Le cross-over non-officiel entre les sagas Seven, Saw...et Madame Irma

Comme beaucoup de monde, c'est le nom de Jane Jansen, créditée ici en tant que "consultante scénario" du jeu, qui a attiré mon attention et m'a fait mettre la main au porte-monnaie. Pour rappel, Jane Jensen est à l'origine d'au moins 2 chefs-d’œuvre du point&click que sont "Gabriel Knight: sins of the fathers", ainsi que le moins connu, mais tout aussi délectable "Grey Matter", une de mes dernières grosses claques récentes en matière de jeu d'aventure (à côté d'autres grands jeux comme Machinarium/Botanicula, la 1ere saison de Walking Dead, Life is strange, la série Blackwell, the Dark Eye: Memoria, etc.).

Il est d'ailleurs difficile de ne pas tracer quelques parallèles entre Grey Matter et ce Cognition : une héroïne féminine dotée de capacités spéciales (la magie dans Grey Matter, des "visions" dans Cognition) et une ambiance mystérieuse / fantastique. Après, la comparaison s'arrête là, car, pour les raisons que je vais énumérer par la suite, ce Cognition, bien que très sympathique et avec de vraies qualités ludiques, n'arrive malheureusement pas à la hauteur de son prédécesseur.

Commençons par les qualités du titre, avec tout d'abord le scénario : difficile de savoir exactement quelle part a eu Jane Jensen dans son élaboration, mais celui-ci est, dans les grandes lignes, solides; l'histoire se tient, le format épisodique est bien exploité, avec de grosses révélations / cliffhangers à la fin de chaque épisode qui tiennent le joueur en alerte; certains personnages ont des développements vraiment intéressants (Cordélia!).
Par ailleurs, l'originalité ludique du titre tient à son exploitation du système de cognition de notre héroïne : celle-ci, selon diverses configurations qui s'enrichissent au fur et à mesure du jeu, peut être assaillie de visions du passé lui donnant des indices sur les meurtres et affaires qu'elle a à résoudre. Du coup, les passages les plus agréables du jeu vont consister à explorer le passé de personnages ou à passer au peigne fin le lieu d'un crime en exploitant ce système. Les énigmes sont renouvelées à chaque épisode avec l'introduction de variantes bienvenues ; seul le 4e et dernier épisode est quelque peu décevant sur ce plan-là, en introduisant une mécanique de "réputation" au final aussi maladroite que superflue.
Les énigmes, quant à elles, font généralement sens et ne semblent pas complètement tirées par les cheveux, s'intégrant le plus souvent bien à l'histoire (aidées en cela par le postulat de départ: une agente du FBI luttant contre des tueurs amateurs d'énigmes et de mécanismes aussi géniaux que tordus). Le système d'aide étant lui aussi plutôt bien pensé, je n'ai jamais été véritablement bloqué et n'ai jamais eu à consulter une aide extérieure. Pour autant, certaines énigmes nécessitent un minimum de réflexion, le tout restant néanmoins agréable à résoudre.
Concernant l'aspect graphique, on est clairement face à une production à petit budget (on est habitués dans l'univers du point & click qui reste un genre de niche...). Les modélisations 3d des personnages font clairement cheap et peuvent déconnecter quelque peu le joueur de l'univers dans la mesure où les dialogues sont nombreux et où la mise en scène ne lésine pas sur les (très) gros plans...Néanmoins, malgré ces limites techniques, la réalisation d'ensemble reste tout à fait honnête. De jolis intermèdes dessinés en animation limitée viennent en outre ponctuer les principaux moments du récits (là encore un peu à la manière de Grey Matter).

Cela étant dit, quels sont les défauts qui empêchent ce titre de rentrer au panthéon du genre? Tout d'abord, le scénario présente tout de même quelques défauts: certains éléments et évènements (sans spoiler) sont clairement tirés par les cheveux, tandis que certaines énigmes parfois incohérentes (heureusement peu nombreuses) sont clairement là pour augmenter un peu artificiellement la durée de vie (par exemple quand, dans l'épisode 1, l'héroïne doit lire une cassette audio et pour cela...va voler son lecteur de cassette à sa collègue de la morgue. Elle pouvait pas tout simplement en demander un à son employeur, le FBI???).
Mais surtout, j'ai trouvé l'aventure parfois un peu trop longue, l'ennui a pointé à plusieurs reprises. Il faut dire que le récit, globalement, sent souvent le déjà vu: une pointe de Seven, pas mal de Saw (pour les gadgets démoniaques du principal tueur), beaucoup des Experts et des kms de séries policières dont les Américains nous ont abreuvé durant des années...Hormis peut-être le principe de Cognition (et encore...), l'originalité n'est pas le point fort du titre et a eu, de ce fait, du mal à me captiver tout du long.
J'ai des critiques également à formuler vis-à-vis du personnage principal qui m'a semblé assez inintéressant et fade: je ne me suis jamais vraiment attaché à cette Erica Reed, dont on ne saura d'ailleurs pas grand chose au final ; paradoxalement, son background est moins exploré que beaucoup d'autres personnages et sa personnalité n'est guère captivante. Bref, on est à mes yeux à des kms de l'héroïne de Grey Matter qui était, pour le coup, beaucoup plus attachante et avec plus de personnalité / d'incarnation.

Pour conclure, je ne conseille véritablement ce jeu - qui a, je le redis, malgré tout des qualités indéniables - qu'aux personnes vraiment férues du genre et qui ont joué à leurs classiques. Pour les autres, il y a tout de même de nombreux point&click plus intéressants au global que celui-là, et je leur conseillerais par exemple de se tourner en priorité vers les Gabriel Knight et Grey Matter s'ils souhaitent avoir un aperçu du talent de Jane Jensen.