Dragon Quest
6.7
Dragon Quest

Jeu de ChunSoft, Enix et Nintendo (1986NES)

Un bien sympathique début pour Dragon Quest, saga pionnière de son genre

Alors que les RPG ne se trouvaient que sur PC avec des sagas comme Ultima ou Wizardry, le jeune éditeur Enix entend réadapter le genre pour en proposer les aventures à sa sauce sur console. Ainsi né la saga Dragon Quest, déjà des mains de Koichi Nakamura, alors jeune programmeur talentueux derrière le premier jeu édité par Enix sur Famicom, qui poursuivra à ce poste de game-director 4 épisodes de la franchise durant, avec un premier épisode comme l’un des tous premiers RPG de la NES et de la troisième génération de consoles. Je précise que j’ai joué au jeu dans sa version NES, intitulée Dragon Warrior, ayant profité de quelques améliorations graphiques et d’ergonomie sur lesquelles je reviendrai par rapport à la version Famicom originale. Je vous propose d’en lire ce que j’en pense en écoutant ce véritable appel à l’aventure qu’est l’emblématique thème d’ouverture du jeu et de la saga en version symphonique.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★☆☆☆



Arrivé très jeune dans la vie de la console, en 1986, tout particulièrement sur la Famicom au Japon, de sacrés carences techniques sont évidemment à constater et à accepter. Dans cette toute première version, les sprites ne regardent par exemple que dans une direction unique qu’importe la direction qu’ils prennent dans leur déplacements, un rendu obsolète déjà à l’époque. Quelques saccades bien prononcées dans les déplacements sur certaines cases sont également à regretter même si ça ne dure jamais bien longtemps. Un sens de la mise en scène parfois très austère même compte-tenu des limites techniques de la machine peut faire un peu tâche.


En effet, à part l’apparition magique d’un pont pour accéder à l’ultime zone du jeu, on ne fait que de se déplacer de cases en cases sans effets particuliers, hors combat. Et pendant ces combats, si l’ouverture d’une fenêtre au centre de l’écran pour présenter l’ennemi de face avec la carte en arrière-plan est une bonne idée en soi, il aurait été préférable d’aller jusqu’au bout du concept avec plus d’écrans différents selon les cases explorées, parce que voir des herbes et des arbres sur une case de désert… à ce compte-là autant laisser constamment l’écran noir des donjons à mon sens.


En revanche, il y aussi des petites forces techniques à voir également, comme le passage en temps réel entre extérieur et intérieur avec les blocs aux alentours devenant noirs ou reprenant leur couleur pour bien indiquer la différence, c’était plutôt bien vu. L’interface qui rougit lorsqu’on est proche de la mort fait partie des ces bonnes idées, elle donne un très bon feed-back avec ce choix de couleur agressif parfaitement cohérent et assez stylé. Cette réalisation a beau être vieillissante, elle est justifiée par son contexte de sortie et nuancée par ses quelques réussites et bonnes idées, raisons pour lesquelles je ne lui en tiendrais pas plus rigueur.


Parallèlement, la direction artistique a également ses qualités à faire valoir. Le chara-design des personnages reste très discret en jeu et ne met pas spécialement en lumière le travail du si populaire Akira Toriyama mais le design de certaines créatures peut être aussi simple que mémorable à l’image des slimes devenus icônes visuelles de la saga. Le plus souvent, les designs sont plutôt gentiment méchants avec des fantômes qui nous tirent la langue, des chauves-souris qui rigolent, des loups-garous à la jolie moustache et aux belles oreilles rondes… C’est juste un peu dommage que ce style ne soit pas tout à fait homogène, certaines créatures, et pas nécessairement les plus puissantes peuvent être plus sombres et échapper à cette ambiance visuelle.


L’OST, composée par Koichi Sugiyama qui sera principalement connu pour son travail récurrent emblématique sur cette série, fut rapidement reconnue au-delà du milieu du jeu vidéo en s’inscrivant parmi les premières musiques de jeu vidéo à obtenir autant de reconnaissance, gage certain de leur qualité. J’apprécie surtout le thème d’ouverture qui sera tant repris par la suite de la franchise, pour le reste je trouve ça tout à fait correct. C’est aussi l’épisode qui établit les bruitages et courtes mélodies conférant l’identité sonore de la saga à l’image du jingle du level-up qu’il est si bon d’entendre retentir. Réalisation et esthétisme profitent donc de suffisamment de qualités pour me faire passer outre les défauts souvent justifiés et nuancés, et il en est un peu de même pour scénario et narration.



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★☆☆☆



Yuji Horii, auteur free-lance encore peu expérimenté mais avec une solide formation de mangaka, signe le scénario et s’imposera comme le scénariste de la saga, ce qui représentera l’essentiel de sa carrière. Autant le dire d’emblée, les ambitions n’étaient pas bien grandes sur cette question. Le synopsis est explicité dès le premier dialogue du jeu pour poser un univers manichéen simple mais clair, innocente princesse à sauver, méchant seigneur dragon à vaincre, roi auquel obéir aux intentions aussi nobles que son statut... La seule donnée importante manquante concerne l’identité de notre personnage, ses motivations, son passé, son statut… mais un peu de background supplémentaire sera apporté lors de l’aventure sur la question et il ne sera pas toujours parfaitement muet.


Les raisons expliquant le retour du mal ne sont pas très détaillées et paraissent plus prétextes au déclenchement de la quête que réel enjeu scénaristique de prime abord, en fait le jeu se contente de dire que le mal est de retour, qu’il est fort et qu’il faut le combattre. C’est un choix un peu facile certes mais l’ennemi a le mérite d’être clairement identifié comme tel et le sentiment d’héroïsme à notre quête arrive à être assez bien véhiculé à mon sens. Le peu de cette trame peut être très bien écrite avec les remerciements très chaleureux de la princesse alors qu’on est venu à sa rescousse par exemple.


Le plus beau là-dedans c’est que c’est une quête parfaitement optionnelle, ce qui est vraiment osé pour le coup et très malin pour justement rendre son sauvetage réellement héroïque. Dans la même veine, il existe une mauvaise fin pour laquelle on peut délibérément opter, c’est vraiment très binaire comme choix mais c’était là-aussi audacieux de proposer une telle alternative et très efficace car encore une fois pour moi ça contribue énormément au sentiment d’être le héros car on fait les choix allant dans ce sens. Entre quête optionnelle et mauvaise fin, le scénario ne manque donc pas de très bonnes idées malgré sa relative simplicité.


Le jeu aime également faire un peu de teasing en nous faisant démarrer l’aventure très proche de la dernière zone de jeu, en nous faisant passer devant l’un des objectifs premiers du scénario sans pouvoir le mener à bien à ce moment-là de l’aventure… ce qui est toujours bon à prendre. Il faut tout de même admettre que l’univers construit au fil des discussions avec les PNJ n’est pas bien consistant et pas du tout aidé par une traduction américaine officielle bien pauvre sur la NES, et censurée de surcroît. Si croiser une prostituée nous invitant à faire un puff-puff est assez osé en version originale, une sympathique référence à Dragon Ball et un running gag efficace pour la suite de la saga, ça devient aux USA un dialogue incohérent avec une fille semblant vendre des tomates. Je préfère retenir du coup la version japonaise originale même si je n’ai malheureusement pas les compétences linguistiques pour pleinement l’appréhender.


Quelques PNJ auront un dialogue différent en fonction de notre avancée dans l’aventure, ce qui est très sympathique pour l’immersion, mais beaucoup d’autres PNJ auront toujours le même dialogue, même quand celui-ci deviendra incohérent de par notre avancée dans le scénario malheureusement. Là encore, on est au début du genre donc le simple fait qu’ils y aient pensé pour pas mal de PNJ, notamment les principaux, est déjà une petite qualité à faire valoir même si comme beaucoup d’autres choses : c’est perfectible à n’en pas douter. Ça ne m’empêchera pas de choisir d’en tirer plus de positif que de négatif, même si je serai peut-être un peu plus exigeant pour la partie ludique à proprement parler.



GAMEPLAY / CONTENU : ★★★★★★☆☆☆☆



Les règles principales sont expliquées dès les premières minutes de jeu avec un tutoriel prenant la main mais nécessaire pour expliciter comment ouvrir une porte, parler à un PNJ, ouvrir un coffre… par le biais des commandes dans le menu. C’est assez clair pour ne pas poser de graves problèmes mais c’est assez lourd inutilement pour constituer des petites fautes d’ergonomie qui auraient pu être éviter avec un peu de bon sens. Après tout, quand tu te rend sur une case escalier qui monte, je ne vois pas pourquoi il te faut valider l’action de monter, encore plus par le biais d’un menu.


Le système de combat est un tour par tour aussi élémentaire que limpide, fondation des systèmes de combat des RPG à venir, avec attaque physique, sorts, objets ou fuite. Les tours s’enchaînent rapidement et les commandes sont explicites pour un confort de jeu optimal, beaucoup de RPG de l’époque ne peuvent s’en vanter. Le calcul des dégâts est assez bien équilibré avec suffisamment d’aléatoire pour créer des surprises et suffisamment de constance pour rester cohérent. La défaite est punie par la perte de la moitié de notre or et le retour au début de la map, un système assez intelligent puisqu’il représente une sanction réelle mais pas trop punitive non plus pour un jeu où une rencontre malheureuse et un peu de malchance peuvent vite mal tourner.


Ce retour au début de la map demandé systématiquement pour sauvegarder dans la version américaine est souvent décriée dans les avis que j’ai pu lire, je trouve au contraire que c’est plutôt bien. Plus on s’éloigne du point de sauvegarde, plus le danger est grand et palpable avec cette sanction de revenir au début en cas de défaite et quand ça commence à devenir trop long, on débloque quelques options de voyage rapide ni trop permissives, ni trop rigides, c’est parfait pour moi. Il est tout de même à noter que tout ça ne se retrouve malheureusement pas dans la version originale sur Famicom avec un système de mots de passe bancal et une fréquence de rencontre d’ennemis plus importante et inconfortable.


Nous n’incarnons malheureusement qu’un seul personnage à la progression tout ce qu’il y a de plus linéaire à tous les niveaux, ce qui fait nécessairement peu de profondeur de jeu, principal bémol à ce bilan ludique pourtant très honorable. Le grand avantage c’est que cette progression très linéaire a le mérite d’être très bien graduée avec une multitude de petits paliers franchis fréquemment pour toujours motiver à jouer les nombreuses phases de farming imposées dans les pourtant 10 maigres heures nécessaires pour voir le bout de cette quête. Le contenu est donc peu généreux et la profondeur de jeu très basse, la vraie réussite du gameplay sur la durée c’est cette progression a minima addictive, même si sur 10 heures ce n’est pas non plus extra-ordinaire.


Le farming a au moins le mérite d’être assez bien pensé dans la répartition de la dangerosité des ennemis sur la carte et la distinction de zones plutôt axées sur la récolte d’or, d’expérience ou équilibré entre les deux. Le gameplay reste néanmoins entaché d’un peu trop de défauts à mon sens pour constituer une réussite :
- certaines énigmes indispensables à la progression dans la trame principale ne sont pas très logiques et peuvent bloquer bêtement,
- certains items semblent buggés, comme un anneau qui respawn, qui peut être consommé et non équipé, qui semble sans le moindre effet dans le menu comme après avoir été consommé,
- le level-design des donjons peut comporter beaucoup d’impasses inutiles ou de longs passages pour des trésors sans intérêt, voire piégeux...



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



S’il n’essaie jamais d’être extra-ordinaire dans quelque domaine que ce soit, Dragon Quest parvient parfaitement à remplir son objectif de rendre accessible le RPG avec un système de jeu efficace et plutôt bien équilibré, dans un univers attachant profitant d’une belle identité visuelle et sonore, parsemé de bonnes idées scénaristiques audacieuses pour l’époque… Prenez les améliorations ergonomiques de la version américaine et l’authenticité des dialogues de la version japonaise et vous obtenez un bien sympathique début pour la mythique saga Dragon Quest, pionnière de son genre.

damon8671
7
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le 12 févr. 2021

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damon8671

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