Disco Elysium
8.6
Disco Elysium

Jeu de ZA/UM Studio (2019PC)

Cela faisait longtemps que je souhaitais essayer ce jeu, tant encensé par les critiques de toutes parts et que l'on m'a chaudement recommandé à de nombreuses reprises.


J'aime autant vous dire que mon expérience a été pour le moins mitigée, ou en tout cas, pas à la hauteur de ce que j'en attendais !


Sans non plus vouloir détruire le jeu, car je souhaite en faire une critique construite et non gratuite, je vais tenter de m'en tenir aux faits.


Déjà, pour poser le contexte, il faut savoir que j'ai toujours beaucoup aimé les CRPG (c'est-à-dire les jeux de rôle sur ordinateur) de tout poil, mais que par contre je n'ai à peu près jamais réussi à accrocher au moindre jeu de rôle "classique" (c'est-à-dire "de table", comme Donjons et Dragons).


Alors, fort de sa réputation qui l'aura précédé, j'étais très intrigué par ce jeu de rôle sur ordinateur, mais ouvertement et fortement inspiré des jeux de rôle "de table", et je me demandais si cette nouvelle approche "hybride" allait enfin me réconcilier avec ces derniers ?


Bon, alors alerte aux spoilers : la réponse est non.


Un résumé rapide de ce jeu serait que l'on incarne un policier complètement déchiré au lendemain de ce qui semble avoir été une cuite d'anthologie, évoluant dans les différents quartiers de Revachol, une ville fictive qui, à la suite d'une crise géopolitique majeure (laquelle ? Ce sera toujours évoqué, jamais expliqué...), ressemble davantage à un bidonville géant en déperdition qu'à une véritable ville. Aidé de son comparse Kim, sorte de policier modèle incarnant la voix de la raison du jeu, notre protagoniste doit résoudre un mystère d'assassinat, mais aussi enquêter sur son propre passé car beaucoup de ses effets personnels sont manquants et la mémoire vous fait cruellement défaut. Ambiance.


Ce jeu n'est probablement pas un jeu dans lequel on se lance sans un minimum de préparation ou de goût certain pour la lecture. Car s'il commence de manière tout à fait classique pour ce genre, les premiers dialogues un peu costauds arrivent vite et, bigre ! Ce ne sont pas des murs, mais bien des citadelles entières de texte qui vous attendent !


Dans le cas de ce jeu, on pourrait blaguer sur le fait que CRPG veut ici dire "Cerebral RPG". De mon point de vue de joueur un peu lambda, et pas spécialement fan du genre, un des attraits d'un jeu de type "point and click" comme Disco Elysium est de pouvoir se relaxer, car on sait qu'il n'y aura ici aucune mécanique demandant de la concentration ou des compétences techniques.


Ici, ce que je reprocherais au jeu se résumerait en : il en dit trop, trop vite. Si le jeu prend soin de ne pas introduire d'un seul coup toutes les mécaniques de son gameplay, ce qui est très bien, on ne peut en dire autant de la narration car, avant même d'atteindre les quatre premières heures de jeu, on se retrouve facilement submergé-e de quêtes annexes partant dans toutes les directions là où le jeu, à mon sens, devrait encore servir de fil conducteur avant d'ouvrir le champ des possibles.


De même, il dévoile trop rapidement, à mon goût, toutes les subtilités et originalités de l'univers complexe et chaotique que ses créateurs ont conçu. Loin de tenter de découper sa narration en morceaux comestibles, comme des "actes" par exemple, on se retrouve vite comme face à un maître de jeu trop content de vous présenter son univers original, vous submergeant rapidement d'informations certes intéressantes, mais pas forcément utiles pour avancer dans le jeu. Si bien qu'il est tout à fait possible de rencontrer dès le début du jeu un personnage qui, sans trop de justification narrative, sera capable de vous énumérer absolument toutes les races et les différents groupes ethniques que comportent sa théorie raciste, ce qui n'a alors qu'un rapport très flou avec votre enquête.


Les dialogues sont longs, trop longs. Bien que j'ai trouvé l'écriture ciselée, et les dialogues parfois savoureux grâce aux quelques fulgurances qui font éclater de rire tellement c'est improbable ou bien trouvé, on se surprend souvent à s'ennuyer, à commencer à en "zapper" la plupart ou à lire en diagonale, car bien peu recèlent des informations vraiment importantes ou même, intéressantes pour la suite de l'intrigue. Et assez rapidement se pose la question de "Bon, et qu'est-ce qu'il faut faire, maintenant ?" sans que la réponse ne soit jamais très claire.


C'est un peu comme si le studio de développement avait laissé des narrative designers écrire un roman en roue libre, puis avait essayé de construire un jeu autour de tout ça. C'est de la grande littérature, pas de doute, mais le niveau d'interactivité est faible, même pour un jeu de ce genre. La lenteur et la rigidité générales des déplacements des personnages contribuent à cette sensation de "traîner", alors même que dans un point and click, on passe souvent son temps à faire beaucoup d'allers-retours entre différents endroits ou personnages. À noter d'ailleurs que le jeu est truffé par-ci par-là d'écrans de chargement, suffisamment lents pour devenir pénibles à la longue, ce qui n'arrange rien.


Je tiens toutefois à noter que la narration générale fait un très bon boulot lorsqu'il s'agit d'explorer la démence et les dérives associées lorsqu'on incarne un flic devenu complètement fou. Le jeu propose une narration résolument contestataire et marxiste au sujet d'une société partant à la dérive, avec un sous-texte semblant nous hurler "ACAB" dans l'oreille, et ça, ça en fait forcément un jeu vraiment, vraiment pas comme les autres. Je ne peux que regretter que l'expérience vidéoludique ne soit pour ma part pas au rendez-vous.


En ce qui concerne l'aspect visuel, je dirais que toute l'interface utilisateur est très bien pensée et visuellement cohérente. On s'y retrouve plutôt aisément, malgré des problèmes qui me semblent être des bugs, comme le fait que certaines quêtes secondaires ne disparaissent pas du journal, même après les avoir complétées.


Les mécaniques de jeu se présentent clairement et reposent principalement, dans la plus pure tradition des jeux de table, autour de jets de dés au cours desquels vous devrez dépasser un certain score pour réussir votre tentative d'action.


L'aspect "jeu de rôle" est représenté par la personnalité intrinsèque de votre personnage (que vous choisissez au début du jeu), ainsi que des points de compétence que vous pouvez allouer à mesure que vous gagnez de l'expérience dans le jeu. Lors des dialogues avec d'autres personnages, différents aspects de votre psyché (comme votre instinct, votre sens de l'observation ou encore la bête sauvage qui sommeille en chacun de nous) peuvent tenter de prendre le contrôle pour changer l'issue de la conversation. Les probabilités de réussite de chacun de ces traits de caractère dépendent des compétences de votre personnage.


Cependant, j'ai trouvé le système de jeu globalement sévère, avec des pourcentages de réussite souvent ridicules et des augmentations de compétences qui n'améliorent pas beaucoup des probabilités déjà faibles. De plus, comme vous n'avez pas le choix des traits de caractère participant à la discussion, vous êtes à la merci de ce que les développeurs ont prévu : il est tout à fait possible d'investir des points dans une compétence qui vous sera relativement inutile.


Au niveau du monde de jeu, malheureusement l'ensemble m'a paru plutôt laid pour un jeu sorti en 2019 ! La ville de Revachol possède un caractère certes indéniable, et l'intention fut probablement de montrer à quel point ce microcosme est en train de sévèrement partir en vrille, mais les graphismes du jeu ne le mettent malheureusement pas en valeur. Les moments importants de l'intrigue révèlent cependant des illustrations en plein écran, qu'on appellerait des CG dans un visual novel, de très grande qualité.


Pour ma part grand amateur de jeux point and click "de la grande époque", comme Monkey Island, Day of the Tentacle ou Grim Fandango, j'ai été assez déçu et je trouve que l'élève n'a pas dépassé le maître. J'ai vraiment eu du mal à comprendre pourquoi ce jeu a-t-il généré tant de hype, à part pour sa narration qui est en effet pas mal jamais vue et intéressante, mais mal amenée et pas vraiment mise en valeur.


J'y ai joué une demi-douzaine d'heures plutôt ennuyeuses, sans vraiment avoir l'impression de faire le moindre progrès, et je n'éprouve pas le besoin de le relancer !


Je le conseillerais toutefois à quiconque est un-e mordu-e de jeux de rôle "papier", ou qui cherche à se lancer dans ce que je qualifierais une "fiction policière semi-interactive". Ça vaut le coup d'essayer au moins une fois !

Scylardor
5
Écrit par

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le 9 nov. 2021

Critique lue 561 fois

4 j'aime

Scylardor

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