Quand une licence ambitionne de se renouveler, on peut difficilement lui en vouloir. Mais renouveau ne signifie pas nécessairement originalité. Or, en se présentant comme un TPS dans un monde semi-ouvert, agrémenté de composantes RPG et mettant l’accent sur une narration plus poussée, God of War nous montre qu’il s’adapte avant tout à son époque, piochant ici et là parmi les caractéristiques du triple A sauce 2018. Personnellement, j’y ai trouvé du bon, et du moins bon.


Disclaimer : God of War nouvelle génération m’a déçu. C’est évidemment un jeu honnête et travaillé, objectivement pas mauvais, mais assez loin pour autant de justifier l’avalanche d’acclamations qu’il a reçue. Alors pour ceux chez qui la critique négative de ce GoW risquerait de provoquer un choc anaphylactique, autant vous épargner d’emblée cette lecture. Nos avis divergent, ce n’est pas bien grave, et vous saurez trouver votre bonheur dans la presse spécialisée qui ne tari pas d’éloges à son propos.



Gameplay : bonne surprise



Paradoxalement, l’aspect du jeu sur lequel j’avais le plus de réserve au départ est probablement le plus réussi : le gameplay.


Soyons clairs, les changements opérés par cet opus vous demandent de faire le deuil des précédents et il est recommandé de prendre cet épisode comme il vient, sans trop penser aux anciennes mécaniques de la licence. Car côté gameplay, la recette est bien différente et lorgne davantage sur le TPS action que sur le Beat’em all. En combat, le simple mashing du bouton d’attaque se révèlera peu concluant et il faudra compter sur l’importance du timing pour trouver les ouvertures, savoir quand taper, mais surtout quand défendre.


Le panel d’actions disponibles est vaste, et on devra l’utiliser intelligemment en faisant preuve d’observation et de réflexe. La hache, votre nouvelle arme, est bien nerveuse, elle peut être lancée pour attaquer à distance. Les parades sont tout aussi jouissives, et les pouvoirs spéciaux accessibles grâce aux runes diversifieront le gameplay. Parmi toutes ces actions, Atreus sera également d'une aide précieuse, vous permettant notamment de stun les adversaires. Bref, entre esquives, parades, attaques, coups spéciaux et mécanique de rage, le jeu vous incite à composer avec toutes les possibilités de gameplay qu’il met à disposition pour abattre des ennemis moins nombreux, mais plus coriaces.


Les combats sauront se renouveler en cours de partie, et manette en main, les sensations sont grisantes. On ressent la puissance latente de Kratos dans chaque mandale qu’il colle à ses ennemis et on ne s’en lasse pas une seconde.



Esthétique et univers : mitigé



L’autre changement majeur opéré par cet opus, c’est l’univers. Une modification nécessaire suite aux événements de la trilogie originale et un choix de mythologie pertinent. La beauté froide du folklore scandinave prend forme grâce à un travail visuel de qualité. C’est là une moindre surprise, mais il convient de souligner le soin apporter aux graphismes du jeu, précis, détaillés et bien optimisés — malgré des expressions faciales moins réussies.


La direction artistique, quant à elle, est tout à fait convenable quoiqu’en dent de scie, alternant panoramas splendides et donjons moins inspirés. Midgard saura nous saisir durant les premières heures mais peinera par la suite à se renouveler, et les différents royaumes visités paraissent parfois être de simples recyclages du premier avec la version glace, la version feu, la version brumes, etc. Ceci dit, c’est surtout l’absence de vie dans ces environnements globalement réussis que l’on regrettera. Dommage alors qu’on nous rabâche à longueur de temps que Midgard grouille d’une faune et d’une flore foisonnante, ce que l’on est bien forcé de croire sur parole à défaut de le constater de nos propres yeux.


Le bestiaire semble touché par le même mal : il est peu diversifié, se résume à une petite dizaine de mob déclinés en version feu, glace, poison… Ce qui devient carrément flagrant pour les ennemis de gros calibre dont on rencontre des dizaines d’itérations franchement redondantes sur le long terme puisqu'ils gardent les mêmes patterns. L’occasion idéale de mentionner le nombre ridicule de boss qui parsèment l’aventure. Pas plus de quatre, le premier demeurant de loin le plus mémorable de tous.


Heureusement, le background de ce nouvel univers est incroyablement dense et Mímir nous rassasiera d’histoires et de légendes nordiques qui viendront étoffer notre découverte du monde. Il réagit aux éléments du décors, nous informe sur les différents royaumes que nous foulons et participe ainsi à la création d’une aura de mysticisme qui donnera un peu de couleurs à des lieux parfois austères.



Écriture et scénario : déception



En revanche, si God of War m’apparait plutôt réussi sur ses aspects mécaniques et esthétiques, autant dire que ce n’est pas le cas du récit.


Autre changement : Kratos n’évolue plus seul mais est accompagné de son fils Atreus, dont il parfait l’éducation tout au long de l’aventure. Et alors là, j’admets rester interdit devant les louanges vantant l’authenticité de la relation père-fils que le jeu met en avant.


Kratos est de très loin le personnage le mieux écrit du jeu : son évolution par rapport aux événements de la première trilogie suit une vraie cohérence. Usé par le temps et assagi par les épreuves, mais toujours taciturne et rongé par le remord, refoulant sa colère et sa puissance, Kratos a muri mais reste celui qu’il a toujours été. Mais sa relation avec Atreus m’a complètement laissé sur le carreau. La narration linéaire n’admet ni flashback, ni ellipse, et pourtant, en 20h de jeu, on aura droit à tout le spectre de relations possibles et imaginables entre un père et son fils. Réserve, non-dits, complicité, rivalité, amour, haine, autorité, enseignement. Tout y passe. Sans aucune subtilité.


La clé de tous ces changements est évidemment Atreus, que les revirements psychologiques incessants et sortis de nulle part me font apparaitre comme l’un des personnages les plus bipolaires du jeu vidéo. Parfois enthousiaste, l’instant d’après, boudeur, puis à peine plus tard, colérique, je n’ai pas cru à ce personnage à la psychologie très artificielle. On est, à mes yeux, très loin de l’authenticité de la relation Joel-Ellie de The Last of US, puisque c’est la comparaison que j’ai vu revenir à de multiples reprises.


Ce n’est pas parce que l’idée est bonne qu’elle est bien exécutée.
Ce n’est pas parce que j’avais très envie d’y croire que j’ai été convaincu.


Puisqu’on parle des personnages, mentionnons rapidement Brok et Sindri qui ne sont ni plus ni moins que les deux clowns de l’histoire dont les ressorts comiques résident moins dans la finesse d’écriture que dans l’utilisation du gag, procédé humoristique en décalage total avec le ton du jeu. GoW a-t-il réellement besoin de ce genre de personnage ? Rien n’est moins sûr.


Enfin, les protagonistes issus de la mythologie nordique sont peu nombreux, et franchement transparents, ce qui n’aide pas à faire décoller une intrigue principale oubliable. Dans une interview donnée fin mai par Cory Barlog, voici ce qu’on pouvait lire de la manière dont il a guidé son studio à ce propos :


« […] une histoire simple, des personnages complexes. Et on verra pour le reste à partir de là. Concentrez-vous sur le voyage d’un père et de son fils, sur leur passage à l’âge adulte, à tous les deux. C’est tout, le reste, nous verrons en cours de route. »


Mouais. Ben curieusement, ça se ressent clairement dans le scénario. Celui-ci n’a que peu de d’importance, il n’y a pas vraiment d’intrigue d’ailleurs, au point qu’on a réellement l’impression d’être embarqué dans une histoire (via l’Étranger ou la femme de la cabane), qui ne nous concerne absolument pas — ce que Kratos notera de lui-même, d’ailleurs. Les enjeux nous sont complètement étrangers et donc, peu intéressants. Difficile alors se sentir pleinement impliqué dans ce qu’on nous raconte.


Alors d'accord, ce jeu ne sert qu’à introduire une trilogie, mais n’y avait-il réellement pas moyen de nous fournir quelque chose d’un peu plus velu ?



Analyse : « 2018Approved »



Concrètement, 2018Approved, ça signifie que dans l’industrie du triple A, les jeux se succèdent et se ressemblent inlassablement. Il s’agit là d’une réflexion globale que ce God of War illustre à merveille. Que l’on parle de cinéma, de littérature ou de jeu vidéo, on a affaire à trois industries qui suivent la même tangente : après avoir connu des périodes de boom artistique par le passé, cette décennie semble marquée par une décrépitude de la liberté créative — en tout cas pour ce qui est des gros budgets.


Il y a systématiquement le fameux « cahier des charges » à remplir, des standards à satisfaire et à respecter. Et dans le triple A vidéoludique, cela signifie la présence d’un système de craft, d’une composante RPG, d’une progression de compétences, d’un monde (semi-)ouvert, de quêtes secondaires, d’une course aux collectables… On ajoute à cela un récit « intimiste » bien en vogue à l’heure actuelle, et on se rend compte que God of War ne fait que satisfaire aux conditions que le marché lui impose.


Sauf que voilà, pendant toute la durée de mon aventure au pays d’Odin, je n’en avais rien à faire de ce monde faussement ouvert au sein duquel je devais me farcir pléthore d’allers-retours, de ces collectables qu’on me demandait d’aller récupérer à droite et à gauche, de ces quêtes secondaires pour la plupart inintéressantes mais qui donnent l’illusion d’un jeu complet. Alors oui, je peux très bien les ignorer si ça me plait pas, mais la vérité, c’est que j’aurais volontiers sacrifié 15h de ce contenu facultatif pour en gagner 5 de quête principale, pour gagner un scénario plus consistant, des énigmes retorses, de vrais boss plus nombreux que les trois que l’on croise dans le jeu…


J’aurais sacrifié ces 15h pour avoir un jeu qui ne ressemble à aucun autre, qui ait SON identité à lui plutôt que de manger à tous les râteliers et de piocher dans ce qui fonctionne à l’heure actuelle.
J’aurais voulu jouer à un jeu unique, mais j’ai joué à un jeu comme il en existe mille autres, un jeu qui répond au marché. En somme, un « 2018Approved » avec un skin GoW.


Je ne dis pas que ces triples A sont mauvais. Ils ne le sont jamais d’ailleurs, trop de ressources sont engagés pour fournir des produits complets et travaillés. Mais je m’étonne de cette étrange époque où l’on brandit l’originalité comme un étendard flamboyant alors même qu’elle meurt à petit feu, tandis que les gros cartons critiques et économiques sont toujours issus de la même recette. Ces réflexions et cette sensation de fadeur liée à la redondance dans les jeux ont clairement gâché mon expérience et ma découverte de GoW et, plus que jamais, j’ai ressenti une certaine lassitude, la même qui me taraude au cinéma lorsque le sarcasme vient me siffler un : « ah, tiens… ça change… »



Conclusion



God of War ps4 est un bon jeu sur lequel j’ai eu de vrais moments de plaisir (si si!), mais pas le chef-d’œuvre qui m’a été survendu par la presse spécialisée et nombre d’enthousiastes. J’ai apprécié certaines choses, le nouveau gameplay, sa réalisation ; j’ai été déçu par d’autres, l’écriture et le manque de diversité. Enfin, je n’ai pas trouvé ce supplément d’âme qui caractérise ses ainés et qui fait défaut à nombre de grosses productions actuelles. C’est un jeu qui répond à des contraintes commerciales avant de répondre à des contraintes artistiques. Certains trouvent ça compréhensible. Pas moi.


Ce sont des choix qui plairont sans doute à beaucoup, au plus grand nombre même, puisque c’est précisément le plébiscite général qui pousse les studios à ne plus prendre de risque. Mais voir un triple A véritablement se mouiller un de ces jours, personnellement ça ne me déplairait pas.

Gilraen
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le 25 juin 2018

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