser et des autres Koopalings, un personnage majeur pour la suite de la saga tant il sera récurrent dans son rôle de bras droit de Bowser et ça c’était clairement dans la tête des développeurs avec ces motivations orientées sur une lutte éternelle contre Mario avec d’autres méthodes que son père, plus malicieuses. Et c’est un peu étrange aussi de présenter comme surprise l’idée que Bowser ait un fils à son service pour combattre Mario, les Koopalings existent depuis un moment et il aurait été intéressant de relever une spécificité de Bowser Junior par rapport à eux.
Papy Champi fait également son apparition, et si c’est déjà plus secondaire ça reste sympathique d’étendre un peu plus les personnages autour de Toad. Si le clin d’œil au personnage de K.Tastroff de Luigi’s Mansion pour justifier l’existence de JET et du pinceau magique est tout à fait sympathique, il aurait mérité une apparition plus notable et surtout des motivations beaucoup plus claires pour aider à la fois Mario et Bowser Junior. Ça aurait pu aussi faire un lien intéressant avec Luigi’s Mansion qui justifierait un peu plus sa sortie avant celle de Sunshine. Bref, scénario et narration sont plutôt manqués alors qu’un peu plus de travail et d’attention aurait permis d’en faire le petit plus sympathique qu’il devait être.
CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆
Super Mario Sunshine a quelques peu déçu les joueurs et les critiques qui ont toujours reconnu en lui un bon jeu mais pas le grand jeu tant attendu, en raison de défauts incontestables et de certains choix artistiques et narratifs qui pour certains font justement sa grandeur. Si j’étais dans la deuxième catégorie dans ma jeunesse, je vois davantage ces problèmes et le considère plus modestement comme un bon jeu de plate-forme 3D de son époque grâce à une ambiance forte et originale, un gameplay innovant et réussi et une réalisation technique très impressionnante. Ce n’est peut-être pas la merveille attendue mais il restera un petit coup de cœur personnel malgré une note seulement correcte.