J’ose imaginer ce que ça pouvait être de découvrir Fez dans son jus. En 2012.
2012 c’est le début de l’explosion des jeux indés.
C’est trois ans après Braid, deux ans après Super Meat Boy, un an après Limbo… Et replacer Fez au milieu de ses glorieux prédécesseurs peut donner une idée de la magnifique petite décharge qu’il a pu refiler à son époque.


A la fois jeu qui explore le plaisir du rétro, mais en même temps jeu qui tire parti de la 3D pour inventer un intermédiaire saisissant, Fez fait partie de ces jeux aux concepts qui percutent dès le premier instant.
Même pas besoin d’y jouer pour comprendre ce que va impliquer comme défi et comme possibilité ce principe de jeu de plateformes qu’on pratique en tournant les faces de notre univers telles les facettes d’un rubix-cube. Dès le premier coup d’œil, on comprend à quel point ça a l’air malin et tout mignon…
…Et c’est d’ailleurs le premier gros point fort de ce jeu : c’est que malin et tout mignon il l’est bien, et cela dès les premières minutes.


Ah ça ! Cette entrée en matière elle est juste remarquable d’efficacité.
Visuel charmant parce que minimaliste et chamarré – accompagné en plus d’une petite musique aux accents 16bits qui a beaucoup de charme et de personnalité – le tout proposé dans un premier temps au sein d’un univers classique et simple, prétexte à découvrir ce jeu comme s’il n’était qu’un banal plateformeur.
Et à peine a-t-on saisi les bases (ce qui ne demande que cinq petites minutes dans les faits) que Fez nous ramène immédiatement à notre point de départ – non sans passer par des effets de narration assez sympas – et qu’il nous oblige à tout refaire, mais ce coup-ci en prenant en considération une nouvelle donnée : cette manière de faire pivoter les « facettes » de ce monde.
Voilà comment, grâce à une science du geste juste, ce jeu parvient à donner à ses joueurs le sens du relief. Rapide et efficace. Rien à redire.
Ah ça ! Encore une fois, je dois bien avouer que sur cet aspect là, le studio Polytron a su me haper dans son jeu bien comme il faut.


Et c’est peu dire si, sur cet aspect là, Fez sait tenir longtemps sur cette belle lancée initiale. C’est même d’ailleurs l’un des aspects de ma partie que je retiendrais le plus : ce profond sentiment de maitrise que dégage ce titre.
Maitrise parce qu’il sait adopter un très bon ratio entre accessibilité pédagogique et vrais casse-têtes qu’il faudra creuser (quoi que, on en reparlera)…
Maitrise aussi parce que l’air de rien, il gère aussi très bien son rythme, sachant apporter régulièrement de nouvelles mécaniques et de nouveaux univers qui entretiennent chez nous cette agréable destabilisation qui nous oblige en permanence à sortir de notre zone de confort.
Et maitrise enfin dans cette manière plus qu’habile qu’a eu le studio Polytron d’insérer dans son aire de jeu une narration environnementale riche et cryptique. Car au-delà du puzzle il y a une histoire qui se raconte à travers les lieux – parfois même en brisant le quatrième mur vidéo-ludique – ce qui ne peut qu’aiguiser l’appêtit des plus curieux.


Mais bon…
Celles et ceux qui me connaissent un peu me voient sûrement déjà venir.
Si après une telle pluie d’éloges je n’attribue pas la note suprême de 10/10, c’est forcément qu’il y a un loup…
Et effectivement, le loup a beau n’être pas grand qu’il est néanmoins présent…
…Mais par-dessus tout parfois bien gênant.


Or s’il fallait nommer ce loup qu’il répondrait certainement au doux nom de : « combinaison ».
(Oui, moi aussi j’ai le droit d’être cryptique ^^.)
« Combinaison » en référence à quelques énigmes qui nécessitent de notre part d’enchainer un certains nombres d’inputs en des endroits précis. Je n’en dirais pas plus pour éviter de spoiler, mais les connaisseurs comprendront de quoi je parle.
Or, ces quelques énigmes à base de combinaisons, elles sont certes peu nombreuses et finalement assez périphériques au regard de la trame générale, mais il n’empêche qu’elles instaurent malgré tout dans notre partie un obscurantisme plus que mal venu.


Même avec du recul, je ne vois même comment il peut être POSSIBLE de trouver la solution à ces problèmes par soi-même !
Les possibilités d’interprêtation sont trop nombreuses, les séquences trop longues à accomplir, si bien que – quand bien même par miracle on aurait trouvé la bonne interprétation du code – qu’on peut malgré tout passer à côté à cause d’une erreur d’exécution.
Je n’arrive d’ailleurs même pas à comprendre ce qu’avaient en tête les créateurs du jeu en partant vers un tel niveau de crypticisme.
Pour moi, le plaisir que procure une énigme, c’est celui de sentir qu’on a réussi à saisir une logique pour la déjouer. Or, dans ce cas précis, j’ai très vite eu l’idée mais il m’a été impossible de surmonter l’épreuve par moi-même, la faute à un manque réel de lisibilité, à de possibilités d’interprétation trop nombreuses, mais aussi et surtout à des conditions d’accomplissement trop peu pratiques…


Comment imaginer par exemple que le jeu nous invite à faire pivoter la caméra dans une combinaison alors que cette manœuvre conduit à ne plus voir l’inscription qu’on se doit de décoder ! Mais rien que ça je trouve que c’est d’un con !


Cette situation ubuesque m’a d’ailleurs conduit à consulter une soluce en ligne ce qui – tel un terrible révélateur – m’a amené à soupirer d’exaspération quand j’ai découvert quelle était la réponse.
Pas de « ah mais oui suis-je bête !» donc, mais plutôt un « non mais les gars, franchement… »


Alors on pourrait me rétorquer qu’au fond ce défaut reste secondaire parce que la résolution de ces énigmes n’est pas nécessaire pour atteindre la fin du jeu.
Ce à quoi j’aurais tendance à répondre d’un « oui mais non. »
Oui parce qu’en effet une partie de Fez peut vraiment se penser à deux niveaux.
Pour finir le jeu, dans les faits, il suffit de collecter 32 cubes qu’on pourrait qualifier de « normaux » et qui ne sont pas concernés par ces énigmes tordues dont je viens de vous parler. (D’ailleurs le jeu considérera que vous avez fait le jeu à 100% si vous vous contentez de ces 32 cubes, alors pourquoi pas…)
Mais Fez contient aussi des « anti-cubes ». Et ce sont ceux-là qui ne s’obtiennent qu’après des raisonnements tordus et des épreuves plus ardues.
Et si d’un côté je peux entendre qu’on puisse pleinement accepter le fait qu’il existe au sein d’un même jeu deux enjeux à la philosophie et à la difficulté différentes, d’une l’autre côté - dans la pratique – je trouve que cette cohabitation pose des limites.


Parce que le vrai souci avec ces énigmes à anti-cubes, c’est qu’elles sont présentes partout, disséminées parmi les énigmes classiques sans que rien ne permette de les distinguer (du moins au premier abord).
Du coup, il n’est pas rare que, dans un premier temps, on se retrouve à coincer devant une énigme à anti-cubes et qu’on s’attarde dessus tout simplement parce qu’on pense que c’est indispensable pour avancer dans notre partie…
Et puis plus tard – une fois qu’on a pris connaissance des énigmes à anti-cubes – il peut arriver qu’à l’inverse on se mette à laisser de côté une énigme en se disant qu’elle conduit vers un anti-cube falcultatif alors qu’en fait on passe à côté de quelque chose d’essentiel.
Tout ça peut conduire le joueur à faire assez régulièrement du sur-place, ce qui peut s’avérer pénible, surtout quand on prend en considération que la navigation au sein des différents niveaux du jeu est parfois fastidueuse.


Dit autrement, Fez peut parfois se révéler frustrant, voire très frustrant.
Et pour le coup, quand je parle de frustration, je parle malheureusement de mauvaise frustration ; de cette frustration qui n’apporte pas de satisfaction quand on arrive enfin à la surmonter.
Non, plutôt de la frustration exaspérante, et ça c’est vraiment un mauvais point, surtout pour un jeu de cette trempe.


Alors après, c’est vrai que bon-an-mal-an, on peut arriver sans trop de difficulté à cette fameuse fin à 32 cubes, donc pourquoi pas…
Mais d’un autre côté, cet état de fait m’a amené à une situation que je trouve quand même très triste face à un jeu aussi génial : je n’ai pas voulu aller au-delà des fameux 32 cubes…
Ce n’était pourtant pas que le jeu ne me plaisait pas, mais une fois sur deux, je me suis retrouvé avec des énigmes à anti-cubes que je trouvais vraiment tordues et qui ne me donnaient vraiment aucune appétance à vouloir les résoudre.
Or, qu’un jeu ne me donne pas envie de le creuser, pour moi c’est quand même révélateur de quelque chose qui aurait mérité d’être mieux pensé…


Malgré tout – et alors que j’arrive au moment de conclure – toutes ces limites n’effacent pas non plus complètement tous les éloges que j’ai pu faire précédemment.
Oui, Fez reste au-delà de ces quelques défauts un très bon jeu… Il sait même parfois se montrer excellent par moment.
Néanmoins, par ses quelques approximations, il est passé – me concernant – à côté de l’énorme jeu qu’il aurait pu être ; ce genre de jeu qu’on pose comme maître-étalon et qu’on recommande aux autres avec des étoiles cubiques dans les yeux.


Mais dire cela, ce n’est pas pour autant dire que je ne vous recommande pas le jeu.
Fez reste un jeu diablement efficace et magnétique.
Et pour peu qu’on ait une âme d’historien du septième art, force est de constater que Fez fait aussi partie de ces titres qui ont su donner de l’épaisseur à la scène du jeu indé…


… ou plutôt devrais-je dire : du relief.

lhomme-grenouille
8

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste 2021 : cette année de brun durant laquelle le JV va faire du bien...

Créée

le 11 sept. 2021

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