Wake the fuck up Samurai! We have an industry to burn.

À défaut d’être un bon jeu, Cyberpunk 2077 nous permet de faire une rétrospective sur l’état d’une industrie mourante. Entre un marketing acharné et menteur, des développeurs mis sous pression, des exécutifs sans une goutte de prévoyance dans leur sang et des fans hystériques, ce jeu n’a jamais eu la moindre chance de satisfaire les attentes de tous. Même sans le traiter comme la seconde venue du Christ, il reste amplement décevant dans pratiquement tous ses aspects.

Évidemment, le jeu est estropié par les difficultés techniques (le simple fait qu’il ait dû être retiré du PSN alors que des jeux comme Fallout 76 ou No Man’s Sky y soient restés en dit long), mais les problèmes sont ancrés bien plus profondément que ça.


Présenté - et vendu - comme étant un jeu de rôle permettant une certaine malléabilité du personnage principale, c’est sur ce point que CP77 met le premier pas dans sa tombe. Les trois choix offerts dès le début sont des vestiges du système originalement montré par CD Projekt (et du jeu de rôle papier), qui permettait un choix bien plus divers de classes (policier, journaliste, pirate informatique, assassin, rockerboy…). Ici, ce ne sont plus des classes mais bien une histoire à part entière qu’on doit choisir, cette dernière ne s’amalgame qu’à une mission d’introduction d’une petite demi-heure qui amènera tous les joueurs à un même point dans l’histoire, par le biais d’une cinématique plus que maladroite qui montre ce qu’a fait le jeu sans nous pendant six mois. Peu importe les maigres choix offerts et choisis, tout le monde se retrouvera à jouer ce mercenaire ambitieux, meilleur ami de Jackie (qui essai quand même de nous trahir dans l’introduction des nomads) avec des contacts noués à travers la ville. Cette ellipse mutile la trame du jeu et le personnage de V en général, alors que d’y jouer aurait une excellente introduction au monde et fonctionnement de Night City.


Il est très difficile d’être attaché à V. Ce n’est pas un personnage ayant une quelconque personnalité au-delà de vouloir être une légende dans Night City – motif d’ailleurs très banal et forcé sur le joueur. C’est cette volonté paradoxale qui nous amène à contrôler ce personnage portant en lui les pires aspects des deux extrêmes narratifs ; un mauvais entre deux entre un jeu narratif avec un protagoniste établi et un véritable jeu de rôle où le personnage est façonné d’A à Z par le joueur. Le système de dialogue est incroyablement fluide quand il est bien utilisé mais souffre du même problème que Mass Effect ou Fallout 4, où le dialogue écrit ne correspond pas au dialogue prononcé.
C’est difficile de devoir remplir les bottes de The Witcher 3 au niveau narratif. Ce dernier a établi un standard à travers l’industrie sur ce que devait être une trame scénaristique, standard dont CP77 n’arrive même pas à la cheville. Est-ce les personnages oubliables ? La brièveté de la quête principale ? Le manque de contenu secondaire entrelacé au principal ? Une écriture souvent digne des meilleurs philosophes de comptoir ? Un peu de tout, mais il est clair que l’histoire a dû être retravaillée après que Keanu Reeves soit venu à bord afin de l’intégrer au plus – et qu’elle en a lourdement souffert. En revanche, Silverhand est loin d’être un mauvais personnage – c’est même l’un des mieux travaillé du jeu, mais son implémentation laisse désirer, notamment hors de la trame principale ; apparitions inégales, peu pertinentes, à la limite du gênant.


De ce qui avait été présenté, le level design voulait mêler la liberté des mondes ouverts classiques avec la complexité d’immersive sims comme Deus Ex ou System Shock. Des avants postes Far Criens pullulent dans la ville, et bien qu’ils soient effectivement accessibles par quelques manières, ces derniers sont trop mal implémentés pour que ce design soit comparable à ce que qu’offrait Deus Ex il y’a deux décennies. La furtivité est ainsi largement inutile, surtout lorsque s’ajoute le grand problème l’intelligence artificielle imprédictible des ennemies (et inexistante chez les conducteurs et autres pnjs lambdas). Avant de passer aux mécaniques plus directes du gameplay, on notera également que l’aspect visuel de ces bases n’a clairement pas reçue la même attention au détail que les intérieurs des missions principales ou de l’aspect général de la ville, et on se retrouvera sans cesse à devoir prendre d’assault un garage ou entrepôt.


L’industrie a connue bien pire gunplay, l’acte de tirer est assez plaisant et est en contraste avec le combat de The Witcher 3 qui s’avérait souvent rigide. Désactivez la croix de visée ainsi que tous les éléments d’interface nuisibles pour avoir une meilleure expérience, mais celle-ci possèdera dans tous les cas quelques petits problèmes : les ennemies sont des éponges à balles, la localisation des dégâts est décevante, et il y’a un clair manque de diversité des ennemies et armes. S’ajoute l’absence totale de customisation/d’amélioration de l’équipement pour laisser place à un système de fabrication mal branlé et inutile. Ce manque de customisation pointe sûrement à un gros manque de temps : rien pour les appartements (alors que cela avait été promis) et on ne peut même pas changer l’apparence du personnage principal en dehors de la création en elle-même (alors que c’était faisable dans The Witcher 2/3. Le seul implant utile du jeu est le double-saut, qui offre pour le coup un dynamisme accru pour la jouabilité et le mouvement en général. Même si la fonction n’est pas parfaitement implémentée dans le jeu, on pourra quand même remarquer que la ville en elle-même, et notamment les bidonvilles permettent une liberté et une fluidité de mouvement qui peut rappeler des jeux comme Dying Light.


Ce n'est en revanche pas du tout le cas pour le cœur de ville, où beaucoup des bâtiments sont des vitrines inaccessibles ou réservées pour des missions en particulier. Cela aurait été évidemment difficile de créer une ville aussi vaste que Night City tout en retenant la complexité de chaque endroit à la Fallout/ES, mais même les parties extérieures de la ville sont souvent dénuées d’activités/d’endroits méritant une visite. L’atmosphère de dystopie corporatiste se fait aussi très facilement écrasée lorsqu’on se rend compte que le système de crime n’a absolument aucun effet à long terme (du moment que vous surviviez aux policiers omniscients et se téléportant). C’est une claque que de visiter la ville avec le jeu au maximum graphique, mais ça n’a au final aucun intérêt.


Cela vient surtout du contenu secondaire extrêmement bâclé. Certaines quêtes offrent une qualité qui rivalise celle de la mission principale (notamment celle centrées sur les connaissances de V), mais elles sont en grande minorité face aux sous-quêtes principales qui viennent justifier la comparaison avec un GTA ou le dernier opus d’Ubisoft. Aller tuer le chef d’un groupe de 10 bandits… neutraliser un ennemi spécial qui a beaucoup de vie… et voilà. C’est beau que chacun de ces groupes et cyberpsychos aient des histoires qui leurs soient propres (bien que beaucoup soient une critique acharnée des institutions médicales et policières), mais elles ne couvrent pas le fait qu’elles offrent toutes la même boucle de gameplay.


Fini au bout d’une cinquantaine d’heures, pour au final ne plus vouloir le toucher avant qu’il sorte de pré-Alpha. Espérons que c’est le dernier clou dans le cercueil d’une industrie qui s’est trop reposée sur un marketing agressif, une relation trop cordiale avec les mouvements de hype ainsi qu’une culture du crunch obsessive.

On nous a promis Blade Runner, on a eu Johnny Mnemonic.

elwin
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le 21 déc. 2020

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elwin

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