Katawa Shoujo
7.3
Katawa Shoujo

Jeu de Four Leaf Studios (2012PC)

Sous la couche qui peut sembler perverse, un tour de force d'écriture

Savez-vous comment j'ai connu Katawa Shoujo ? Grâce à un mème. Enfin, plutôt, un détournement d'une scène du début de Katawa Shoujo. La scène où Emi nous percutent, et on la découvre au sol, avec ses deux prothèses aux jambes. Il n'y a pas de choix de dialogue à ce moment-là mais sur l'image, on avait le choix entre "Hey, ça va ?" et "Oh bordel, ta mère a accouché sur un champ de mine ?". Et je reconnais que j'ai vraiment ri en lisant cette connerie. Mais du coup, j'ai voulu en savoir plus. Un tour dans les commentaires et un nom, Katawa Shoujo. Une remarque aussi sur le jeu : Ce mème ne lui ferait absolument pas honneur. Très bien, alors testons-le pour vérifier ça.


Au début, je craignais que ça ne soit qu'un vulgaire jeu avec une bonne tendance porno, pour ne pas dire que ça soit bien vicelard et même fétichiste, où le "scénario" n'est qu'une excuse à des dessins plus qu'érotique. Et en fait, pas du tout. Il est déjà possible d'enlever les scènes "coquines" du jeu (ce que je ne vous conseille cependant pas, car ce découpage est un peu fait à la truelle, ce qui donne un aspect "boom, il manque un pan du jeu, tu comprendras jamais ces allusions à ce lubrifiant au citron..."), ce qui en dit long sur la volonté du jeu de ne pas être juste ça. Et ensuite, les handicaps ne sont pas du tout un simple argument de vente vite expédié. Et cela, on le doit à un truc : L'écriture des auteurs de ce jeu.


Tout d'abord, un petit historique. Le jeu vient de 4 Chan. Pas vraiment le temple de la subtilité. Pourtant, le jeu ne trahit presque jamais ses origines (à l'exception du personnage de Kenji, possible pré-Ancel qu'on retrouvera tristement dans l'actualité quelques années après la sortie du jeu, mais qui est ici globalement plutôt moqué, aboutissant à des dialogues assez surréalistes mais tordant) et s'avère même très touchant au fur et à mesure de l'aventure. Parce que je ne l'ai pas précisé, mais Katawa Shoujo (ou KS à l'avenir) est un Visual Novel (traduit en français, précisons-le, c'est un sacré effort à noter !) gratuit (un autre joli choix de la part de la team des développeurs) où l'on incarne Hisao Nakai, un jeune homme qui, suite à un arrêt cardiaque, découvre qu'il souffre d'arythmie (basiquement, il a une insuffisance cardiaque qui fait que tout peut s'arrêter assez vite pour lui) et, après une convalescence, est envoyé dans un établissement scolaire spécialisé sur les handicaps. Lui n'en a pas de visible (mise à part son coeur, petit clin d'oeil...) mais il fait la rencontre d'une belle brochette de personnes (que des filles, toutes belles au passage, à l'exception de Kenji dont nous avons parlés, le prof et l'infirmier). Et de là, on va en choisir une selon nos choix (ou pas, et finir notre vie de façon très triste !), et peut-être concrétiser la relation jusqu'à du sérieux, ou pas...


Chez moi, KS a résonné pour plusieurs raisons. Déjà, c'était la première fois que je jouais à un jeu qui traitait de façon respectueuse le handicap (alors, certes, de manière assez enjolivé, but still...). Cela resonnait davantage encore qu'à l'époque, j'étais encore dans mes études de santé, et que le handicap, c'était quelque chose que je cotoyais soit dans mes stages, soit lorsque je travaillais l'été. Autrement dit, j'étais déjà pas mal empathique de ces personnes. D'ou une certaines méfiance au début qui s'est vite dissipé. De plus, à l'époque, je faisais le jeu avec ma copine de ce temps-là, et je me suis surpris jusqu'à aujourd'hui où j'écris ces lignes que chacune des femmes de ma vie (incluant l'actuelle) était comparable à celle du jeu. Mais peut-être que je ne vois que ce que je veux voir, après tout. Je trouve juste que c'est un joli hasard, qui résonnait davantage.


Du coup, c'est bien beau, mais pourquoi c'est bien écrit ? Déjà parce que chaque personnages a bel et bien sa façon d'être, de parler, son vocabulaire. Encore heureux, certes, mais à l'ère des personnages formatés, c'est déjà un bon point. Ensuite, chacun transpire d'une certaine cohérence dans leurs façons d'être, et surtout, leurs passés sont toujours passionnant à suivre, quoique souvent très triste. On a donc Emi la sportive (et ma préféré, comme beaucoup je crois), Hanako la timide qui porte les stigmates de brûlure sur elle (l'un des axes les plus touchants du jeu aussi), Lilly l'aveugle (sympathique, mais pas le mieux), Shizune la muette (Le moins passionnant de tous, mais par contre, quelle coquine...) et enfin, Rin l'artiste qui n'a pas de bras (et de loin l'arc le plus tordu et chelou à suivre). On peut finir avec n'importe laquelle, selon vos choix. Je lisais que certains ont été si touchés qu'ils n'ont fait le jeu qu'une fois et n'ont jamais voulu voir les autres routes, par "fidélité". Je trouve ça un poil abusé, mais je peux comprendre, tant on peut être touché par ces histoires. Et je l'ai été, moi aussi.


Dans la façon d'écrire, on trouve déjà beaucoup d'humour. Je pense notamment aux passages avec Kenji, qui déborde de surréalisme, et les réactions d'Hisao font que tout cela est tordant à lire. Cette humour sert aussi à dédramatiser la réalité que l'ont voit, de ces personnes handicapés. Par ailleurs, cette écriture reste très respectueuse du handicap, et ça, je trouve que c'est l'un des rares à s'être aventuré sur ce terrain avec une telle réussite. Pas un seul instant je n'ai trouvé que le jeu s'amusait à se moquer du handicap ou s'en servir comme d'un fantasme sexuel perverti. On ne retrouve que des gens s'adaptant à leurs vies plus compliqués que la moyenne, et Hisao qui doit déjà accepter le fait de son handicap (même si on peut s'interroger de la notion de handicap pour lui, tout de même...). D'ailleurs, quelque chose qui montre qu'il y a distanciation avec le monde du hentai : Hisao existe, on voit son visage, il a un nom et une personnalité, on est assez loin de la vision distancié et informelle des personnages masculins des hentais.


Après, tout n'est pas rose. Déjà, il faut accepter le postulat de départ : Une école spécialisé pour les handicapés (Hmm, ok, ça je peux y croire) avec que de superbes femmes (mouais, j'y crois déjà beaucoup moins) et un héros qui peut littéralement toute se les faire. Et le personnage de Lilly, même si je l'apprécie, est quand même un poil détonnant dans tout ce patchworks de personnages. Enfin, on sent que certaines notions comme le féminisme ou même la santé (le passage sur ce qu'à Hisao est assez rapide, on sent que les mecs n'étaient pas tant à l'aise que ça sur les maladie cardio-vasculaires... mais je n'étais pas fan aussi, alors je ne jugerai pas) ne sont pas si connus des auteurs (je pense à une phrase sur le féminisme et la pornographie, où Hisao se dit "mais les féministes ne sont pas contre la pornographie déjà ?", il suffit de lire des choses écrites par Virginie Despentes, Ovidie ou n'importes quelles autres féministes un tant soi peu sérieuse pour comprendre que non, c'est pas du tout le cas... Mais on peut aussi dire que c'est les propos d'Hisao, qui reste jeune et n'a donc pas forcément le bagage pour réfléchir à tout ça... Ce qui fait que ce défaut n'en est peut-être pas un).


Du coup, sur certains point, je trouve que 9/10, c'est beaucoup. Mais quand je repense à l'impact qu'à eu le jeu sur moi, son effet miroir par rapport à ma vie et même tout les ressentis que j'ai eu lors de ma première run, je ne me vois pas lui mettre une note plus basse... Peut-être que c'est un plaisir coupable, mais j'adorerai en avoir plus comme celui-là !

Tony_Gendron
9
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Créée

le 16 août 2018

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Tony Gendron

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