Tu sais Zach, on dit souvent que la première impression est la bonne. Parfois, il faut pourtant savoir aller au-delà, creuser jusqu'à révéler la vraie nature des choses. Par exemple, à ton arrivée à Greenvale, tu as tout détesté : ses murs gris, la démarche raide de ses habitants. Toi comme moi, on n'avait rien vu d'aussi moche depuis des années. Et pourtant, trois semaines plus tard, nous sommes encore là. Autant évacuer de suite le sujet qui fâche : Deadly Premonition, c'est le jeu le plus fauché sorti sur 360. Visuellement, on fait un bond de deux générations en arrière : en extérieur, les textures sont hideuses, et c'est la fête aux scintillements. En intérieur, c'est un peu mieux, mais à peine. Ne mentionnons pas non plus l'animation assez archaïque ou les contrôles dont la souplesse évoque le premier des Resident Evil. Pourtant, pour peu qu'on aime les titres un peu atypiques, on accroche tout de suite avec l'incroyable personnalité de Francis York Morgan, agent du FBI et protagoniste principal. Il a en effet la particularité d'être toujours accompagné par Zach, son... partenaire imaginaire. Il fait une consommation immodérée de café et de cigarettes, et affectionne les longs monologues (ou dialogues avec Zach) sur des sujets comme le cinéma des années 80 ou la nature profonde du crime, aussi violent soit-il. Ce que Deadly Premonition a économisé en textures, il l'a gagné en dialogues : voilà un titre qui peut se targuer d'avoir quelques-unes des meilleures scènes jamais écrites dans le jeu vidéo. Pas d'économie non plus sur l'interprétation (en VO sous-titrée) : les voix sont parfaites et donnent toute sa crédibilité au scénario, bien plus que de jolis visuels.
Twin Peaks
En fait, à bien des égards, Deadly Premonition rappelle énormément le film de David Lynch : une ambiance dérangeante, qui va de l'étrange à l'horreur franche, une petite ville où chaque habitant cache un secret. Mais il réserve aussi son lot de scènes drôles et complètement décalées, qui lui donnent un cachet unique. Sans parler de ses musiques, parfois atmosphériques, parfois totalement à contre-pied. A vrai dire, on ne sait jamais vraiment à quoi s'attendre, d'autant que la structure ouverte du jeu encourage l'exploration et les rencontres. En journée, on peut interroger n'importe quel habitant de Greenvale (et tous sont fascinants), ou bien en suivre un jusqu'à son domicile le soir venu, puis l'épier par la fenêtre. Il faut parfois savoir prendre son temps, quitte à reporter à plus tard un rendez-vous important pour l'enquête. Un tueur en série particulièrement cruel et imaginatif rôde à Greenvale les nuits de pluie, et ce pourrait être n'importe lequel de ses habitants. Interrogatoires, énigmes ou exploration d'une réalité alternative peuplée de créatures autrefois humaines : on pense autant à Shenmue qu'à Resident Evil, Silent Hill, ou plus récemment Alan Wake. Et pourtant, le jeu garde une saveur qui n'appartient qu'à lui, grâce à la profondeur de ses personnages et de la cohérence de son scénario qui ne cède jamais à la facilité. Du coup, le joueur aussi en bave : pour continuer à dérouler cette histoire fascinante, pour avoir le plaisir d'aller boire un verre avec Georges, le shérif, ou de s'arrêter discuter à la supérette, il faut en passer par ces phases d'action/horreur à la maniabilité crispante. Sans parler des QTE, tout aussi agaçants, qui vous verront fuir sous les coups du mystérieux "Raincoat killer". Et pourtant, malgré tous ces défauts, on tient là l'un des titres les plus originaux et les plus marquants de 2010, à l'impact émotionnel sans précédent. Mais qui se réservera à ceux qui sauront aller au-delà des apparences.
VERDICT :
- Francis York Morgan (+)
- Les dialogues (+)
- Ambiance et scénario (+)
- La réalisation qui date de l'an 2000 (-)
- Les contrôles archaïques (-)
Cohérence du scénario, profondeur des personnages, décalage entre humour et scènes dérangeantes font un titre unique et inoubliable.