Child of Eden
6.9
Child of Eden

Jeu de Q Entertainment, Tetsuya Mizuguchi et Ubisoft (2011PlayStation 3)

Très cyberpunk dans l'âme, le prétexte scénaristique de Child of Eden vous transporte dans la mémoire virtuelle d'une lointaine humanité afin de sauver l'esprit numérisé d'une jeune chanteuse morte depuis des siècles, prise pour cible par une gigantesque attaque de virus. Engagé dans une chasse aux malwares, vous pourrez ainsi contempler les représentations symboliques de toutes les connaissances humaines (animaux, créatures, formes géométriques,...) qu'il faudra purifier à l'aide de trois armes différentes: une attaque normale, une attaque "violette" destinée aux agressions d'entités arborant cette couleur et une attaque spéciale hyper-limitée qui nettoie tout l'écran. Le but du jeu est de parvenir à une harmonie entre vos tirs purificateurs et les beats de la musique qui se construit au fur et à mesure de votre progression. La promesse du réalisateur, Tetsuya Mizuguchi ? Un trip synésthésique qui vous fera confondre couleurs hallucinées et musique électro-pop.

Un programme alléchant pour les amateurs d'expérimentations, à l'instar de votre serviteur. Et, effectivement, il faut oser tenter le coup pour se retrouver devant un gameplay osé et hypnotique, et une exploration cyber-poétique dont certains moments resteront gravés dans votre esprit comme une orgie de couleurs et de mouvements qui semblent résumer la vie dans son essence la plus pure. Malheureusement, entre le shooter à scoring et le délire artistique, Child of Eden n'a pas su choisir. Du premier genre, le jeu retient les poussées d'adrénaline, la fureur, le stress. Du second, la contemplation et le sentiment de sérénité. Heu... vous n'avez pas décelé comme un vague problème, vous ? Deux visions ludiques antagonistes, limite antithétiques, qui demandent, pour coexister en toute harmonie, un game design sans failles. Comme vous allez le découvrir avec moi, ce n'est, hélas, pas le cas...

Si la maniabilité est généralement bonne, les sticks analogiques de la Playstation ne permettent toutefois pas la rapidité qui eût permis au joueur d'affronter certains défis du jeu en pleine possession de ses moyens. Comme pour un FPS, une souris se serait sans doute révélée bien plus adéquate aux soudaines envolées "hardcores" de Child of Eden. Car, disons-le nettement, la difficulté globale du soft est mal dosée. A de longues séquences plutôt tranquilles, qui permettent d'admirer la beauté psychédélique des décors, succèdent des agressions qui se résument toujours à des boules de couleur violette qui se jettent sur vous en surnombre. La répétitivité de ces attaques est heureusement désamorcée par l'eurythmie aussi bien esthétique que ludique qui s'en dégage: souvent, ces boules se déversent vers le joueur selon une configuration en spirale très agréable à suivre au pad, un peu comme si vous deviez dessiner à l'aide des sticks les contours d'une plante en plein efflorescence. Une véritable sensation d'osmose se dégage ainsi des "combats" les mieux élaborés. La déception est d'autant plus grande lorsque vous vous confrontez à des passages complètement déséquilibrés, où vous devez affronter une cinquantaine de boules qui se répandent dans tous les sens au point de rendre quasiment illisible l'écran de jeu.

Le summum de l'horreur est atteint dans l'avant-dernier niveau nommé "passion": le combat contre le "boss" est jalonné d'une dispersion invraisemblable de ces maudites boules violettes, dont certaines sont pratiquement IMPOSSIBLES à éviter. Je ne dis pas cela parce que je joue comme un chimpanzé (je ne vous permets d'ailleurs pas de m'insulter !): une rapide vérification de vidéos de bons joueurs sur Youtube m'a bien prouvé que même les hardcore gamers en prennent plein la gueule lors de cette imbitable fin de niveau. Le côté méditatif et tripant promis par les développeurs se mue alors, comme il se doit pour tous les jeux élaborés en dépit du bon sens, en une séance d'énervement et d'injures blasphématrices du plus mauvais effet pour la tension. Enfin, il se peut que vous soyez plus patients que moi, hein ! Mais quand je vous dirai que le plus long niveau dure environ 20 minutes et que la mort vous oblige à tout vous retaper depuis le début, vous comprendrez la quasi-arnaque de Child of Eden: vous faire recommencer plusieurs fois les 5 minuscules niveaux (un 6ème apparait en bonus à la fin du jeu, aussi agréable à jouer qu'une partie de Poker entre aveugles) afin de rallonger artificiellement la durée de vie. Durée de vie qui ne dépasse malgré tout guère les 3 ou 4 heures, même si de multiples bonus insipides (essentiellement des artworks) tentent de vous inciter à jouer comme un demi-dieu avec des taux de purification de 100% et des gros scores à chaque niveau. Qui y parviendra, franchement, à part ceux qui auront sniffé de la coke ? Sans compter qu'une telle tentative empêche d'harmoniser ses tirs avec les pulsations de la musique puisque l'attention d'un être humain normalement constitué ne peut se focaliser à la fois sur le rythme et l'extermination totale des virus.

Alors que le jeu saborde lui-même sa vision artistique par une obsession pour le scoring qui le met au même niveau qu'un jeu d'arcade des années 80, un mode de difficulté spécial, sans vie et sans game over, permet de tirer in extremis Child of Eden de sa mortelle contradiction: alors que vous êtes devenu invincible, l'aspect ludique repose uniquement sur une interaction gratuite entre vous et le paysage audiovisuel somptueux qui se dévoile enfin dans sa pleine majesté. Notez tout de même que vous devrez finir chaque niveau en mode normal avant de pouvoir en profiter sous ces conditions pacifiques.

Malgré ma virulente critique, je ne peux que vous encourager à acheter ce jeu à petit prix (20 euros en ce qui me concerne), tant l'audace et le souffle novateur de Tetsuya Mizuguchi méritent d'être encouragés. A petite dose, son oeuvre procure souvent l'effet déstabilisant recherché, et quelques options (obtenues aussi en fin de jeu) vous permettront de créer une expérience plus personnelle. Personnellement, je ressortirai de temps en temps cette galette pour de courtes séances de trip, persuadé que nous tenons-là une vision du jeu vidéo qui doit encore être développée et améliorée mais qui augure d'une fraicheur bienvenue dans un marché qui se veut généralement bien trop formaté.

Amrit
6
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le 18 mai 2012

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